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2013/07/14

ANPéRo : La Cène (13/07/2013)


Littérature dégagée des aréoles
Douze étaient les apôtres au dernier repas du Christ, et douze aussi, pieusement réunis autour de leur taulier (longue vie à lui !), les z'ANPéRistes lors de la Grande-Messe d'hier soir. On savait déjà ces derniers fort goulus de matières solides et d'éléments liquides, amuse-bouche, spiritueux et autres bibines à bulles ou à mousse, mais Dieu qu’ils sont bavards lorsqu'ils se mettent à causer de concert : le Verbe haut et assuré, la parole débordante d'esprit, d'idées, d'imagination, ça pétille de partout, et c’est là qu’on regrette de ne pas avoir 6 paires d’oreilles en rab, d’autant qu’il y aurait de la place où les mettre, tout autour de la tête, en sautoir ou en collier, comme quoi la nature n’est pas si bien faite qu'on le dit, ou bien que l'adaptation de l'homme à son milieu n'est pas tout à fait finie, bref, pas moyen de raconter ce qui s’est dit, mais seulement ce qui s'est vu : deux bikers en cuir, dont un Géant-Nordique et un Merle-Moqueur, venus là à dos d'Harley, heureux veinards ; Silicon-Valley : un petit monsieur à la bouille avenante et malicieuse, avec un beau regard d'enfant qui s'étonne derrière des lunettes à verres carrés ; aussi un insondable, intarissable, inexhaustible Puits-de-Science-Infuse ; encore un Peace-and-Love, probable adepte du babacoolisme, voire même de la ganja : bermuda, mocassins en toile Denim et chemisette (à fleurs de cannabacées ?) par-dessus la ceinture ; et puis sa presque parfaite antithèse : un gars d'allure plutôt réservée, mais élégante et distinguée, façon british, un Mister-Lord en goguette... so what ? un Président-sans-Escorte, les yeux usés et le teint pâle, comme blanchit, sans doute un rongeur de papier, passant sa vie dans  les bibliothèques, sous la lumière des halogènes ; et enfin, soutenant le Patron à bout de bras, les incontournables piliers de bistrot, au nombre de cinq, pas moins que l'Islam. Sur le coup de 23h00, deux d'entre eux, deux mecs un peu barrés, faut le dire, causaient sur le trottoir de choses et d'autres lorsque apparue soudain, comme tombée du ciel, l'archangélique Lætitia : une sainte apparition qui mit sur le champ les deux impies en émoi. Pensez donc, une brune à la peau mâte, petite, presque menue, comme on les aime, une fille du Sud, méditerranéenne au moins pour moitié, donc avec du caractère, indépendante et fière, le sang chaud, le corps souple et délié, la langue aussi :
Nourritures terrestres
 - C'est encore ouvert, on peut entrer ? Je voudrais pas déranger...
 - Mais pas du tout, voyons ! Entrez donc, vous êtes la bienvenue !
 - Et 30% de remise à la caisse sur les bouquins d'occasions, faut pas rater l'affaire !
Tu parles d'une paire d'idiot : deux aboyeurs de foire surpris à faire la promo d'une boutique plutôt que de mettre en valeur, aux yeux de la Ravissante-Beauté, leur physique d'athlète et leur savante érudition. Quel manque d'à propos ! Quel excès d'amitié et de sollicitude envers le taulier, l'opportuniste, l'habile, l'ingrat, le matois taulier, qui avançait déjà ses pions sitôt la brebis entrée en ses murs :
 - On s'est pas déjà vus, mam'zelle ?
 - Ah ! quelle mémoire ! C'était il y a deux ans et vous n'avez pas oublié ?
 - Comment le pourrais-je !
 - Vous me flattez...
 - Non, non, c'est sincère, vraiment, je vous assure...
Sur le visage de l'exquise créature du bon dieu s'esquissa alors une moue dubitative, et on la vit un court instant hésiter à cataloguer son loustic dans le rayon des mémorialistes de génie ou dans celui des coureurs de jupons, mais :
 - Je m'en souviens comme d'hier, mademoiselle, nous avions longtemps discuté d'Ange Bastiani, le fabuleux auteur de polar, de son vrai nom Victor Marie Lepage.
Et c'était fichtre vrai ! Elle en convint aussitôt, un sourire d'extase aux lèvres, lequel lui allait d'ailleurs à ravir. Toutefois, encore un peu indécise à pénétrer plus avant dans le sanctum sanctorum, elle demanda :
Comme un péché
 - Puis-je entrer ne serait-ce qu'un moment ? Je ne voudrais pas gâcher votre soirée en vous imposant ma présence...
 - Écoutez, les livres sont nos amis les plus fidèles, et donc vous êtes ici entourée d'amis : il n'y a aucune raison de vous inquiéter, absolument aucune, croyez-moi.
 - Alors ça tombe bien, s'enhardit-elle, j'ai justement ici un livre qui cherche son ami…
Et elle sortit de son sac la première édition de Du rififi chez les femmes, d'Auguste Le Breton. Hélas, mais l'histoire aurait sans doute été trop belle, le taulier n'avait pas sous la main Du rififi chez les hommes, pour lui tenir compagnie.
 - Eh bien tant pis, fit-elle, légèrement dépitée.
 - Peut-être une autre fois... Revenez quand vous voulez !
 - Alors à bientôt...
Et la divine apparition s'en fut comme elle était venue : d'un grand coup d'ailes.

2 commentaires:

  1. René Leys19/7/13 15:33

    Merci, c'est exactement ça. Il aurait fallu beaucoup d'oreilles pour tout entendre, mais quelque soit notre emplacement dans la soirée ou notre rôle dans ton histoire, une seule paire d'yeux a suffi à chacun pour se sculpter le même souvenir doux et amer en voyant disparaître l'éphémère

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  2. L'un des cinq piliers : l'élégance. Merci à toi, mon cher René, pour ton commentaire qui me va droit au cœur.

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