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2013/10/27

L'autocritique

Loin de moi l'idée de comparer deux systèmes politiques sans doute aussi totalitaires l'un que l'autre —nazisme et communisme—, ni de soupeser comme le font certains les crimes d'Hitler et ceux de Staline, souvent à seule fin de montrer que la balance s'équilibre, que c'est l'exacte même chose : pourritures en tout point semblables, air dégoûté et sous-entendu implicite : Mélenchon/Le Pen = blanc-bonnet/bonnet-blanc... D'accord ? M'ouais ! Sauf qu'on ne rejoint pas les rangs du Front de Gauche pour les mêmes raisons qu'on rejoint ceux du FN. Et qu'hier non plus les motivations d'un militant nazi n'étaient pas vraiment analogues à celles d'un militant coco. Entre ces deux hommes, parfois si jumeaux d'apparence, beaucoup plus qu'une simple nuance : opposition radicale et presque antithétique. Ah, l'homme ! sa vérité profonde et son essence ultime — celles qu'on finit toujours par trouver quand on creuse en-deçà du système derrière lequel ce malheureux s'abrite —, l'humain ! c'est ça qui compte.
Elections législatives de 1945
Et puis on dit aussi que les extrêmes se rejoignent, et c'est vrai... mais seulement sur les champs de bataille. Parce que si les USA ont effectivement libéré l'Europe du nazisme en débarquant sur les plages d'Utah et d'Omaha, si 400 000 américains ont été fauchés dans la fleur de l'âge, il ne faudrait jamais oublier qu'Hitler avait déjà perdu la guerre deux ans plus tôt, à Stalingrad, aussi que ce sont 21 millions de soviétiques, dont 7,5 millions de civils, qui sont morts durant le conflit, et enfin que bon nombre d'entre-eux étaient communistes, pas nazis : com-mu-nis-tes ! Voilà une série d'évidences toujours bonnes à rappeler et encore meilleures à écrire.

Militant communiste, Jorge Amado l'a été de 1932 à 1956. On ne peut plus nobles les raisons qui l'y ont poussé et on ne peut plus cher le prix qu'il lui en a coûté. Non pas l'exil, la prison, les livres interdits ou même brûlés publiquement, mais l'immense désillusion de quiconque a beaucoup trop espéré.
Entre l'année où Jorge Amado prend connaissance des tortures à Budapest, des purges tchèques ou encore de l'antisémitisme en Russie, et l'année où il rompt avec le Parti, il s'écoule cinq ans : le temps qu'il lui aura fallu pour solder ses comptes. Aurait-il pu rompre plus tôt ? Il faut croire que non. Et s'il est difficile d'expliquer ici ce qu'il ne s'explique pas lui-même, on peut cependant s'en faire une vague idée en lisant certains passages de son avant-dernier livre, Navigation de Cabotage, publié en 1992, à l'âge de 80 printemps :

Budapest, 1951 - honneur et orgueil

  Je me trouve à Budapest qui est en effervescence, en plein procès Rajk, les procès de l'ère stalinienne vont se répéter maintenant de pays en pays, dans toutes les démocraties populaires. La rupture entre Tito et Staline a donné le signal des grandes purges, le Saint-Office communiste commence son inquisition. Crédule, inconditionnel, je crois aux histoires de complots et de trahisons, je vois en chacun des accusés un ennemi juré de la Révolution, de la classe ouvrière, de la splendeur des lendemains.
  A la terrasse du bar quelques amis se retrouvent pour boire avec moi, parler, saluer le camarade brésilien, écrivain bien vu des lecteurs [...] La discussion du procès Rajk supplanta les banalités littéraires, la misère du tiers-monde, l'érotisme des femmes tropicales, le ton monta.
  Le jeune poète s'échauffe [...] Il dit que la confession d'un des accusés — de tous, m'apprend-on ensuite — a été arraché sous la torture par la police politique. Torture ? Je dois avoir mal entendu, il n'a certainement pas parlé de torture, qu'a-t-il dit ? — j'interroge, anxieux, à l'agonie. Mon honneur et mon orgueil consistent à savoir, avec une certitude absolue, que dans un régime communiste, dans une société socialiste, jamais, au grand jamais, un prisonnier ne pourra être soumis à la torture : intellectuelle, morale, encore moins physique. Ma stupéfaction, mon effroi provoquent les sarcasmes, on raille ma sainte ingénuité, je dois être le dernier des crétins, qui ne sait que la torture fait rage ?
  Anéanti, j'écoute de la bouche des présents, dans le bruit confus de la langue hongroise, dans la traduction implacable, des histoires à faire frémir, des détails qui me vont au cœur  me brisent, je me sens déshonoré, souillé dans mon orgueil communiste : on torture, oui, et comment ! Les policiers qui servent et défendent le régime sont les mêmes que du temps de l'occupation nazie, la profession de gardien de l'ordre est au-dessus des idéologies.
  Fiévreux et glacé je passe ma première nuit de doute, le cœur transpercé, l'estomac retourné, l'envie de vomir : la police communiste me frappe et me piétine, m'oblige à confesser ce que je n'ai pas fait. Ainsi a commencé ma traversée du désert.

~oOoOo~

Prague, 1951/1952 - la peur

  Je peux toucher la peur avec la main. Dressé devant nous le mur de la honte dans la visite du Saint-Office communiste. Il sépare la vie et la mort, la mort infamante des traîtres, personne n'est à l'abri des menaces, ni le plus illustre ni le plus puissant : bouches fermées, regards fuyants, le doute, la défiance, la peur.
  Sur les potences staliniennes se balancent les cadavres de notables des principautés tchèques et slovaques, hier encore maîtres de la corde et du garrot, Slansky, Clementis, Gaminder, le sommet du Parti. Avant, on avait déjà exécuté Rajk en Hongrie, la vague de procès et de purges s'étend dans le monde socialiste, les confessions et les sentences. A Prague, Artur London a échappé à la mort, il a été condamné à la prison à perpétuité : aussi il avait confessé des crimes monstrueux. Certainement les renégats l'avaient trompé, car il nous est impossible, à Zélia et à moi, de croire que Gérard [nom de guerre de London], héros de la guerre d'Espagne et de la Résistance, le plus loyal des communistes, soit un traître.
  [...] J'ai eu affaire à Gaminder, secrétaire des relations extérieures du Parti communiste au pouvoir en Tchécoslovaquie. Attentif et courtois, il écoute ma requête au nom du PC brésilien dans l'illégalité, potentat il accorde les grâces, les faveurs.
  [...] Je m'efforce de faire mon devoir, ce n'est pas facile d'être digne, correct quand la peur dresse la muraille de la défiance et du doute, que chaque mot, un simple geste, peut mener au tribunal de l'Inquisition. Moi aussi j'ai peur, je ne suis pas Bayard, le chevalier sans peur et sans reproche. Sans reproche, oui, car je me sens au-dessus de tout soupçon, je me considère comme un militant dévoué, loyal, fidèle, intransigeant, je considère l'Union soviétique comme la patrie de tous les opprimés et je vois en Staline le père des peuples et de chacun de nous. Que puis-je craindre, alors ? Je ne suis pas sans peur pourtant : quand je pense à London que je crois innocent, la terreur m'envahit. Mais je vais de l'avant, je ne suis pas intrépide, oui j'ai de l'appréhension, me soutient le fait d'être prix international Staline, récompense majeure d'une fidélité inconditionnelle. Je prends des risques mais je le fais la peur au ventre, et je le fais parce que sinon je perdrais le goût de vivre et certainement je perdrais Zélia. Je vais de l'avant, je crois posséder une certaine marge d'immunité qui me permet l'honneur, une monnaie rare.
  [...] Jours de peur, maudits, misérables, ils se prolongent en semaines et en mois de malheur. Les doutes grandissent, nous ne devons pas douter, nous voulons conserver notre croyance intacte, notre certitude, notre idéal. Dans les nuits sans sommeil nous nous regardons, Zélia et moi, la gorge nouée, une envie de pleurer.

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Rio de Janeiro, 1952 - Le monde de la Paix

  Tâche politique, de retour d'Union soviétique et des pays des démocraties populaires de l'Est européen, j'écris un livre de voyage, l'éloge sans restrictions de ce que j'ai vu, tout ou presque me paraît positif, stalinien inconditionnel j'ai tu le négatif comme il convenait. Pour parler de l'Albanie, j'ai plagié un titre d'Hemingway : L'Albanie est une fête. En vérité ce n'était pas encore le cauchemar que c'est devenu, ça commençait.
  Publié au Brésil par les éditions du PC, O Mundo da Paz (Le Monde de la Paix) eut cinq éditions successives en peu de mois, il me valut un procès en justice comme auteur subversif. Je demandai à João Mangabeira d'être mon avocat mais il n'eut pas à aller au tribunal, le magistrat chargé du procès le fit classer muni d'un avis plein de sagesse : le livre est si mauvais qu'il n'est pas même subversif, il est seulement sectaire. En vérité il n'écrivit pas "si mauvais", c'est moi qui l'ajoute, une autocritique tardive mais sincère.
  J'ai donné raison au Méritissime, j'ai retiré O Mundo da Paz de la circulation, je l'ai rayé de la liste de mes œuvres  je cherche à l'oublier mais, de temps en temps, on met devant moi un exemplaire en me demandant de le signer. Je le signe, que puis-je faire d'autre puisque je l'ai écrit ?

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Vienne, 1952 - les mauvais élèves

  Dans la clandestinité du Parti communiste brésilien, vers 1953, nous fûmes camarades au cours Staline. Les yeux bandés, après un parcours de plusieurs heures on arrivait au local du cours clandestin, quelque part dans la zone rurale, les leçons données par les dirigeants duraient un mois. Mais nous étions déjà, René [Depestre] et moi, pris de doutes et certaines assertions des professeurs nous donnaient le frisson. Nous et Alina Paim, élève elle aussi, également envahie par l'inquiétude.
  Je me rappelle comme si c'était hier une classe sur la révolution chinoise, la mention faite par le conférencier d'un document du PC de Mao recommandant que les enfants dénoncent leurs parents — obligation du militant : vaincre les sentiments bourgeois de la famille, accomplir son devoir révolutionnaire. Il ne s'agissait pas d'une invention maoïste, d'une nouveauté. En URSS on avait mis sur un piédestal un enfant qui avait agit ainsi — il avait espionné ses parents et les avait dénoncés, les avait envoyés au bagne, un héros staliniste. Le professeur s'emporte contre la morale bourgeoise.
  Assis à côté de moi au premier rang, René me fait discrètement du coude, de l'autre côté de la salle le regard malheureux d'Alina Pail. Des leçons que nous ne parvenons pas à apprendre, des valeurs que nous ne parvenons pas à accepter, communistes inconséquents que nous sommes, incapables de vaincre les préjugés, de renoncer au sentiment vulgaire d'amour de ses parents.
   - Dénoncer ses parents... Je préférerais me tuer, considère Aline à l'heure de la récréation.
   - Quelle connerie ! crache René, il écrase le crachat avec le pied.
   - Une dose pour éléphant, dis-je.
  Atterrés, trois mauvais élèves de marxisme-léninisme au cours Staline.

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Moscou, 1953 - les larmes

  Je descends de l'avion qui nous amène de Vienne, Zélia et moi, il est cinq heures du soir, c'est la nuit noire à Moscou, un hiver rude, nous sommes en janvier 1953 [...]
  Vera [Kuteichkova] vient prendre le petit déjeuner avec nous à l'hôtel. Je lui tends le dernier numéro de la Pravda, je lui demande de me traduire tout de suite la manchette qui occupe le haut de la première page, ça me paraît être une nouvelle importante. Vera avait lu le journal avant de partir de chez elle, pourtant, au lieu de me donner immédiatement l'information, elle prend la gazette, traduit. Il s'agit de la découverte d'un infâme complot nord-américain pour assassiner Staline. Les infâmes, les monstrueux agents de la conjuration sont des médecins, les médecins les plus éminents de l'URSS, qui ont la responsabilité de veiller sur la santé des potentats du Kremlin — tous des Juifs, informe la Pravda.
  Abasourdi, sans savoir que dire, que penser, je vois Vera devant moi. Immobile, elle serre les poings, se mord les lèvres, les larmes coulent de ses yeux. Nous n'avons pas besoin de parler pour comprendre.

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Pékin, 1957 - Ting Ling

  La fin de notre séjour en Chine approche, nous étions arrivés, Pablo [Neruda] et moi, dans l'illusion créée par le discours de Mao sur les mille fleurs qui, sur son injonction, devaient s'ouvrir au soleil du jour, nous constatons qu'au contraire l'horizon se fermait. Un haut personnage du PC de l'URSS me dira à Moscou, quelques jours plus tard, que le discours de Mao n'avait été qu'un piège : les adversaires de l'idéologie dominante s'étaient laissé prendre à ces bonnes paroles, ils avaient mis la tête dehors, ç'avait été plus facile de les couper. Comment croire à cette interprétation ? — il y a tant de choses difficiles à croire, de vérités impossibles.
  Les ombres descendent sur nous, recouvrent nos amis, où sont ceux qui ont disparu ? demande Neruda d'une voix sourde. Emi Siao fut le premier à disparaître, bientôt ce fut le tour de Ai-Ching, les deux poètes du régime [...] Enfin Ting Ling cessa d'apparaître, elle ne vint pas terminer le dialogue sur les problèmes du récit que nous avions entamé. C'est l'avant-veille de la terreur nommée Révolution culturelle, mal nommée — il y eut des gens en Occident pour jurer par Jiang Quing [femme de Mao], j'étais hors du circuit, guéri du stalinisme, immunisé contre les virus des radicalismes. Ting Ling était la plus éminente personnalité du roman chinois, ses romans, classiques de la littérature révolutionnaire, étaient traduits dans des dizaines de langues [...] La romancière avait pris part à la Longue Marche aux côté de Mao, à toute la guerre de libération, le peuple l'aimait, où qu'elle arrive elle était entourée d'affection, je peux en témoigner. [...] On a retiré à Ting Ling ses titres et ses charges, elle était présidente de l'Union des écrivains chinois, on l'a destituée, on l'a condamnée à nettoyer les latrines du bâtiment de l'Union, elle est morte en exécutant cette tâche.
  [...] Elle était gaie, de cette gaieté retenue des Chinois, timide, réservée, la méchanceté et l'hypocrisie lui répugnait, elle connaissait la lutte pour l'avoir vécue, elle gardait confiance, comme Anna Seghers elle ne voulait pas perdre la foi. Quand je lui parlai des doutes qui me torturaient le cœur, elle me répondit : tu doutes seulement parce que tu constates des erreurs, des injustices ? Ting Ling ne doutait pas. Ou n'admettait pas de douter ? Elle me dit : si je marche dans la boue, je me nettoie les pieds et je continue.
  La dernière fois que nous nous sommes vus, en nous quittant — demain nous poursuivrons notre conversation, elle sourit tristement, elle savait déjà que la conversation n'aurait pas de suite —, Ting Ling revint sur ses pas pour encore une fois nous serrer la main, à Pablo, à Mathilde, à Zélia et à moi, nous ne nous sommes pas rendu compte qu'elle était revenue pour le dernier adieu.

~oOoOo~

Rio de Janeiro, 1957 - fonds

  La campagne de déstalinisation va bon train en Union soviétique, elle ne va pas durer longtemps, la mémoire des tyrans trouve toujours des fanatiques qui la soutiennent. Khrouchtchev change le nom du prix Staline, il s'appelle désormais prix Lénine, décret avec effet rétroactif.
  J'ai été un staliniste d'une conduite irréprochable, sous-chef de la secte, sinon évêque au moins monseigneur, j'ai découvert l'erreur, ça m'a coûté du travail et de la souffrance, j'ai laissé la messe au milieu, je suis sorti en douce. Ce n'est pas parce que je me suis rendu compte de mon erreur et ai abandonné le bercail que j'ai caché et nié avoir reçu un jour de gloire, avec un honneur et une émotion difficilement imaginables, le prix international Staline.
  Voici que me parvient une lettre du comité du prix m'annonçant le changement, je cesse d'être prix international Staline pour être prix international Lénine, la lettre est accompagnée d'une médaille en or à l'effigie de Vladimir Illitch pour remplacer la première, celle de Joseph Vissarionovitch, d'un diplôme fraîchement délivré à suspendre au mur à la place du précédent. Le président du comité demande la rétrocession sans délai de la médaille et du diplôme qui, à la solennité de Moscou, m'avaient été remis par Ilya Ehrenbourg.
  Je reçois sans enthousiasme médaille et diplôme et les mets dans le tiroir où se trouvent les anciens. Mais je ne réponds pas à la demande de rétrocession, je garde les uns et les autres : on m'a attribué le prix Staline, moment culminant de ma vie, pourquoi renvoyer la médaille en or, le parchemin du diplômé ?
  Les deux médailles, les deux diplômes se trouvent aujourd'hui dans le fonds de la Maison du Largo du Pelourinho, à Bahia — là on peut les voir à côté d'autres parements et ornements.

D'autres passages et d'autres souvenirs d'Amado sont lisibles ici.

Quant aux Souterrains, c'est par-là.

2013/10/26

Essais de servitude volontaire

Marc Ogeret a commis un album de chansons "contre", réédité en CD en 1988. Une série de textes rappelant la violence des rapports sociaux, politiques et religieux d'il y a peu de temps, en fait. Il est donc sain de se les remettre en tête, car l'hiver approche :
01 Le déserteur
02 Nos vingt ans
03 Le conscrit
04 Révision
05 Les conscrits insoumis
06 J'avions reçu commandement
07 Gloire au 17e
08 Faut plus de gouvernement (plus, genre plus, du tout, pas comme +. Du tout !)
09 Plus de patron
10 Le triomphe de l'anarchie
11 La Marseillaise anticléricale
12 La carmagnole
13 L'expulsion
14 1er Mai
15 Chanson du père Duchêne
16 Le père La Purge
17 Fille d'ouvriers
18 Le métingue du métropolitain
Voici le genre d'airs que l'on peut entendre à la librairie Entropie, notamment lors des intermittents ANPéRo, La servitude n'était pas encore aussi volontaire qu'aujourd'hui. Les mutinés d'alors ne sont pas les révoltés du bounty (avec un petit b), décris tout à l'envers dans oRéPNA (3102 erbotco 11). On y ouït aussi des génériques de France Culture, y'a pas que la révolution dans la vie. Et puis c'est quand même la thématique des ANPéRo. Parmi ces derniers, un morceau d'interlude des "Chemins de la connaissance" (très ancienne mouture, septembre 1987, autour de Françoise Dolto et Juan David Nasio) nous faisait (re)-découvrir Barre Phillips, pour son Journal Violone II part 1. Bassiste, qui honore le sud de la France de sa présence, depuis une quarantaine d'années. Et quelle surprise en replongeant dans la médiathèque ECM, l'on découvre l'une des voix de Barre Phillips. Claudia Phillips (and the Kicks). La fille du Monsieur. Qui nous donna dans années 80 (oh nooooo!) un tube de dentifrice coloré & cathodique : Quel souci (Montagne et la Boétie). Une ode à la littérature :
Quel souci
Qu'est-ce qu'on s'instruit
Qu'est-ce qu'on lit
C'est dommage.

Jorge Amado : Les Souterrains de la Liberté (T1-T2)

« Ecrit durant les années 1951/1953, publié pour la première fois au Brésil en 1954, le roman Les Souterrains de la liberté porte en lui, à travers sa composition, sa forme et son contenu la marque de l'époque où il fut conçu. C'est un roman daté et sa conception correspond à la bataille que nous menions contre la guerre froide et ses conséquences.
Je ne désire pas discuter ni m'expliquer, seulement constater. Je n'ai jamais voulu ni accepté de réécrire aucun de mes livres, les éditions se succèdent, toujours pareilles, il n'y a que les coquilles typographiques qui vont croissant et qui s'accumulent au long des années. Aucune édition n'a été revue, actualisée ou corrigée [...] Ce sont par conséquent des documents sur ma façon de voir, de penser et d'agir quand je les ai mis sur le papier. Mes livres témoignent de ma vie d'homme et d'écrivain (l'homme et l'écrivain formant un tout indivisible) à l'époque dramatique, terrible et magnifique qui est la nôtre, époque d'horreur, de menaces, de luttes et d'espoirs, de tueries et de morts, de sang versé, de cruelles injustices. Ils reflètent ma façon de combattre l'oppression, la faim, la misère, l'obscurantisme, les préjugés les plus divers, la dictature, de lutter pour la liberté et pour l'avenir, ils reflètent chaque moment de ce combat, de cette lutte que j'ai commencée avec la publication de mon premier roman et que je continue à mener avec le livre auquel je travaille en ce moment.
Les Souterrains de la liberté correspondent à une certaine façon de voir le monde, les hommes, la société, la réalité, en une époque déterminée, à un processus littéraire inhérent à beaucoup d'écrivains directement engagés dans la bataille politique [...]
En accomplissant notre devoir d'écrivains, nous qui militions au plus dur du combat, nous subissions des influences immédiates et circonstancielles qui marquent la littérature de ce temps. Pour la situer on peut parler de Jdanov et de Staline, reconnaître des erreurs politiques et condamner d'énormes injustices, mais je crois que la passion véritable qui anime ces livres reste intacte [...]
Je peux dire — et j'en suis fier — que mon oeuvre de romancier a pour héros le peuple brésilien : j'ai cherché, et je crois avoir réussi, à fixer dans mes livres le visage de mon peuple, à raconter sa vérité et à garder vivant son espoir. »
(J. Amado, dans sa préface à la première et dernière édition française publiée en 1984 aux Ed. Messidor)

On l'aura compris, Les Souterrains de la liberté est assurément le livre d'Amado le plus éminemment politique de toute sa carrière, sans doute aussi le plus "engagé", dans le droit fil du roman d'Aragon : Les Communistes. Deux livres somme toute assez comparables, avec les défauts et les qualités inhérents à leur genre : parti pris, idéologie partisane... et fresque historique aussi passionnante qu'émouvante, avec pour toile de fond la vie clandestine, les dissensions internes au Parti, les grèves ouvrières, la répression policière ou encore le pacte germano-soviétique.
Découpé en trois volumes d'égale importance (Les temps difficiles / L'agonie de la nuit / La lumière dans le tunnel), le livre retrace la lutte menée par une partie de la population brésilienne contre la dictature de l'Estado Novo qui domina le pays de 1937 à 1945.
Tout comme en Europe à la même époque, trois forces principales sont ici en présence :
  • le courant libéral-conservateur (Armando Sales de Oliveira)
  • le Parti Communiste Brésilien (Luís Carlos Prestes)
  • le mouvement Intégraliste (Plínio Salgado, fasciste d'inspiration mussolinienne).
Ces trois forces gravitent autour de l'incontournable et très complexe figure de Getúlio Vargas, un homme politiquement inclassable, d'aucun parti à proprement parler, tantôt d'un bord, tantôt d'un autre : naviguant du socialisme le plus avancé au nationalisme le plus débridé, tour à tour autoritariste, populiste puis démocrate, qualifié de dictateur par les uns, de "Père des Pauvres" par les autres, en un mot : varguiste.

L'action du roman débute en octobre 1937, à la veille du coup d'état du président Vargas, et s'achève en novembre 1940, au terme du troisième et dernier procès intenté par l'Etat contre Carlos Prestes. Elle se situe dans la ville de São-Paulo, sur les quais du port de Santos et dans l'épaisse forêt du Mato-Grosso — parfois aussi sur les boulevards parisiens durant l'Occupation et dans l'Espagne en guerre du général Franco : partout où la lutte contre l'exploitation, la tyrannie, la misère, s'avère nécessaire, partout où l'histoire s'écrit avec le sang de milliers d'hommes, partout... sauf en URSS. Mais celle-ci est cependant omniprésente tout au long du récit, tant dans l'esprit des militants et des sympathisants du Parti que dans celui de leurs adversaires déclarés. Pour les uns, l'Union Soviétique représente le rêve, l'idéal, l'espoir, la lumière ; pour les autres : la pire des menaces, les ténèbres sans fin, le plus monstrueux des cauchemars. Et entre ces deux pôles opposés, à mi-chemin des extrêmes, la cohorte des indifférents, des opportunistes et autres sceptiques, tout un panel humain qu'Amado dissèque à loisir, plongeant et remuant sa plume au cœur de la société brésilienne afin d'explorer une à une ses différentes strates — ouvrière, paysanne, bourgeoise, artistique, intellectuelle, financière — chacune d'elle étant incarnée par une foule de personnages tirés de la réalité (*). De sorte que le principal intérêt du livre, indépendamment des partis pris de l'auteur, repose sur la confrontation des points de vue des uns et des autres, ce qui les motive et les détermine.
Les portraits psycho-sociologiques qui en découlent sont à mon avis assez bien sentis, souvent antagonistes mais à peine outrés. Radicalement différentes en effet les façons d'être et de concevoir la vie de Manuela, une jeune fille pauvre, intègre, naïve et romantique, de celles de Lucas, son frère aîné prêt à tout pour devenir l'homme riche et puissant qu'il a toujours rêvé d'être. Inconciliables aussi le rapport au monde et la relation aux autres de João et de Paulo, de l'ouvrier follement épris de justice et de liberté, et du fils privilégié d'un vieux diplomate, blasé de la vie, noceur invétéré, cynique en diable, etc.

Alors oui, comme le dit Amado dans sa courte préface, il y a des erreurs de jugement, des choix politiques pas toujours judicieux, aux conséquences parfois déplorables, mais au-delà de tout ça, par-delà nos opinions et nos positions, qui sommes-nous ? Quelles sont les valeurs fondamentales qui nous constituent, les sentiments profonds qui nous animent (et parfois nous dominent) ? Vers quoi chacun d'entre-nous tend, selon quels modèles et quelle ligne directrice ? Que désirons-nous et qu'espérons-nous ? voici quelques-unes des questions que soulèvent cette lecture.

En 1956, trois ans après avoir écrit Les Souterrains, et suite au rapport Khrouchtchev dénonçant les crimes de Staline, Jorge Amado quittait le Parti communiste sans pour autant renoncer à défendre l'idéal pour lequel il y avait adhéré : une société sans classes, égalitaire et pacifiste. Mieux, en se consacrant exclusivement à son travail d'écrivain désormais affranchi des dogmes, Jorge Amado ne trahira ni le peuple ni sa cause, mais les épousera d'un même mouvement, en ajoutant au tragique de certaines situations la drôlerie des individus et sa propre fantaisie. Au fil des années son tempérament foncièrement libertaire ira s'épanouissant, mais il restera toute sa vie un homme-de-gauche, désaffilié du Parti mais toujours ancré dans ses traditions, un peu à l'image des deux personnages de son roman suivant, Nacib et Gabriela, qui après s'être mariés, puis séparés, finissent par redevenir amants, mais dans une libre relation, sans exigence de fidélité ni d'allégeance d'aucune sorte.

(*) Hermes Resende = Gilberto Freyre / Marcos de Sousa = Oscar Niemeyer / Shopel = Augusto Frederico Schmidt / Cicero d'Almeida = Caio Prado Júnior / Apolinário = Apolônio de Carvalho / Saquila = Herminio Sacchetta / etc.

Une toile de Clóvis Graciano (1907-1988)
Extraits :

Trois considérations sur l'amour (Manuela / Marieta / Mariana) :

Manuela était nerveuse [...] Elle savait, et d'une manière totale, qu'elle allait se donner à Paulo. Elle ne doutait pas de ses promesses de mariage ni de son amour et ne considérait pas ce don de soi comme un sacrifice. Mais elle avait été élevée dans le sentiment que le mariage doit précéder le lit et elle avait du mal à accepter cette idée nouvelle, que Paulo répétait à chaque instant. Que dirait Lucas [son frère] s'il venait à l'apprendre ? Que dirait tante Ernestina et les vieux grands-parents ? Mais elle comprenait qu'il lui était impossible de résister plus longtemps, elle ne trouvait même pas en elle le désir réel de le faire. Elle l'aimait d'un amour infini, un amour fou de jeune fille pauvre et modeste pour le prince charmant. S'il la désirait tant, pourquoi lui refuser ce qu'il demandait ? [...]
Je ne dois pas avoir peur, pense-t-elle, avoir peur de Paulo, être injuste envers lui, douter de ses sentiments, de son amour, de sa promesse de mariage. Il avait donné sa parole d'honneur qu'il se marierait aussitôt promu, que pouvait-elle désirer de plus ? C'était même injuste de sa part de se refuser à lui, injuste envers lui et envers elle-même, car Manuela sentait bouillonner dans son sang le désir d'être entièrement à lui, de le sentir comme une partie d'elle-même. Après la première [représentation], qui sait? Elle sourit, troublée à cette idée, ah ! quelle chose compliquée, l'amour ! Un mélange de joie et de crainte, de bonheur et de souffrance...
Marieta Vale, la femme enviée du millionnaire, pensait, elle aussi, pendant ses heures solitaires au milieu du luxe, des visites, des expositions, des soirées au théâtre et des fêtes, que l'amour était amer comme du fiel, qu'il était souffrance aiguë, tourment désespéré. Elle, elle s'en moque du mariage, des sentiments délicats, des mots romantiques, ses problèmes sont différents. L'amour pour elle ne signifie pas la même chose que pour Manuela, elle ne possède pas la même complexité de sentiments. L'amour n'est pas pour elle la vie matrimoniale, le dévouement à son mari, la lutte pour bien élever ses enfants. Elle n'avait pas acquis sa conception de l'amour au sein d'une famille petite-bourgeoise, débordant de religion et de préjugés. L'amour pour elle signifie la possession, la passion de la chair délirante, les rencontres clandestines dans les garçonnières, les fêtes arrosées au champagne, c'est un amour limité mais pour cela même d'une brutale violence. Le mot amour ne veut rien dire d'autre pour elle. Ce qui la rend folle et la fait le plus souffrir c'est de ne pas oser avouer à Paulo son désir. Le seul sentiment qui la fait reculer c'est la peur qu'il la trouve vieille, usée et maternelle et la repousse avec horreur. Pour elle, l'amour n'est pas source de joie, ne fait éprouver aucune douce sensation, aucune tendresse reposante. Si elle devait définir l'amour, elle dirait qu'il est d'abord désir violent et puis fatigue et lassitude, qu'il brûle comme le feu pour ne laisser que cendres, que le vent emporte avec le temps. C'est ce genre d'amour qu'elle rencontre autour d'elle, l'amour de ses amis, l'amour d'Henriqueta Alves Neto, la femme aux innombrables amants, l'amour de Susana Vieira, la demi-vierge aux nombreuses aventures, l'amour chanté dans la poésie chrétienne de Shopel, décrit dans les romans qu'elle lit, appris avec les gens qui l'entourent. Souffrance aiguë, tourment désespéré, lassitude mortelle le jour suivant. L'amour dénué de toute grandeur, même de cette grandeur médiocre faire de dévouement, de tendresse sirupeuse, de peur et d'espoir comme l'amour de Manuela pour Paulo.
Une autre femme soupire aussi d'amour [...], c'est Mariana, l'ouvrière, et pour elle aussi le mot amour veut dire autre chose encore. L'amour pour elle ne veut pas dire égoïsme ni désir avide et impératif. Son amour contient de l'admiration et de l'amitié, elle pense à João comme à un époux et à un amant, mais avant tout comme à un compagnon, son compagnon de chaque jour. Son amour est infiniment plus profond que celui de Marieta. Sa grandeur est bien au-delà du lit rêvé par Marieta, du mariage que Manuela attend si anxieusement, son amour embrasse les frontières de tous les sentiments, il est la vie dans toute sa plénitude et pour elle il signifie joie ardente, confiance absolue, il l'illumine et lui donne des forces. Cet amour ne lui apporte aucune souffrance, aucune douleur, ne lui fait pas peur, ne la fait pas pleurer ni désespérer, ne l'amoindrit pas comme Marieta, ne lui fait pas honte comme Manuela. Son amour lui donne des forces nouvelles pour son dur travail, son amour la rend meilleure chaque matin, peuple de beaux rêves ses nuits lasses, ses brèves heures de sommeil.

Une vision du bonheur :

Le journaliste était horrifié par le spectacle des travailleurs ignorants et pour la plupart malades, une humanité sous-alimentée, parlant une langue au vocabulaire très réduit, le dos courbé par une humilité née de la terreur. Un après-midi, il fit remarquer à l'historien Hermes Resende l'impressionnante réalité :
- Ils végètent... Quelle différence y a-t-il avec l'époque de l'esclavage ? A côté de l'abondance et du luxe de la maison des maîtres il y a un contraste frappant : la misère des colons...
Il raconta ce que l'un des métayers lui avait dit, en réponse à l'une de ses questions : toutes ces terres alentour, le village, les bois, les bêtes et même les gens appartiennent au colonel Florival.
L'historien expliquait :
- Même dans ces conditions misérables ils sont heureux.
- Heureux ? — s'étonnait le journaliste.
- Oui, mon cher, puisqu'ils ignorent qu'ils vivent dans la misère. C'est la conscience, la connaissance de la misère qui apporte la sensation du malheur. C'est le cas des ouvriers. Ils sont malheureux parce que l'agitation révolutionnaire leur donne la connaissance de l'exploitation dont ils sont victimes. Sans cela ils se seraient fait une raison et, par conséquent, ils seraient heureux. Voyez le cas des travailleurs ruraux. Ils se sont résignés et donc ils ne souhaitent rien de mieux, ce sont les seules personnes heureuses de ce pays. Enviables dans leur misère... C'est comme un mari trompé : il commence à être malheureux au moment où il apprend qu'il est trahi. N'est-ce pas ?
- Donc on peut conclure que le mieux est de laisser courir...
- Que faire d'autre ? La réforme agraire ? Leur donner des terres ? C'est transformer ces êtres frustes et sans complications en des hommes ambitieux et pleins de problèmes. Le morceau de terre que chacun d'eux recevrait ne leur apporterait pas le bonheur. Ils continueraient à vivre misérablement et ils auraient perdu leur innocence...
Le journaliste se gratta la tête :
- Vous avez peut-être raison...

L'arrestation de l'épouse et de l'enfant d'un dirigeant communiste :

Les têtes curieuses des voisins se montraient peureusement à travers les fenêtres entrouvertes. Quelques policiers gardaient encore leur arme à la main. L'enfant s'était remis à pleurer, le morceau de pain avait roulé dans la rue parmi les détritus et Josefa demanda :
- Je vous en prie, laissez-moi au moins donner quelque chose à manger à l'enfant, l'heure de son repas est passée.
- Un enfant de communiste n'a pas besoin de manger — plaisanta l'un des policiers.
Un autre poussa du pied le morceau de pain tombé par terre :
- Vous faites la difficile ? Prenez ce pain !
Une femme se pencha à la fenêtre de la maison d'à coté. C'était une grosse matrone aux cheveux en bataille:
- Voisine, je peux vous donner un peu de lait — Elle s'adressa aux policiers : — C'est inhumain d'emmener l'enfant sans lui donner à manger.
De l'intérieur de la maison quelqu'un s'efforçait de lui faire quitter la fenêtre, la femme tourna la tête :
- Laisse-moi ! Ça m'est égal qu'ils soient communistes, même s'ils étaient les pires des assassins, on n'a pas idée d'emmener un bébé en prison ? Et sans manger, qui plus est ? — Elle se pencha de nouveau à la fenêtre : — Attendez une minute, je vais apporter du lait — et elle disparut à l'intérieur de la maison.
Elle sortit tout de suite après, une robe sur sa chemise de nuit, portant un verre de lait qu'elle donna à Josefa en faisant une caresse à l'enfant [...] L'un des policiers dit à la femme :
- Un jour vous regretterez d'avoir porté secours à des communistes... Quand ils viendront et vous prendront tout...
La femme mit les mains sur ses hanches dans un geste de défi, le visage fier :
- Prendre quoi ? Comme si nous avions quelque chose, comme si le pauvre dans ce pays vivait dans l'abondance... Pire que ce qui est maintenant c'est impossible...
Josefa lui tendit le verre vide :
- Merci beaucoup.
Le flic poussait Josefa vers la voiture et criait à la femme :
- Fous le camp, grosse vache !
De l'intérieur de la maison on l'appelait avec des voix apeurées, mais elle resta sur le trottoir jusqu'au départ des voitures :
- Lâches ! Misérables !

Emigrantes, toile de Lasar Segall (1891-1957)



Une confrontation d'idées dans un parloir de prison (peut-être aussi l'amorce d'un débat intérieur à l'auteur) :

- Vous savez de quoi vous êtes accusé ?
- Je ne connais pas le dossier de l'accusation.
Le juge résuma brièvement les conclusions de la police. Il était de plus en plus nerveux en constatant que le détenu n'avait pas eu une connaissance préalable des chefs d'accusation et qu'il n'avait pas d'avocat. João lui fit remarquer chacune de ces illégalités et protestait contre toutes [...] Il fit de nouveau une profession de foi communiste, assuma la responsabilité de ses actes en tant que dirigeant régional du Parti, mais il refusa de donner des renseignements sur ses activités et celles de ses camarades. Il lut attentivement son témoignage avant de le signer et exigea deux ou trois corrections dans le texte dactylographié. Quand tout fit fini le juge, sur le ton de la conversation, lui demanda :
- N'êtes-vous pas avocat par hasard ? Vous pourriez en être un excellent.
- Je suis ouvrier — répondit João avec une note d'orgueil dans sa voix posée.
Le juge s'était remis de la première impression que lui avait donnée le détenu en constatant les sévices policiers, il était de nouveau possédé par le démon de la curiosité intellectuelle :
- Mais un ouvrier instruit, une exception dans votre milieu.
- Un jour viendra où tous les ouvriers seront instruits, quand ils seront avocats et juges.
Le juge sourit avec complaisance :
- Vous avez une grande imagination.
- Imagination ? En Russie c'est déjà comme ça et un jour ici ce sera la même chose.
- Me permettez-vous de poser quelques questions d'ordre personnel ? — demanda le juge. — Je suis passionné de psychologie et j'avoue ma curiosité pour votre cas. Qu'est-ce qui vous pousse à tant de dévouement, à tant de sacrifices ? Que voyez-vous dans le communisme ?
- Je ne fais aucun sacrifice, je fais mon devoir d'ouvrier, de dirigeant ouvrier, ce que vous appelez sacrifice est ma raison d'être, je ne pourrais agir autrement sans être dégoûté de moi-même.
- Mais pourquoi ?
- Depuis le moment où j'ai été convaincu de la vérité des idées que je défends je serais un misérable si je ne me consacrais pas à les propager, à lutter pour leur victoire, il me serait impossible de vivre en paix avec moi-même. Ni la prison ni les tortures ne peuvent me faire renoncer à mes convictions, ce serait comme renoncer à ma dignité d'homme. Je lutte pour transformer la vie de millions de Brésiliens qui ont faim et vivent dans la plus noire misère. Cette cause est si belle et si noble qu'un homme peut supporter pour elle la prison la plus dure et les sévices les plus sadiques. Ça en vaut la peine.
- Moi j'appelle ça du fanatisme — dit le juge. — On m'avait déjà raconté que vous étiez tous des fanatiques, maintenant j'en suis convaincu.
- Ce que vous appelez fanatisme, monsieur le juge, moi je l'appelle patriotisme et cohérence avec moi-même.
- Patriotisme ? — La voix du juge était presque une protestation. — Voilà une étange façon d'être patriote.
- Les anciens juges portugais ont dit la même chose à Tiradentes. Pour les rois du Portugal les hommes qui luttaient pour l'indépendance du Brésil étaient des fanatiques, mais ces fanatiques étaient sûrs de la justice de leur cause et cela leur donnait la force de continuer, de même que moi j'ai la certitude que ma cause est juste.
- Si c'était encore pour une autre cause... Mais le communisme... La liquidation de la personnalité, l'homme réduit à une pièce de la machine d'Etat. Vous ne pouvez pas nier qu'avec le communisme l'individu disparaît devant l'Etat, devenu le maître tout-puissant. C'est ce qui se passe en Russie où l'individu ne compte pas...
João sourit, ce n'était pas la première fois qu'il entendait ces affirmations :
- C'est au contraire dans le socialisme que l'homme peut développer sa personnalité. Je vois que vous ne connaissez pas tout ce qui concerne le communisme et l'Union Soviétique. Vous vous contentez du raisonnement des personnalités que vous appelez les élites : les classes dominantes, les riches. Nous faisons notre politique en fonction de millions d'exploités, ceux qui ne pourront développer leurs qualités d'homme que lorsque la classe ouvrière prendra le pouvoir. Un homme qui a faim dans une usine ou une fazenda n'est pas un homme libre.
- J'espère que vous ne voulez pas me convaincre que c'est avec la dictature du prolétariat que l'homme sera libre...
- Je ne veux pas vous convaincre de quoi que ce soit, monsieur le juge, il me suffit que les ouvriers me comprennent. La dictature du prolétariat libère l'homme de la misère, de l'ignorance, de l'exploitation, de l'égoïsme, de toutes les chaînes dont la dictature de la bourgeoisie et des grands propriétaires les entrave, ce que vous appelez démocratie et qui devient maintenant le fascisme. Démocratie pour un groupe et dictature pour les masses. La dictature du prolétariat c'est la démocratie pour le peuple?
Le juge eut un sourire contraint :
- J'ai déjà lu ça quelque part : "Un genre supérieur de démocratie..." C'est même amusant. Il n'y a pas de liberté d'expression, ni de critique, ni de religion...
- Vous êtes en train de décrire l'Estado Novo et non le régime socialiste — commenta João. — Dans un Etat socialiste comme la Russie il y a liberté d'expression, de religion, de critique, il suffit de lire la Constitution soviétique pour s'en rendre compte. La connaissez-vous ? Je vous en recommande la lecture, pour un juriste c'est primordial.
- La liberté en Russie... Liberté d'être esclave de l'Etat, de travailler pour les autres, liberté de ne rien posséder.
- Oui, la liberté d'exploiter les autres ou de posséder les moyens de production n'existe pas en Union Soviétique, mais elle existe ici, monsieur le juge, pour les riches et quelques autres. L'immense majorité des Brésiliens ne connaît que la liberté d'avoir faim et d'être analphabète et si on proteste c'est la prison, les coups, la cellule solitaire. Vous oubliez que vous parlez à un accusé, une victime de votre liberté. Vous vous contentez de la liberté de votre classe, nous, nous voulons la véritable liberté : liberté de l'homme qui n'a plus faim, de l'homme libéré de l'ignorance, de l'homme qui a un travail assuré qui lui permet de nourrir ses enfants. Ne parlez pas de liberté dans cette prison, monsieur le juge. Ici notre liberté ne vaut pas grand-chose, c'est abuser d'un mot qui pour nous a un sens bien concret.
- Il est impossible de parler avec vous, vous voulez imposer vos idées par la force.
- Par la force ? — sourit João de nouveau. — Attention, monsieur le juge, vous allez finir par affirmer que c'est moi qui ai rossé les policiers...
- Vous êtes un homme intelligent. — La voix du juge se fit avisée. — Il est même difficile de croire que vous êtes un ouvrier. Si vous abandonniez ces idées vous pourriez devenir un homme utile au pays, qui sait même si vous ne pourriez...
- Non, je ne pourrais, je suis communiste, je suis fier et orgueilleux de l'être. Je n'échangerais ce titre contre aucun autre. — Il regarda par la fenêtre les toits des maisons voisines. — Ecoutez, tel que vous me voyez ici, entre ces quatre murs, je suis plus libre que vous, même avec ces traces de coups je suis plus heureux que vous. Je n'aime pas être en prison, ni être rossé, j'aime marcher dans les rues, respirer l'air pur, mais malgré tout cela je ne me sens pas malheureux parce que je sais que l'avenir sera comme je le souhaite, le monde, pour mon fils, sera beau et joyeux et pour votre fils aussi, monsieur le juge, si vous en avez un. Vous aurez beau faire, c'est inéluctable. Demain il n'y aura plus de faim nulle part, tous les hommes sauront lire et écrire, la tristesse disparaîtra.
Il ne s'adressait même plus au juge, c'était comme s'il envoyait un message par-delà les murs de la prison. Même le greffier l'écoutait, intéressé. Après un moment de silence João regarda son interlocuteur :
- Bientôt vous vous en irez en toute liberté, vous rentrerez chez vous au sein de votre famille. Moi je retourne vers le secret de ma cellule, cependant je peux vous affirmer que je suis plus heureux et plus libre que vous.
Le juge secoua la tête :
- Il est tout à fait inutile de discuter avec vous autres...
Quand on emmena João le directeur de la prison commenta :
- Ils sont tous comme ça, ils ne perdent pas une occasion de faire de la propagande, on dirait qu'ils ont suivi des cours d'éloquence, ils abusent beaucoup de monde, même celui qui n'a pas les yeux dans sa poche peut se laisser tromper.
Le juge se leva :
- Il est vrai qu'il est tout de même étrange d'invoquer la liberté ici, de défendre ce concept devant un prisonnier, sans parler des méthodes de la police. Ce qu'ils ont fait à cet homme est une absurdité. Pourquoi ?
- Si on ne les rosse pas ils n'avouent rien et même en les frappant il est bien rare qu'ils le fassent. Les communistes ne sont pas des hommes comme les autres.
- Oui, en effet, ils ne sont pas comme les autres...
Il le répétait en son for intérieur en marchant dans la rue. Les choses pour lesquelles cet homme luttait pouvait n'être qu'un rêve, mais il était impossible de nier que ce rêve avait sa beauté et sa séduction. Il pensait au visage abîmé couvert d’ecchymoses violacées. Pourquoi fallait-il employer la force brutale contre ces idées sinon parce qu'on n'avait pas d'arguments à leur opposer ?

Et en guise de conclusion :

- [...] J'ai connu des gens qui sont venus au Parti le cœur plein de haine pour la vie et pour leurs semblables, la haine était le seul sentiment qui les avait conduits jusqu'à nous. J'en ai connu plusieurs, aucun n'est resté longtemps au Parti. Il n'y a que la haine de classe qui est légitime, la haine contre l'exploiteur, mais cette même haine implique l'amour pour les exploités, vous comprenez ?

(Traduction d'Isabel  Meyrelles)

On trouvera ici quelques vieilles coupures de journaux français évoquant les affaires du Brésil (1920-1942).

Et tous les passages des Mémoires d'Amado (Navigation de Cabotage) ayant trait à son engagement politique, ses doutes, ses espoirs, sa désillusion (1951-1957).

2013/10/18

Le Brésil : en clips et en chansons

« Uma outra tradição cultural brasileira [...] »

A correspondre avec un Brésilien on apprend non seulement le portugais, mais on découvre encore certains aspects culturels du Brésil jusqu'alors inconnus, et notamment un éventail musical bien plus riche et varié qu'on ne le soupçonnait.
Fruit du brassage des cultures amérindienne, européenne et africaine pour l'essentiel, la musique brésilienne nous séduit par ses rythmes, c'est certain, mais je crois qu'elle nous touche aussi par ce qu'elle illustre et symbolise : l'heureux mélange des genres, la preuve par l'oreille qu'Hitler avait tort... tout comme a tort aujourd'hui une Europe de plus en plus crispée, repliée sur elle-même, en voie d'atrophie non pas parce qu'elle ouvre ses portes mais parce qu'elle les ferme, au contraire de sa bouche.

Et donc, pour commencer en beauté ce p'tit tour d'horizon musical en terre brésilienne voici un duo tout simplement génial : Elis Regina et Tom Jobim dans une interprétation d'Aguas de Março, une bossa qui se regarde et s'écoute en boucle sans jamais lasser (chanson popularisée en France par Georges Moustaki sous le titre Les eaux de mars) :


Ensuite une samba d'Adoniran Barbosa (de son vrai nom João Rubinato), un italo-pauliste qui chante ici en italien :


Le même Adoniran, mais avec Elis Regina dans un bar de São-Paulo... :


Tonico & Tinocco, deux chanteurs d'origine paysanne ("caipiras"), dans un genre musical très populaire au Brésil, la "moda de viola", des histoires simplissimes sur une musique mélancolique (un peu comme les airs italiens que mon père et mes oncles entonnaient à la fin des repas familiaux) :


Cascatinha & Inhana, le rythme "guarânia" des indiens "guaranis" :


Geraldo Vandré, l'hymne de la résistance à la dictature :


Aussi Clara Nunes, Maria Bethânia, Luiz Gonzaga... ils sont tellement nombreux qu'on ne peut tous les citer. 
Enfin, pour finir sur des notes un peu plus gaies, un chanteur d'aujourd'hui, Luan Santana, beaucoup moins "typique" mais sympa à écouter :


Et la bellissima Paula Fernandes, accompagnée ici par Almir Sater :


2013/10/13

oRéPNA (3102 erbotco 11)

L'ANP[é]Ro on en est revenu les mains pleines, les oreilles farcies et la tête à l'envers, à ne plus savoir sa gauche de sa droite. Y avait Tom à la guitare, Phil à la kéna et Guillaume au crachoir, un sacré bavard ! Y avait les habitués et les intermittents, des tronches connues et d'autres qu'on découvre, ceux qui disent qui viennent et qui le font, et ceux qui vous posent un lapin ! Y avait de quoi boire et de quoi manger, du salé, du sucré, du blanc et du rosé, au moins cinq ou six litres, de quoi nous réchauffer, parce qu'il faisait bigrement froid, j'en grelotte encore. Et puis y avait aussi Jacouille-la-Fripouille, un bonhomme attachant avec lequel j'ai fouillé les rayons de l'Entropie à la recherche de bandes-dessinées (Warnauts & Raives, Sylvain Vallée, Gibrat, etc), quatre BD que nous avons déniché ensemble, là, au 198 du boulevard Voltaire, et qui s'apprêtent à présent à prendre l'avion à destination de São-Paulo... Nous leur souhaitons un bon voyage et nous remercions ici Vincent avec lequel je me suis fini aux Bounty... sur un p'tit goût de Paradis.

2013/10/12

Le Brésil : cinq ou six choses utiles à savoir et pléthore de commentaires à deux balles...


Non, monsieur, le Brésil n'est pas que le pays du football, du carnaval de Rio et des belles filles à moitié nues des plages de Copacabana.
Le Brésil est la plus grande nation d'Amérique du Sud et la 6ème puissance économique mondiale, loin devant l'Allemagne, la France et le Royaume-Uni.
C'est aussi le 5ème pays du monde de par sa superficie (presque aussi vaste que l'ensemble du continent européen) et par son nombre d'habitants (3 fois plus nombreux qu'en France).
Pour se faire une idée de sa population il suffit de se la représenter blanche à 50%, puis d'imaginer tous les mélanges possibles entre indiens autochtones, colons portugais, esclaves africains (angolais, congolais, camerounais), immigrants européens (italiens, portugais, espagnols), puis arabes (syriens, libanais) et enfin japonais, le tout essentiellement réparti dans les grandes agglomérations du littoral atlantique — hormis les amérindiens, quelques milliers d'individus vivant surtout en Amazonie dans des conditions... disons difficiles.
Donc un pays cosmopolite et fortement métissé, où, contrairement à notre vieille Europe, les "étrangers" et leurs descendants ne sont pas les boucs-émissaires de tous nos problèmes, ni la source de discours démagogiques incitant de plus en plus souvent à la xénophobie. Rien de tout cela au Brésil mais, en revanche, de fortes discriminations raciales et d'encore plus fortes inégalités sociales. Probable héritage des anciens maîtres portugais, le Blanc domine en effet outrageusement une société où la clarté de la peau demeure un important facteur de réussite sociale et professionnelle, sauf à s'appeller Edson Arantes do Nascimento, dit Pelé, ou bien Gilberto Gil, l'auteur-interprète du célébrissime Toutes les filles de Bahia. Encore faut-il souligner ici les progrès accomplis en l'espace d'une seule décennie, tant du point de vue de l'égalité des chances que de la réduction de la misère ou de la lutte contre l'illettrisme, surtout celles des enfants noirs ou métis des sordides favelas bâties au pied même des quartiers les plus riches.

Tarsila do Amaral : Operários (1933)

Dez anos ! Dix ans de socialisme soft et des millions de manifestants qui descendent dans les rues au printemps 2013. Certains analystes
français, sans doute nostalgiques de la politique ultra-libérale du président Cardoso (un fiasco) ou, mieux encore, des vingt ans de dictature militaire, ont cru voir dans ces manifestations l'échec des politiques mises en œuvre par Dilma Rousseff et son prédécesseur Lula da Silva. D'autres commentateurs, ceux-là presque réjouis, y ont vu le signe d'un déclin depuis longtemps prédit. Et tous de dénoncer pêle-mêle les promesses non tenues, la corruption galopante, les violences urbaines, mais négligeant toujours d'expliquer qu'avant Lula c'était pire, sans doute pour nous laisser croire qu'avant c'était mieux. Comme si l'on pouvait s'affranchir du jour au lendemain de l'héritage du passé, de trois siècles d'esclavagisme africain faisant suite au massacre de millions d'indigènes et précédant les luttes sanguinaires entre petits paysans et propriétaires tout-puissants. Comme si l'on pouvait sortir d'un simple claquement de doigt d'une société de type féodal et corrompue jusqu'à l'os, feindre d'ignorer la succession des régimes dictatoriaux durant lesquels la torture et la répression étaient la règle et non l'exception, où les escadrons-de-la-mort sévissaient dans les favelas en toute impunité, cependant que les gangs mafieux et les narco-trafiquants s'y implantaient avec l'aval des autorités... bref, comme si l'on pouvait effacer d'un coup de gomme cinq siècles d'histoire : cinq cent ans d'un règne sans partage ! depuis ce jour de l'an de grâce 1500 où le navigateur portugais Pedro Alvares Cabral "découvrait" une terre inconnue, à quelques milles au sud de l'actuelle Salvador da Bahia.

On trouvera de nombreuses données comparatives dans le très intéressant document que voici (La France et le Brésil en chiffres - Juin 2013) :



2013/10/05

Céline : L'extraordinaire épopée de Ferdinand Bardamu (audio)




J'ai adoré Céline durant des années. De Semmeilweis à Rigodon j'ai presque tout lu, relu et re-relu, y compris ses trois pamphlets qu'on trouvait déjà sous le manteau, notamment au marché des livres anciens de la rue Brancion, sous les halles désaffectées d'un ancien abattoir. Me souviens aussi avoir plus d'une fois minimisé auprès de mes amis l'antisémitisme du génialissime écrivain : faut pas tout mélanger, tu comprends, y a le Céline des Beaux Draps, pis y a çui du Voyage, ça n'a rien à voir et blablabla... Des contorsions d'acrobate, oui ! J'en sortais d'ailleurs tout contusionné, un peu gêné aux entournures, mal dans ma peau, vraiment, mais c'était plus fort que moi, j'étais accro à ses petits points, sa petite musique, son "rendu" émotif, qu'on disait... et pas moyen de décrocher, voyez-vous, toujours je replongeais ! Suis même allé voir l'Eglise, le premier jus du Voyage, monté par J.-L. Martinelli au théâtre des Amandiers — avec Berling dans le rôle de Bardamu et J.P. Sentier dans celui de Pistil —, un plutôt bon souvenir on en garde, d'autant qu'en excellente compagnie nous étions alors. Et puis c'est comme le reste : un jour la magie disparaît et ce qu'on aimait on ne l'aime plus. Du tout. M'en suis rendu compte en voulant le relire encore une fois. Pour voir. J'ai vu et, crois-moi si tu veux, mais j'étais plus du tout célino-compatible. Finis les grands frissons, les transes épileptiques, les emballements cardiaques et cétéra : j'avais perdu la foi, tout simplement. J'étais non seulement devenu insensible à son style, mais aussi allergique à sa vision du monde, écœuré par sa manière de toujours et encore rabaisser les hommes, sans doute pour mieux leur cracher dessus... bref, j'étais devenu tu sais quoi : un phi-lan-thro-pe.

De cette époque il me reste une quinzaine de bouquins, ainsi qu'une cassette audio que j'ai numérisée à l'attention de mes amis célino-dépendants :
http://www.mediafire.com/?9d7ar0l6kbwheke
On y entend la voix d'André Dunand dans L’extraordinaire épopée de Ferdinand Bardamu, un spectacle d'1h38mn composé d'extraits du Voyage au bout de la nuit, Mort à crédit et D'un château l'autre, le tout dans une mise en scène de Marie-Françoise et Jean-Claude Broche. C'était en 1991, à Paris, au théâtre du Roseau (devenu aujourd'hui du Renard).
Bon vent...