« Je n'ai jamais travaillé
sérieusement sur une idée abstraite. J'ai perfectionné mes inventions grâce à
une série de tests étayés par le bon sens et l'expérience. »
(Santos-Dumont)
Autant le dire tout de suite, ce roman de Márcio Souza
sur les débuts de l'aviation ne vole ni très haut ni très loin, tout comme les premiers coucous du Brésilien
volant, alias Santos-Dumont, une star en son pays. Or, assez curieusement, l'auteur
nous prévient d'emblée qu'il ne l'apprécie
guère :
Ce récit est le scénario d'un film et ne se veut pas
la biographie définitive, officielle et incontestée de Santos-Dumont. A vrai
dire, je n'éprouvais pas au départ une grande sympathie pour le personnage. En
se l'appropriant, les militaires ont fait de Santos-dumont une figure insipide,
symbole d'un patriotisme médiocre et revanchard, typiquement brésilien, une
sorte de demi-dieu ridé et jaunâtre, malheureusement victime de l'injustice d'être
né sur cette terre du carnaval et de la bonhommie. Enfin, l'une de ces
histoires exemplaires que l'on ne cesse de nous seriner dans le simple but de
confirmer que nous sommes nés pour vaincre et non pour baisser les bras.
En vérité, ce patriotisme aveugle a fait subir à
Santos-Dumont bien pis que ce que les pigeons infligent d'ordinaire, sans la
moindre cérémonie, aux statues des grands hommes qui couvrent la place
publique.
Heureusement, les pigeons ne s'y trompent pas.
Déboulonner de son piédestal une icône nationale, je
n'ai rien contre, au contraire. D'ailleurs, l'Empereur d'Amazonie, du même
Márcio Souza, est une réussite d'humour et d'intelligence... Mais là, écrivant
l'histoire de quelqu'un qu'il n'aime pas, l'auteur force sans doute un peu son
talent pour noircir des pages dépourvues d'âme et de passion. De sorte qu'à
moins d'être férocement féru d'aviation, cette lecture est presque aussi
ennuyeuse qu'un vol long-courrier...
L'un des meilleurs chapitres :
Le capitaine Ferber est un homme maigre, très grand,
aux fines moustaches aussi lustrées que ses cheveux noirs séparés par une raie
au milieu. Il gravit les marches, escortant Mme d'Acosta, une dame aux traits
hispaniques, au corps svelte, richement parée, et une jeune femme au visage
très expressif, aux cheveux noirs, simplement vêtue de bleu ciel. La jeune
fille ne cache pas son mécontentement de se trouver en telle compagnie, mais la
dame ne cesse de pester.
- Quelle enfant sotte. Voyez comme elle est attifée,
on croirait une marchande de légumes du Bronx. C'est ridicule, avec toutes les
robes neuves qu'elle a !
- Ne soyez pas si sévère, ma chère madame. Mlle Aïda
ressemble à une fleur dans cette robe bleu ciel.
- Une fleur vulgaire... Voilà à quoi elle ressemble.
Et elle a déjà porté cette robe à deux réceptions. C'est impardonnable. On finira
par dire que nous sommes ruinées.
- Personne n'osera faire une telle remarque.
- Tu vois, maman. Personne ne va penser que nous
sommes ruinées. Affirmation du capitaine Ferber, qui s'y entend en catastrophes
financières.
- Impudente ! Mais est-ce que je m'adresse donc à
une étrangère ? Je ne sais pas quelle idée cette jeune fille se fait de la
vie...
Ils entrent dans le salon et sont accueillis par
leurs amphitryons, un couple d'âge mûr au regard clair et hautain, des êtres
manifestement coutumiers du pouvoir.
- Mon très cher comte de Bouvard. Et comment se
porte ma douce comtesse, toujours rayonnante, vous irradiez la vertu.
Ferber baise la main de la comtesse avec mille
grâces, une main aux doigts rutilant d'or et de diamants.
- Et qui sont ces charmantes dames qui vous
accompagnent, mon cher capitaine ?
- Permettez-moi de vous présenter : Mme d'Acosta et
sa fille Aïda. Le comte et la comtesse de Bouvard, dont le salon est le plus
prisé de Paris...
Tous échangent des politesses, mais Aïda reste
indifférente.
- Madame d'Acosta, mais bien sûr, dit le comte en
reconnaissant la millionnaire.
Bouvard attire Ferber à l'écart, de manière presque
indiscrète, tandis que Mme d'Acosta bavarde avec la comtesse sous le regard
irrité d'Aïda.
Le comte maintient le bras de Ferber; il semble
intrigué.
- Bien joué, ruffian !
- La petite n'a pas de prétendant. Le père est en
Hollande et j'ai plu à Madame. Cher ami, je suis sur le point de faire un
grands pas en avant...
- La reine du tabac de Cuba ! Sur dix cigares fumés
dans le monde civilisé, cinq proviennent de sa manufacture de Santiago.
- Elles possèdent une collection de fourrures qui,
mises bout à bout, recouvriraient la route d'ici au cap Ferrat.
- Des fourrures ? Pour l'été ? Il vous faudra
civiliser ces créatures, mon ami.
- Certainement, mon cher comte.
- Ce qui vous vaudra certaines récompenses...
matérielles...
Ferber se contente de sourire; son regard dépasse le
groupe des femmes qui bavardent pour se poser sur Aïda qui se tient à l'écart,
absente.
- Ah ! A propos, cette vieille dette de jeu...
- Ne me dites pas que vous allez la payer !
- D'ici peu, très peu de temps. Et avec les intérêts
!
Bouvard, incrédule, a un petit sourire.
- Dieux du ciel ! j'avais déjà perdu espoir.
- J'ai toujours cru à la générosité des familles
américaines.
Le maître d'hôtel annonce de nouveaux invités :
- Monsieur Alberto Santos-Dumont et Monsieur Georges
Goursat.
Les conversations cessent et une grande agitation
s'empare du salon. Les femmes poussent de petits cris et applaudissent quand le
petit monsieur élégant fait son entrée, la canne à la main, en compagnie d'un
autre homme, blond et fort. Alberto remercie; sa visible timidité désarme les
plus entreprenants qui, incapables de se maîtriser, ont accouru pour le voir de
près et même lui serrer la main.
Aïda, qui était jusqu'alors restée absente, a les
yeux fixés sur le nouvel arrivant. Lui ne manque pas de remarquer la jeune
fille qu l'observe d'un regard si pénétrant qu'Alberto aurait certainement déjà
pris feu s'il était inflammable. Alberto passe devant la jeune femme, la
regarde quelques secondes puis va aussitôt baiser la main de la comtesse de
Bouvard.
Cet événement inaccoutumé n'échappe pas à Sem et un
léger sourire ironique lui vient aux lèvres. Petitsantôs n'était donc pas aveugle,
ni le capitaine Ferber d'ailleurs, qui observe avec inquiétude les réactions
d'Aïda.
La vieille comtesse accueille ses hôtes célèbres
avec une joyeuse cordialité.
- Mon cher Petitsantôs, quel honneur. Je veux que
vous me racontiez tout ce que vous faites. Si vous saviez combien j'ai eu peur
que Monaco ne vous enlève à nous.
Petitsantôs entend à peine la comtesse.
- Monaco ?
- Mais oui, Monaco. Car enfin, le prince ne vous
a-t-il pas ouvert sa principauté pour que vous y installiez tous vos merveilleux
ballons ?
- Petitsantôs sait bien mal exprimer sa gratitude,
intervient Sem, railleur. Il n'a rien trouvé de mieux à faire que de précipiter
son altesse, le prince Albert, au fond d'une barque avec le guiderope de son
ballon...
- Doux Jésus ! Et qu'est-il arrivé au prince ? La
comtesse était anxieuse.
- Le prince n'a pas bien évalué le poids de la
corde, tente d'expliquer Petitsantôs, et il s'est fait traîner par le n°6.
- Le n°6 ?
- Le dirigeable !
- Plaît-il ?
- Hum...le... le ballon...
- Ah ! oui.
- A la deuxième tentative, il a été facile de
ramener le n°6 vers le quai puis au hangar. J'allais plus vite qu'il n'y
paraissait...
- Et le prince ?
- Quel prince ? demande Petitsantôs à la comtesse
déconcertée.
- En fait, répond Sem qui se retient à grand-peine
de rire, le dirigeable n°6 comptait plus pour Alberto que la santé du prince de
Monaco.
La comtesse de Bouvard considère Petitsantôs d'un
air ouvertement réprobateur.
- Je vois ! Petitsantôs n'aime pas les aristocrates
!
Márcio Souza : Le
Brésilien volant (1986)
Traduction de Lyne Strouc
(1990)
Aux Editions Belfond
Et puis Santos-Dumont c'est aussi l'occasion de
partager trois nouvelles planches de João Spacca, tirées d'une BD que vous ne
trouverez ni à l'Entropie, ni dans les rayons d'aucune autre librairie, mais
seulement auprès de l'auteur :
Ayant lu cet extrait, j’ai envie de lire tout le reste du livre ! Il ira sur ma liste, pour que je puisse l’acquérir lors de mon prochain achat livres !
RépondreSupprimerNice sharee
RépondreSupprimerNice blog thanks for postinng
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