Au détour d'un libraire, je tombe sur les chroniques du toutologue Philippe Meyer, Le ciel vous tienne en joie. La chronique du 7 janvier 2012 est la suivante. Que monsieur Meyer et son éditeur aient l’œil tolérant sur cet abusage du droit de citation élargi. Il fait suite à l'article "Amazon, l'algorithme contre le libraire", et l'extension de navigateur interner Amazon-Killer, permettant de retrouver un livre dans le monde réel.
L'initiative n'a pas fait en France tout le bruit qu'elle mérite. Pierre Assouline en a touché un mot dans l'un de ses blogs, à la veille de Noël, mais sans doute la trêve des confiseurs a-t-elle enveloppé cette information dans une ouate amortisseuse.
De quoi s'agit-il ? D'une affaire d'espionnage dont on vous propose d'être les acteurs, pour ne pas dire les héros, et cela sans aucun entraînement, cours, stage ou cycle d'immersion et avec, pour toute panoplie, votre téléphone cellulaire sur lequel vous aurez pris soin de charger préalablement une nouvelle application. Armé de cet ustensile ainsi perfectionné, vous vous rendrez dans un magasin, vous y repèrerez les marchandises qui vous plaisent ou que vous aviez prévu d'acheter, vous scannerez leur code-barre et donc leur prix, et vous enverrez cette image à son commanditaire, un site de vente en ligne. Pour rémunérer votre collaboration, le site en question vous offrira un avoir de cinq dollar par étiquette scannée à concurrence de trois avoirs au maximum. De plus, en retour de votre scan, le site de vente en ligne vous informera du prix qu'il pratique pour la même marchandise. Les marchandises pour lesquelles cette offre est valable sont les ivres, et le site de vente e n ligne, c'est Amazon.
Il y a quelques années, ayant à ma table un ecclésiastique qui avait été l'aumônier de mon adolescence, comme il ne se faisait pas prier pour reprendre des plats et du dessert, et qu'il en faisait l'éloge, je lui fis remarquer avec affection qu'il y avait un certain amusement à attirer un saint homme de prêtre sur les sentiers du péché mortel de gourmandise. "Bougre d'âne, me répondit-il charitablement, tu ne m'entraînes nulle part. C'est parce que tun ne sais ni théologie ni latin que tu commets une pareille erreur. La gourmandise n'est un péché mortel qu'à cause d'une traduction erronée ou, pire, sottement moralisatrice. Le péché, c'est la gloutonnerie, en latin gula."
C'est à la gloutonnerie que s'abandonne Amazon, et c'est un péché capital contre l'esprit.Comme l'écrit Denis Lehane, le romancier de Mystic River dont Clint Eastwood tira un film, ce site de vente en ligne pratique "le capitalisme de la terre brûlée". Mettre à genoux les libraires peut permettre une opération fructueuse à court terme, mais, une fois qu'Amazon aura conquis le monopole de la librairie, ou une position dominante proche du monopole; qui assurera le contact entre les livres et leurs lecteurs potentiels ? Qui sera capable de nous faire miroiter des univers que nous ignorons ? Qui donnera envie de lire et de livres ? Qui sera capable de vendre aussi bien le dernier roman dont on cause dans le poste que de trouver un lecteur pour l'ouvrage sur L'influence de la nuit polaire sur le psychisme des Lapons mûri pendant des années par un passionné savant et obscur et destiné à le rester. Une librairie, c'est exactement ça : un magasin dans lequel on entre pour faire une emplette particulière et dont on ressort avec d'autres achats. Un livre, ça se palpe, ça se feuillette, ça se retourne, ça se compare avec ceux du même rayon, ça conduit à demander un renseignement au libraire, et un libraire qui vous aura vendu des livres et qui aura répondu à vos questions, saura vous proposer des livres qui répondent dans vos curiosités qu'il vous connaît ou qui rencontrent des dilections que vous lui avez confiées. Si vous avez du goût pour cafter, profitez de l'offre Amazon. Si vous voulez acheter vos livres à quelqu'un qui lit, préférez les libraires. Ça vous évitera de faire des économies qui vous coûteront cher.
Le ciel vous tienne en joie.
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