L'entropie par Charon |
L'Entropie est votre librairie d'élection à Paris pour les livres anciens et d'occasion. Mais à l'origine, l'entropie désigne également un terme issu du champ scientifique, et repris dans un langage plus courant dans un sens proche du désordre. On le doit au physicien/mathématicien allemand Rudolf Clausius, qui l'introduit vers 1865 dans le cadre des études sur la chaleur, qu'on englobe dans le terme de thermodynamique, et qui traite des relations entre les quantité physiques d'énergie, de travail, de température, etc. Il popularise et reformule ce qu'on appelle le second principe (ou la seconde loi) de la thermodynamique, dû initialement à Sadi Carnot en 1824 (réflexions sur la puissance motrice du feu). Celui-ci établit l'irréversibilité des phénomènes physiques, notamment en cas d'échanges thermiques. Il complète le premier principe qui évoque la conservation de l'énergie, et le troisième principe qui fixe l'entropie du cristal parfait au zéro absolu.
Rudolf Clausius nous dit donc de l'entropie, souvent notée S :
Rudolf Clausius nous dit donc de l'entropie, souvent notée S :
Je préfère emprunter aux langues anciennes les noms des quantités scientifiques importantes, afin qu'ils puissent rester les mêmes dans toutes les langues vivantes; je proposerai donc d'appeler la quantité S l'entropie du corps, d'après le mot grec η τροπη une transformation. C'est à dessein que j'ai formé ce mot entropie, de manière qu'il se rapproche autant que possible du mot énergie; car ces deux quantités ont une telle analogie dans leur signification physique qu'une analogie de dénomination m'a paru utile ». (cité dans Dictionnaire d'histoire et de philosophie des sciences de Dominique Lecourt, PUF, 1999).
C'est la thermodynamique statistique (expliquant notamment la chaleur comme la cause d'un mouvement désordonné d'atomes ou de molécules qui s'entrechoquent) qui donne à l'entropie sa connotation de mesure d'ordre ou de désordre. Quand on connaît la librairie Entropie, cette notion de désordre ne choque pas abusivement (V., si tu m'entends..., rien de personnel). 15 000 livres, ça ne se range pas d'un coup de clairon, pour les exemptés, les réformés, les troufions, les suppôts transitoires.
L'entropie a pris un sens plus étendu après la seconde guerre mondiale, avec le passage progressif d'un monde analogique à une représentation et un stockage numérique des données. Une charnière létale (obsolete anonymous), qui aujourd'hui se replie sur la querelle entre le livre éternel et le bit élémentaire de la liseuse. D'un côté, la neige ou le grésillement unique d'un récepteur télévisé ou radiophonique, de l'autre la qualité, la reproductibilité et l’asepsie du numérique, le clonage sans fin de l'information (on le sent bien, le biais, là). On parle alors d'entropie de Shannon, due à Claude Shannon, père fondateur de la théorie de l'information. Ce terme aurait été suggéré par John von Neumann, père de la cybernétique avec Norbert Wiener et Alan Turing. Comme quoi, la parenté pour tous n'est pas si récente. Il aurait suggéré, à raison de ce billet, que le terme d'entropie était assez peu clair pour pouvoir triompher dans tout débat. Cela devient alors une fonction mathématique qui, intuitivement, correspond à la quantité d'information contenue ou délivrée par une source d'information. Cette source peut être un fichier audionumérique, une image numérique, un fichier numérique en général. L'entropie (de Shannon) mesure dans ce cas la quantité d'information nécessaire pour que le récepteur puisse déterminer "sans ambiguïté" ce que la source a transmis.Ce concept est d'autant plus important aujourd'hui qu'il est à l'origine des techniques algorithmiques de compression de données que l'on connaît sous les noms de mp3 (pour la musique), jpeg (image), avi ou mpeg (vidéo) et autres fichiers comprimés (comme les .zip), ainsi que les livres numérisés, en format pdf, epub, ou djvu (déjà-vu). L'entropie, c'est en un mot l'information minimale que l'on doit transmettre afin de représenter parfaitement un ensemble de données numériques. Une compression sans pertes. Le reste réside dans l'imperfection de l’œil et de l'oreille, qui permet de cacher des informations quasi-imperceptibles par l'humain. Cela reste un art, de l'énergie du désordre des lettres à l'information, le livre.
Néanmoins, cette numérisation galopante (cf. le court-métrage Pixels de Patrick Jean) ne fait pas, à l'instar de la richesse, notre bonheur de soutien au livre physique, qui se laisse surprendre et partager, et qui résistera aux guerres électroniques et à l'atome durable.
Il faut donc bâtir un pont plus solide entre le livre et l'entropie. Il peut se révéler dans le livre "La Décroissance : Entropie, écologie, économie" de Nicholas Georgescu-Roegen. Cet auteur relit une pensée économique occidentale dominante, qui conçoit le processus économique comme un mouvement alternatif entre production et consommation, dans un système fermé (comme un système adiabatique en thermodynamique). Ce système semble déconnecté du monde actuel, ignorant les découvertes de Sadi Carnot et de Charles Darwin, et de leurs concepts opérants de l'entropie et de l'évolution.
La tekhné économétrique actuelle est, sous un certain angle, issue de la thermodynamique et de la théorie de la chaleur. En une ellipse abusive, elle résulte de la maîtrise technique du froid (le réfrigérateur), de la chaleur (le moteur de voiture) et d'un coup relativement bas des hydrocarbures, qui ont conjointement conduit de manière massive à la délocalisation des lieux de production et de consommation. Et en deuxième ordre des lieux d'achat (les *marchés, hyper, super, méga) et de consommation (banlieues résidentielles), reliées par la voiture, dans les pays dits développés. Commumation, dit le globish. Consommer, consumer. La forme littéraire est claire : consommer, c'est amener une chose à son terme. D'où le retour du feu et de flamme de la thermodynamique par la consommation.
Nicholas Georgescu-Roegen (1906-1994) confronte donc l'incohérence d'une idéologie de la croissance et le monde, un bio-système clos, dans lequel s'applique le second principe de la thermodynamique et celui de la sélection. Son ouvrage-phare, "La décroissance. Entropie - Écologie - Économie" est, ironie du sort, accessible en numérique, mais rien ne vous empêche de compléter l’œuvre dans la librairie entropique la plus proche.
Guy Debord : un rebelle chic ! Manuel de savoir briller en société "bobo-situ" |
Car même à 451 °F, nous tournons en rond dans le noir et nous sommes dévorés par le feu, comme le signale le palindrome neo-latin de "In girum imus nocte et consumimur igni", réjuvéné par Guy Debord et Umberto Eco.
Premier principe de la thermodynamique
Deuxième principe de la thermodynamique
Troisième principe de la thermodynamique
Entropie thermodynamique
Entropie de Shannon
Nicholas Georgescu-Roegen (1906-1994) : La décroissance.: Entropie - Écologie - Économie (1979)
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