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2013/08/25

ANPéRo : Les Vivants et les Dieux (23/08/2013)

18h00, boulevard Voltaire, dans le temple de Delphes, au pied du Mont-Louis, parlèrent l'oracle et la Pythie, aussi les fils de Gaïa, les trois muses et quelques barbares :
   - En oïda oti ouden oïda...
   - Pardon ?
  - La p'tite dame cherche un helléniste, vous causeriez pas le Grec ancien des fois ?
  - Ni grec ni latin, à peine le français, c'est pour dire.
  - Ah ! Et pour dire quoi ?
  - Façon de parler ! Par exemple, moi je dis toujours indépassable, mais j'suis pas sûr que ça soye correct, ni même qu'ça existe.
  - Faut voir... c cédille ?
  - Plutôt deux s !
  Le doux bruissement d'un livre qu'on feuillette, et puis :
  - Indéniablement... Indentation... Indépassable : adjectif — 1886 ; de in et dépasser ♦ Qu'on ne peut dépasser.
  - Yé bien fé dé passer !
  - Ha ha ha ! très drôle, ouais, vraiment très drôle. N'empêche que...
Librairie Entropie
(Photo de Stéphane)
  - N'empêche que quoi ?
  - Ma locution : En oïda oti ouden oïda ?
  - 'ffectivement...
 - Le seul qui pourrait vous dépanner c'est Bidulopoulos.
  - Il est polyglotte ?
  - Mieux que ça : une vraie lumière !
  - Le phare d'Alexandrie ! 
  - Un dieu vivant !
Entre alors un cinquième personnage, une bouteille pleine dans chaque main, une autre déjà vide derrière le gosier :
  - Un Dieu vivant ? On parle de moi ?
 - Hourrah ! Hourrah ! Joie et prosternation ! Y a Madame ici-présente qui cherche un spécialiste des langues exotiques, un expert ès rastaquouère, on a pensé à toi.
  Flexion de genou, inclinaison du buste et baise-main pour finir, le polyglotte est galant homme :
  - Bidulopoulos, pour vous servir, ma belle ! Kya haal hey orat ? Comment allez-vous ? C'est de l'Ourdou, un idiome assez rare, et très difficile, mais que nous maîtrisons à la perfection. Nous parlons aussi couramment l'Araméen — le talmudique ou le syro-chaldaïque —, le Sanskrit et le Yiddish, bien évidemment, ainsi que l'Azéri, le Kazakh, l'Ouzbek, et toutes les variantes de la famille altaïque, encore le Kalmouk et le Mandchou, l'Occitan et le Morvandiau, le langage des signes, plus quelques notions d'espéranto et de javanais, ces dernières fort peu utiles, il faut bien le reconnaître.
  - Suis z'épatée !
  - Toutefois, si madame souhaite une traduction dans une langue plus commune, il va sans dire que nous lisons également dans leur version originale les oeuvres de Goethe, Shakespeare ou Dante Alighieri : Apri a la verità che viene il petto ; e sappi che, sì tosto come al feto l'articular del cerebro è perfetto etc etc...
  - Ça alors !! Et le Grec ancien ? Il le parle aussi, j'imagine ?
  - Euhhh... Le Grec ancien, dites-vous ? Eh bien...
  - Eh bien quoi ?
  - Eh bien... ma foi... non... pas du tout...
  - Ah, décidément ! J'ai vraiment pas de pot !
  Consternation générale :
  - Pfff...
  - Quelle poisse !
  - C’est la guigne, oui, la pouille, la misère, la débine !
  - Abditi in tabernaculis suum fatum querebantur, ce que disait César dans la Guerre des Gaules, livre premier, chapitre 39.
  - Eh ! Oh ! Dis ! Ça va bien comme ça, hein !
  - Un p'tit remontant, m'dame ?
  - C'est pas de refus, oui !
  Le long glouglou des verres qu'on remplit, puis le drelin-drelin de la porte d'entrée qui s'ouvre :
  - Ben j'arrive à temps, dites donc ! Vous m'en mettez un, patron ?
  - Muscadet ? Sauvignon ?
  - Va pour un Sauvignon... Z'avez de ces tronches d'enterrement ! Y a quelqu'un qu'est mort ?
  - Tout comme ! C'est la Môme que v'là, un problème de traduc' : En oïda oti...
  - En oïda oti ouden oïda, autrement dit : je ne sais qu'une chose, c'est que je ne sais rien. Merci qui ?
  Acclamations collectives, vivats, bravos et autres cris d'allégresse entourent l'érudit, qui enchaîne humblement :
  - Réflexion socratique... base de la philosophie... vague souvenir de lycée... un professeur barbu... la voix grave... le dos un peu vouté... devant son tableau noir... Gnôthi seautón : Connais-toi toi-même... l'injonction de la Pythie, gravée ici aussi, sur le fronton du temple.

Fin de séquence.

5 commentaires:

  1. Magnifique, Bruno, tu m'épates une fois de plus !
    Félicitations : tu as décidément l'art de saisir l'esprit subtil d'un ensemble confus de moments épars…

    (même en trichant un peu, puisque c'était "indéplaçable", et non "indépassable"…)

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  2. En vérité, je vous le dis, j'ai beaucoup triché... en espérant qu'il me serait beaucoup pardonné.

    Echange de politesse : je n'ai fait que saisir un moment parmi tous ceux que tu nous a offert ce soir-là.

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  3. 1) Obéissante, fait rare chez moi, j’ai transmis le message, les photos, le lien, etc. à mon amie. Avec le commentaire suivant : « le texte est délicieux, clique sur le lien, et les photos, comme j'aime ! »
    Et voici sa réponse : « Taos, c’est indéniable, presque(*) toutes les muses ont inspiré ce noble apéro… milles pardons, ce noble aéropage !
    Paídzôn hé...spoudádzôn comme disait Socrate
    Λόλο
    (*) il me semble que Melpomène et Uranie manquaient à l’appel. A moins que la première n’ait été (nétété ?) en train de cuver discrètement à la cave, pendant que la seconde scrutait la voie lactée.

    2) Pour la prochaine rencontre, je choisirai un fut' qui lèvera toute ambigüité quant à mon éventuel sponsoring par Hartmann :-((

    3) Bruno, tu n’es pas obligé d’attendre nos rendez-vous pour faire d’autres billets, avec un maximum de triche idéalement

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