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2013/01/15

Jean-Bertrand Pontalis (1924 - 2013)


« Les êtres que nous aimons s’en vont, ils s’éloignent de nous, je m’éloigne d’eux, nous les perdons de vue, les lieux où nous avons été heureux sont occupés par d’autres, ce que nous appelons notre mémoire n’est peuplée que de fantômes mais elle en est peuplée, preuve que rien de ce qui a compté pour nous ni personne ne disparaît à jamais. »
(J.-B. Pontalis, in Un homme disparaît)


« Il détestait les boulevards périphériques, les supermarchés, les foules, les hauts-parleurs, les congrès internationaux, les restaurants où les tables sont serrées les unes contre les autres : un enfer à la portée de tous les individus qui choisissent de s’y dissoudre. »

« Quand, sur l’écran d’un cinéma, il voyait un homme et une femme découvrir dans le même instant qu’ils s’aimaient sans se l’être avoué et sans qu’ils aient besoin de se dire Je t’aime, il était ému aux larmes. »

« Il détestait ceux qui se battent pour une place où garer leur voiture tout en pensant que, ces gens-là, il faudrait les tuer. »

« Il se disait qu’il avait cessé d’être un enfant du jour où il n’avait plus couru dans la rue sans raison, en allant chercher le pain ou voir un copain. »

« Il n’aime pas ressentir en lui la tristesse, mais il est sensible à celle des autres, il pense qu’ils sont alors plus dans le vrai que lorsqu’ils ont constamment le sourire aux lèvres. »
(J.-B. Pontalis, in L’enfant des limbes)

« Parler, enseigner, m'avait toujours été facile : les pensées suscitent des mots qui appellent d'autres mots d'où découlent des phrases, lesquelles construisent un discours : j'ai longtemps entretenu cette illusion qui d'ailleurs m'entretenait. J'étais payé pour témoigner de cette succession logique, pour faire partager cette certitude simple, universelle. [...] Dans des milliers d'établissement, partout dans le monde, c'était pareil. Des gens de mon espèce étaient payés pour parler à d'autres qui se taisaient afin de mieux assimiler le mode d'emploi de la grande machine à penser. [...] Dans les premiers temps de mon séjour, il m'était bien arrivé de me demander : où vont-ils, tous ces mots prononcés ? Si, à peine proférés, ils allaient se dissoudre, se volatiliser dans l'air ? Et où les mettre ? Il n'y avait  pas de place pour eux. Devant moi, les auditeurs prenaient des notes sur des feuilles de papier qu'ils rangeraient dans des tiroirs puis dans des cartons puis dans des greniers et qu'ils jetteraient à l'occasion d'un déménagement ou d'un départ vers une autre terre. Il y avait toujours à Mymia comme un air d'absence qui rendait les mots encore plus précaires. Mais je ne m'en souciais guère alors. Le sourire d'une élève qui se laissait doucement effleurer par mes paroles faisait rapidement tourner court mes interrogations sur la vanité du métier. » 
(J.-B. Pontalis, in Loin) 

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