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2013/02/02

René Depestre : Hadriana dans tous mes rêves


Derrière ce titre à l’eau de rose se dissimulent les trois mouvements d’une symphonie loufoque et forcément fantastique avec Depestre à la baguette. 
Au cours du premier mouvement, le narrateur relate la légende d’Hadriana Siloé telle qu’elle se racontait jadis et que voici sommairement résumée : Un mari cocufié par son fils adoptif le transforme illico-presto en un papillon-bizango sur lequel planera à jamais la malédiction paternelle. Puni par là où il a péché ce néo-lépidoptère se voit condamné à voleter d’alcôve en alcôve pour tenter d’assouvir un appétit sexuel surmultiplié. Ainsi, après avoir défloré une poignée de pucelles, l’insatiable bestiole remémore aux mères et aux épouses quelques félicités oubliées, puis elle console encore de sa trompe cinq ou six veuves éplorées, avant d’initier à la divine extase des Sœurs de la congrégation qui n’en demandaient pas tant. Ses nuits de débauches prennent fin du jour où un heureux hasard l’amène à l’entrecuisse de madame Germaine Villaret-Joyeuse, une femme d’âge et d’expérience avec laquelle il file le parfait amour à raison de 36 orgasmes/jour, façon DSK à l’hôtel Carlton. L’intégrité des jeunes filles n’étant plus menacée, la ville, en émoi jusqu’alors, respire à nouveau la sérénité. Pas pour longtemps, hélas ! A peine deux mois de répit et survient la mort tragique de madame Villaret-Joyeuse. Cette disparition, aussi soudaine qu’inattendue, ça lui bouleverse un chouia les hormones, au papillon, ça lui met les glandes à la diète et la libido aux abois. Sa dulcinée n’est pas encore mise en bière qu’il commence déjà à regarder à droite à gauche où tremper son biscuit. Une vierge, perle rare et précieuse, ferait parfaitement son affaire, qu’il se dit l’animal. Mais où diable la trouver ? qu’il se demande aussi sec. Eh bien, en la personne d’Hadriana Siloé, la fille d’un colon français, dont le mariage est prévu incessamment et auquel la gazette locale consacre son éditorial : 

« Nous tenons pour un évènement le prochain mariage de la jeune française Hadriana Siloé avec notre compatriote Hector Danoze. Les familles des futurs conjoints ont obtenu le soutien de nos édiles pour donner à ces épousailles l'éclat d'une bacchanale publique. Après le cyclone Bethsabée, la chute du prix du café sur le marché mondial, la terreur exercée sur les hymens par un extravagant papillon des bois, la disparition récente de Germaine Villaret-Joyeuse, ces noces mixtes viennent opportunément donner à Jacmel l'occasion de rythmer de nouveau sa vie dans la danse et la fantaisie »

De la danse et de la fantaisie, il y en aura. Mais aussi des larmes et de la peine. Il est tout juste 18h00, le samedi 29 janvier 1938, lorsque Hadriana Siloé, drapée d’une robe de soie, de dentelles et d’organdi, s’avance vers l’autel au son des orgues matrimoniaux. Quelques minutes plus tard, sitôt prononcé le oui sacramentel, la belle Hadriana s’écroule raide morte aux pieds du prêtre officiant. A partir de là tout part en sucette. Non seulement la veillée funèbre se déroule sur fond de carnaval, mais voilà que l’on se dispute encore la dépouille de la défunte entre partisans de rituels vaudous et adeptes de la foi chrétienne. Et kif-kif ses funérailles où alternent messe d’adieu, procession de croque-morts, gueules de circonstance… et nouba à tout casser, costumes bariolés, chants de joie et rires orgiaques. Bref, enterrée dans le respect de la liturgie catholique et le paganisme le plus débridé, Hadriana appartient désormais à la terre, ainsi soit-il.
Le lendemain, coup de théâtre : le corps d’Hadriana Siloé a disparu du cimetière de Jacmel. Une évidence s’impose alors aux yeux de chacun : un sorcier vaudou a sorti la belle de sa tombe, puis il l’a ressuscitée pour en faire son esclave. Fin du premier acte.

Dans le deuxième mouvement, une trentaine d’années plus tard, le narrateur s’essaie à une analyse théorique du vaudou et, ce faisant, offre aux lecteurs des clés pour la bonne compréhension du roman (elles m’ont toutes échappées).

Dans le troisième et dernier mouvement, Hadriana fait elle-même le récit de ses aventures en pays zombie et en profite pour lever les mystères entourant sa vie, sa mort et sa résurrection.

(L’impression laissée par ce prix Renaudot est pour le moins mitigée. Sensible à sa drôlerie et à sa poésie, un peu gêné par son érotisme échevelé, et carrément déçu par le caractère fantomatique de ses personnages, au final l’émotion fait défaut et la magie n’opère pas. C’est un livre d’esthète, qui oscille entre rêve et réalité, où la vie et la mort ne font qu’un, comme un couple enlacé ; un livre qui parle encore et toujours d’Haïti, des rapports alambiqués de l’auteur à son île et à sa population bon-enfant, empêtrée jusqu’au cou dans d’insolubles conflits : culturels, identitaires et religieux ; un livre sans plus)

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