2014/08/30

ANPéRo : Place de la Toile (29/08/2014)

« Ici, on est des fans de radis... de la radio sans eau ! » (Laurent D.)

Les studios Pathé-Cinéma sont heureux de vous présenter leur dernière production, cinq heures de spectacle tout-public, avec de l'aventure, du charme, de l'émotion, de l'humour, du suspense... et John Wills au casting, pour une distribution de rêve dans un décor époustouflant :

















2014/08/29

Márcio Souza : Le Brésilien Volant

« Je n'ai jamais travaillé sérieusement sur une idée abstraite. J'ai perfectionné mes inventions grâce à une série de tests étayés par le bon sens et l'expérience. » (Santos-Dumont)

Autant le dire tout de suite, ce roman de Márcio Souza sur les débuts de l'aviation ne vole ni très haut ni très loin, tout comme les premiers coucous du Brésilien volant, alias Santos-Dumont, une star en son pays. Or, assez curieusement, l'auteur nous prévient d'emblée qu'il  ne l'apprécie guère :

Ce récit est le scénario d'un film et ne se veut pas la biographie définitive, officielle et incontestée de Santos-Dumont. A vrai dire, je n'éprouvais pas au départ une grande sympathie pour le personnage. En se l'appropriant, les militaires ont fait de Santos-dumont une figure insipide, symbole d'un patriotisme médiocre et revanchard, typiquement brésilien, une sorte de demi-dieu ridé et jaunâtre, malheureusement victime de l'injustice d'être né sur cette terre du carnaval et de la bonhommie. Enfin, l'une de ces histoires exemplaires que l'on ne cesse de nous seriner dans le simple but de confirmer que nous sommes nés pour vaincre et non pour baisser les bras.
En vérité, ce patriotisme aveugle a fait subir à Santos-Dumont bien pis que ce que les pigeons infligent d'ordinaire, sans la moindre cérémonie, aux statues des grands hommes qui couvrent la place publique.
Heureusement, les pigeons ne s'y trompent pas.

Déboulonner de son piédestal une icône nationale, je n'ai rien contre, au contraire. D'ailleurs, l'Empereur d'Amazonie, du même Márcio Souza, est une réussite d'humour et d'intelligence... Mais là, écrivant l'histoire de quelqu'un qu'il n'aime pas, l'auteur force sans doute un peu son talent pour noircir des pages dépourvues d'âme et de passion. De sorte qu'à moins d'être férocement féru d'aviation, cette lecture est presque aussi ennuyeuse qu'un vol long-courrier...

L'un des meilleurs chapitres :

Le capitaine Ferber est un homme maigre, très grand, aux fines moustaches aussi lustrées que ses cheveux noirs séparés par une raie au milieu. Il gravit les marches, escortant Mme d'Acosta, une dame aux traits hispaniques, au corps svelte, richement parée, et une jeune femme au visage très expressif, aux cheveux noirs, simplement vêtue de bleu ciel. La jeune fille ne cache pas son mécontentement de se trouver en telle compagnie, mais la dame ne cesse de pester.
- Quelle enfant sotte. Voyez comme elle est attifée, on croirait une marchande de légumes du Bronx. C'est ridicule, avec toutes les robes neuves qu'elle a !
- Ne soyez pas si sévère, ma chère madame. Mlle Aïda ressemble à une fleur dans cette robe bleu ciel.
- Une fleur vulgaire... Voilà à quoi elle ressemble. Et elle a déjà porté cette robe à deux réceptions. C'est impardonnable. On finira par dire que nous sommes ruinées.
- Personne n'osera faire une telle remarque.
- Tu vois, maman. Personne ne va penser que nous sommes ruinées. Affirmation du capitaine Ferber, qui s'y entend en catastrophes financières.
- Impudente ! Mais est-ce que je m'adresse donc à une étrangère ? Je ne sais pas quelle idée cette jeune fille se fait de la vie...
Ils entrent dans le salon et sont accueillis par leurs amphitryons, un couple d'âge mûr au regard clair et hautain, des êtres manifestement coutumiers du pouvoir.
- Mon très cher comte de Bouvard. Et comment se porte ma douce comtesse, toujours rayonnante, vous irradiez la vertu.
Ferber baise la main de la comtesse avec mille grâces, une main aux doigts rutilant d'or et de diamants.
- Et qui sont ces charmantes dames qui vous accompagnent, mon cher capitaine ?
- Permettez-moi de vous présenter : Mme d'Acosta et sa fille Aïda. Le comte et la comtesse de Bouvard, dont le salon est le plus prisé de Paris...
Tous échangent des politesses, mais Aïda reste indifférente.
- Madame d'Acosta, mais bien sûr, dit le comte en reconnaissant la millionnaire.
Bouvard attire Ferber à l'écart, de manière presque indiscrète, tandis que Mme d'Acosta bavarde avec la comtesse sous le regard irrité d'Aïda.
Le comte maintient le bras de Ferber; il semble intrigué.
- Bien joué, ruffian !
- La petite n'a pas de prétendant. Le père est en Hollande et j'ai plu à Madame. Cher ami, je suis sur le point de faire un grands pas en avant...
- La reine du tabac de Cuba ! Sur dix cigares fumés dans le monde civilisé, cinq proviennent de sa manufacture de Santiago.
- Elles possèdent une collection de fourrures qui, mises bout à bout, recouvriraient la route d'ici au cap Ferrat.
- Des fourrures ? Pour l'été ? Il vous faudra civiliser ces créatures, mon ami.
- Certainement, mon cher comte.
- Ce qui vous vaudra certaines récompenses... matérielles...
Ferber se contente de sourire; son regard dépasse le groupe des femmes qui bavardent pour se poser sur Aïda qui se tient à l'écart, absente.
- Ah ! A propos, cette vieille dette de jeu...
- Ne me dites pas que vous allez la payer !
- D'ici peu, très peu de temps. Et avec les intérêts !
Bouvard, incrédule, a un petit sourire.
- Dieux du ciel ! j'avais déjà perdu espoir.
- J'ai toujours cru à la générosité des familles américaines.
Le maître d'hôtel annonce de nouveaux invités :
- Monsieur Alberto Santos-Dumont et Monsieur Georges Goursat.
Les conversations cessent et une grande agitation s'empare du salon. Les femmes poussent de petits cris et applaudissent quand le petit monsieur élégant fait son entrée, la canne à la main, en compagnie d'un autre homme, blond et fort. Alberto remercie; sa visible timidité désarme les plus entreprenants qui, incapables de se maîtriser, ont accouru pour le voir de près et même lui serrer la main.
Aïda, qui était jusqu'alors restée absente, a les yeux fixés sur le nouvel arrivant. Lui ne manque pas de remarquer la jeune fille qu l'observe d'un regard si pénétrant qu'Alberto aurait certainement déjà pris feu s'il était inflammable. Alberto passe devant la jeune femme, la regarde quelques secondes puis va aussitôt baiser la main de la comtesse de Bouvard.
Cet événement inaccoutumé n'échappe pas à Sem et un léger sourire ironique lui vient aux lèvres. Petitsantôs n'était donc pas aveugle, ni le capitaine Ferber d'ailleurs, qui observe avec inquiétude les réactions d'Aïda.
La vieille comtesse accueille ses hôtes célèbres avec une joyeuse cordialité.
- Mon cher Petitsantôs, quel honneur. Je veux que vous me racontiez tout ce que vous faites. Si vous saviez combien j'ai eu peur que Monaco ne vous enlève à nous.
Petitsantôs entend à peine la comtesse.
- Monaco ?
- Mais oui, Monaco. Car enfin, le prince ne vous a-t-il pas ouvert sa principauté pour que vous y installiez tous vos merveilleux ballons ?
- Petitsantôs sait bien mal exprimer sa gratitude, intervient Sem, railleur. Il n'a rien trouvé de mieux à faire que de précipiter son altesse, le prince Albert, au fond d'une barque avec le guiderope de son ballon...
- Doux Jésus ! Et qu'est-il arrivé au prince ? La comtesse était anxieuse.
- Le prince n'a pas bien évalué le poids de la corde, tente d'expliquer Petitsantôs, et il s'est fait traîner par le n°6.
- Le n°6 ?
- Le dirigeable !
- Plaît-il ?
- Hum...le... le ballon...
- Ah ! oui.
- A la deuxième tentative, il a été facile de ramener le n°6 vers le quai puis au hangar. J'allais plus vite qu'il n'y paraissait...
- Et le prince ?
- Quel prince ? demande Petitsantôs à la comtesse déconcertée.
- En fait, répond Sem qui se retient à grand-peine de rire, le dirigeable n°6 comptait plus pour Alberto que la santé du prince de Monaco.
La comtesse de Bouvard considère Petitsantôs d'un air ouvertement réprobateur.
- Je vois ! Petitsantôs n'aime pas les aristocrates !

Márcio Souza : Le Brésilien volant (1986)
Traduction de Lyne Strouc (1990)
Aux Editions Belfond

Et puis Santos-Dumont c'est aussi l'occasion de partager trois nouvelles planches de João Spacca, tirées d'une BD que vous ne trouverez ni à l'Entropie, ni dans les rayons d'aucune autre librairie, mais seulement auprès de l'auteur :



2014/08/23

Librairie Entropie : Kultur Pop 24, de retour de vacances, ANPéRo

De retour de vacances, les ANPéRistes manquent un peu de patience (souvenirs, Julien Lepers). Dans la froidure aoûtienne, tandis :
  • que vous avez un nouvel ANPéRO à la librairie Entropie, annoncé le vendredi 29 août 2014 (198 boulevard Voltaire, Paris XI), à partir de 18h30, et jusqu'à pas d'heure (et son détail est ici),
  • que le Christ s'est arrêté à Eboli (avec la malaria), et le virus à Ebola (du nom d'une rivière de la république démocratique du Congo),
  • que la grille de rentrée de France Culture se fait attendre, avec des frissons prospectifs,
  •  que les premiers satellites du projet Galileo ont choisi de prendre la tangente,
le volume 24 des génériques et indicatifs d'émissions de Radio France, et surtout France Culture - Kultur Pop, 2014 point 24 vient de paraître. Amatrices et amateurs de littérature, de musique, d'histoire, de sciences, de psychologie, auditrices ou auditeurs de radios culturelles, vous êtes bienvenus à cet ANPéRo pour partager en bonne intelligence un peu d'alimentation solide ou liquide, et ouïr donc ce Kultur Pop 2014.24 "Galileo", en direct de la librairie Entropie, pour l'ANPéRo :
  • France Culture, La science et les hommes : Marc-Olivier Dupin, Childhood
  • France Culture, Interlude nuits :  Yann Tiersen, Le moulin (bande originale : Le fabuleux destin d'Amélie Poulain)
  • France Culture, Changement de décor : (Clément Philibert) Léo Delibes, Lakmé Flower Duet Excerpt (bande originale, The Hunger)
  • France Inter, Vécu (par Michel Tauriac : "vécu, l’événement par ceux qui l'ont vécu") : Hydravion, J'ai pas le temps
  • France Culture, interlude des nuits : Gabriel Yared, Un baiser sur la vitre (bande originale : L'Amant)
  • France Culture, Science publique : Brian Eno & David Byrne, Mountain of needles
  • France Culture, Fréquence buissonnière : Kraftwerk, Computer World
  • France Culture, Contre expertise : Mastretta, Sabanas blancas cama estrecha



Henri Guillemin : Nationalistes et Nationaux (1870-1940)

« Nous proposons une droite qui s’assume et qui n’ait pas honte de prôner le patriotisme, le mérite, le travail, l’effort, l’ordre et l’autorité républicaine. » (extrait du projet de La Droite Forte, qui a oublié de mentionner aussi la famille)

Charge de dragons (Dupray)
J'entends souvent dire qu'entre gauche et droite, aujourd'hui c'est kif-kif : canailles & consorts, pareille incompétence et même engeance, un-pour-tous, tous pourris... Moi j'essaie d'expliquer les nuances entre les différents Partis, leurs tendances et leurs représentants, ce qui n'est pas toujours facile, convenons-en. J'évoque alors le passé pour mieux convoquer le présent, compare les politiques sociales des uns et des autres, et, sans jamais convaincre personne, conclus mon laïus en disant que nous avons, ces temps-ci, une gauche un peu moins à gauche et une droite beaucoup plus à droite, avec les deux extrêmes à leur place, à chaque bout de l'échiquier.

Pour convaincre un ouvrier ou un employé de ne pas voter contre ses intérêts, il me faudrait avoir le talent conjugué d'un René Rémond et d'un Henri Guillemin : la science de l'un et l'impertinence de l'autre. On en est loin, très loin. Et c'est bien dommage, parce qu'au rythme où vont les choses, sûr et certain que mes collègues de bureau, de chantier, d'atelier, donneront prochainement l'Elysée à une UMP noyautée par les rejetons bonapartistes, voire maurasso-pétainistes, de la droite française. Quelques-uns voteront même FN et s'en féliciteront, les cons ! La plupart offriront donc leur voix, en conscience et de plein gré, pour des politiques ouvertement xénophobes, aussi pour le contrôle des médias, la justice mise au pas, la baisse des allocations sociales, la hausse des niches fiscales et la retraite à 66 ans, même pour toi qui a commencé à bosser dès 16 ans... Ils voteront pour l'enseignement religieux, la fin des 35 heures, l'asphyxie des syndicats ouvriers, la restriction du droit de grève et même l'allègement du Code du Travail, entendre ici : simplifier la tâche de ton patron lorsqu'il souhaitera te licencier. Te voilà prévenu ! Maintenant, libre à toi de voter pour des Partis qui, depuis qu'ils existent, ont toujours été contre toi et t'ont souvent méprisé, mais... mais lis d'abord cette excellente étude d'Henri Guillemin sur les nationalistes, l'autre nom des capitalistes. En un peu moins de 500 pages, toutes passionnantes, Guillemin retrace l'histoire politico-économique de ton pays, la France, de la Commune de Paris, noyée dans le sang des ouvriers, jusqu'à la débâcle de 1940, en passant par le Front Populaire et la montée des fascismes... Tu y verras la Droite à la manœuvre, sous son véritable jour, ce qu'elle a fait jadis et ce qu'elle fera demain si, par malheur, son idéologie est à nouveau à l'oeuvre : rien pour toi et tout pour eux, les "gens de biens", les "vrais français", dont il faut, coûte que coûte et vaille que vaille, préserver les privilèges.
Et tu refermeras alors ce livre en te disant peut-être qu'il y a, malgré tout, et si infimes qu'elles soient, quelques nuances entre la Gauche et la Droite.
Et puis tu comprendras aussi, de surcroît, pourquoi l'UMP hurle en chœur "Halte à la repentance !" à chaque fois qu'un historien dresse ce genre d'inventaire où sont  nécessairement disséqués les mécanismes, toujours actifs, d'une politique de Droite (des fois que tu piges enfin pour qui tu vas vraiment voter).

Henri Guillemin (1903-1992)
Postface :

Après avoir achevé ce manuscrit, je n'y ai plus songé pendant trois mois, m'attachant à des travaux d'un autre ordre. Je voulais voir l'effet qu'il me ferait en le relisant, ensuite, d'une traite avant de l'envoyer à l'éditeur. Je viens de le relire et je m'attends à des sourires apitoyés; des sourires instruits : un essai simpliste et grossier; pour tout dire, caricatural; et tellement "tendancieux" ! ("tendancieux" est le terme usuel pour désigner la tendance qui n'est pas la bonne); comme d'habitude, avec H. G., le plus sommaire des manichéismes. Viendra, au surplus, la découverte, fatale, d'erreurs de détail que j'aurai commises; on en commet toujours; mais quelle aubaine pour ceux qui sauront en tirer parti, et gloire : jugez du sérieux de cet "historien-là !"
Simplisme ? Oui, en ce sens que j'ai travaillé, volontairement à gros traits pour m'en tenir à l'essentiel : l'importance déterminante, d'abord, de la politique intérieure, et, dans la politique intérieure, de la question d'argent; puis, la boucle bouclée, en France, par les classes dirigeantes, pacifistes à ravir de 1871 à 1888 environ, chauvines, ensuite, pendant quelque cinquante ans et redevenant, à partir de 1936 surtout, férues de paix à outrance; et tout cela dans un constant et unique souci : la sauvegarde de leurs privilèges. A ceux qui, depuis toujours, se sont approprié le bien d'autrui et ont réduit la collectivité à travailler pour eux, il convient de brouiller leurs pistes et de masquer l'évidence; et de même, les manipulateurs de l'opinion souhaitent peu qu'un éclairage trop vif soit porté sur leur étrange politique extérieure.
[...] Quant au "manichéisme", j'en donne assurément l'apparence. Parce que j'étais soucieux, avant tout, de mettre en lumière la vérité capitale — je dis bien : la vérité — objet de ce travail, à savoir le comportement de nos nationalistes mués en "nationaux". Je n'ignore, pour autant, ni ce que fut le combat sacrificiel de "réactionnaires" comme d'Estienne d'Orve et Jacques Renouvin, ni le peu d'empressement manifesté par le prolétariat à travailler davantage pour accroître la puissance défensive de la France (mais c'était au lendemain des déconvenues de 1936-1937, et les ouvriers se savaient, se voyaient les victimes d'un patronat qui n'attendait que ces efforts supplémentaires pour s'enrichir encore davantage); et si courageux qu'aient été, dans la Résistance, tant de militants communistes, je ne saurais oublier les mobiles tactiques où puisait sa raison d'être ce "patriotisme" insolite, effervescent, recommandé par le Parti et réclamé plus tard par lui comme une sorte d'exclusivité. Mais, encore une fois, ces considérations n'étaient pour moi que marginales. Mon propos était ailleurs; il concernait le jeu des "nationaux", et je pense avoir présenté là, tout au moins, comme on dit, une "hypothèse de travail" assez valable.
De même que nous avons été, longtemps, nous Français, dupés sur les origines de la Première Guerre mondiale (...), de même je souhaiterais que l'Histoire, "entrant dans la voie des aveux" (Hugo, 1863), ne laissât pas à nos descendants une image truquée de ce qu'était la France, au seuil de la seconde hécatombe.

Henri Guillemin : Nationalistes et nationaux (1870-1940)
Editions Idées-Gallimard (1974)

2014/08/11

Plaine ma plainte (Polyushko-polye) [chansons à sens/explicite lyrique]

On ne reculera devant aucun artifice.
Tu peux applaudir si tu te sens comme une pièce sans plat-fond, si tu penses que la vérité est dans le bonheur, si tu sais ce que le bonheur représente à tes yeux, si c'est ce que tu désires, en somme. Et non pas en rêve.
Because I'm happy
Clap along if you feel like a room without a roof
Because I'm happy
Clap along if you feel like happiness is the truth
Because I'm happy
Clap along if you know what happiness is to you
Because I'm happy
Clap along if you feel like that's what you wanna do
La chanson, en tant que genre mineur, est source de paroles insipides, de temps en temps. On peut préférer le pastiche attendu, Tacky, en fait de mauvais goût, de Weird Al Jankovic. Il est quelques exceptions. Ma favorite est "Red army blues", soit le bleu (à l'âme) de l'Armée Rouge (des ouvriers et des paysans). Cette association chromatique oblique reviendra un peu plus tard, dans ce qui me semble une des plus belles rimes poético-historiques de la chanson folk.

Les deux ingrédients de base sont russe et irlandais. Le premier est un hymne que nous avons connu sous les chœurs de l'armée rouge, en France par Armand Mestral (paroles recomposées par Francis Blanche) les Compagnons de la chanson, Ivan Rebroff, en instrumental par Paul Mauriat ou Franck Pourcel. Une chanson qui fleure bon le cosaque, l'immensité des steppes, le galop des chevaux et la neige à perte de vue. Pour un peu, on pourrait la transposer sans peine (mon penne) dans le rêve de garçon vacher du  l'ouest lointain des Amériques, à la façon du Rawhide des frères en noir des Blues Brothers. Tanné le cuir. De fait, un autre "Afro-américain" du nom de Paul Robeson (auteur, athlète, acteur et donc aussi chanteur) a fait des versions mixtes, notamment américano-russe de ce Полюшко-поле (Polyushka Polye), chant que l'on retrouve notamment dans "10 chants d'hommes libres". Un autre chant de la frontière à la frontière, ou de la rive à la rive (from Border to border), car Paul Robeson a connu des soucis politiques. Plus engagé que le jeune Pharell Williams, moins "happy" probablement;  après quelques soucis citoyens avec le gouvernement états-zunien de l'an 1952. La chanson prend alors parfois les noms "Song of the plains" ou "Meadowlands". Un dithyrambe de Staline fait partie des critiques opposées à Paul Robeson. Polyushka Polye  est devenue, en fait, une chanson plutôt propagandiste. De recrutement pour l'armée rouge, dans les paroles d'origine. 

Mais la propagande a son revers, parfois mal connu de l'historique. Dans l'album "A pagan place", en 1984, la chanson "Red army blues", reprenant l'air de "Song of the Plain" est un post-lude à l'engagement d'un jeune soldat soviétique de 17 ans, russe, en 1943, pour lutter contre l'envahisseur allemand, et nazi en l'occurrence. Plus que cela : sa mère lui assure que le nombre d'Allemands tués n'est pas le plus important. Ce qui importe vraiment, c'est le nombre d'hommes et de femmes libérés du joug ennemi. Les Waterboys, formés l'an d'avant, sont formés de musiciens du Royaume Uni : Écosse, Irlande, Angleterre. Un folk & rock mâtiné de musique celtique et de poésie. Ici, cette chanson s'inspirerait du roman appelé en anglais "Aurora borealis" (le journal de Vikenty Angarov), 1978, de Viktor Muravin. 

Notre jeune héros russe prie pour la Mère Russie, et commence à penser que Dieu l'écoute, alors que l'armée rouge repousse les Allemands jusqu'à Berlin.En un magnifique décasyllabe coloré, l'armée Rouge n'est plus dans le bleu : le drapeau rouge est hissé haut dans le ciel du 3e Reich, tandis que le Reichtag en feu se teinte du brun des chemises qui le protégeaient. La langue anglaise peut le condenser en si peu de mots :

Raised the red flag high
Burnt the Reichstag brown

Le jeune soldat rencontre son premier américain : un autre jeune homme qui lui ressemble, avec la même gueule de paysan :

saw my first American
And he looked a lot like me
He had the same kinda farmer's face

Ce dernier vient de la ville de Hazzard, Tennessee. Le mot "hazard" est ici à double sens, car le danger guette l'ivresse de la victoire.

La guerre se termine, les soldats russes sont démobilisé, et le héros se retrouve avec des centaines de ses compagnons d'armes dans un train pour le village-retour. Mais le train ne s'arrête pas : il traverse sans répit la taïga, à travers la Sibérie. Les vainqueurs de la guerre sont en fait envoyés au goulag sur l'ordre de Staline, qui craignait qu'ils se soient trop occidentalisés. Le jeune homme était prêt à mourir pour son pays, il ne lui reste plus que la volonté farouche de survivre. L'ironie paysanne rencontre le tragique politique. "Song of the plain" se mue lentement en plainsong, ou plain-chant, cantus planus.

Voila, tu la connais l'histoire, du soldat qui venait de nulle part et qu'on renvoya comme un déchet. Il ne te reste plus qu'à l'écouter en musique :


When I left my home and my family
my mother said to me
"Son, it's not how many Germans you kill that counts
It's how many people you set free"
So I packed my bags and I brushed my cap
and I walked out into the world
Seventeen years old,
never kissed a girl

I took the train to Voronezh
- that was as far as it would go
Exchanged my sacks for a uniform,
bit my lip against the snow
I prayed for Mother Russia
in the summer of '43
and as we drove the Germans back
I really believed God was listening to me

Then we howled into Berlin,
tore the smoking buildings down,
raised the Red Flag high,
burnt the Reichstag brown
I saw my first American
- he looked a lot like me
He had the same kind of farmer's face,
said he came from some place called Hazard, Tennessee

When the war was over
my discharge papers came
Me and twenty hundred others
went to Stettiner for the train
"Kiev!" said the Commissar
"from there your own way home"
But I never got to Kiev
We never came back home
The train went north to the taiga
We were stripped and marched in file
up the Great Siberian road
for miles and miles and miles and miles
Dressed in stripes and tatters
in a Gulag left to die
all because Comrade Stalin feared
that we'd become too westernized !

I used to love my country
I used to feel so young
I used to believe that life
was the best song ever sung
I would have died for my country back in 1945
but now only one thing remains - the brute will to survive