Ci-dessous une lettre datée du 3 septembre 1915, 397ème jour de guerre. Elle a été écrite par un Poilu depuis l'un des 450 lits de l'hôpital militaire de Clermont-Ferrand, où il se rétablissait d'une légère blessure contractée deux mois plus tôt sur la presqu’île de Gallipoli, en Turquie. Un coup de chance pour lui, finalement, que cette fine blessure, au vu du nombre de soldats morts au champ d'honneur en cette fin d'été 1915. Déjà pas moins d'un demi-million d'hommes, parmi lesquels Alain Fournier, Charles Péguy et Louis Pergaud, trois écrivains souvent cités dans les manuels d'histoire aux côtés de blessés non moins illustres : Céline, qui a perdu l'ouïe et la raison aux premiers jours du conflit, Cendrars, qui a laissé son bras droit quelque part en Champagne, et Genevoix sa main gauche sur une pente des Eparges.
Noyé dans la multitude des combattants anonymes, Antoine
Mayet a lui aussi pris la plume mais pour écrire à sa sœur. Allongé sous les
draps propres de son lit d'hôpital, à l'abri des bombes, des balles et des
intempéries, choyé par les nonnes et nourri comme un prince, Antoine Mayet n'est
pas le moins du monde pressé de voir ses plaies se refermées. Au contraire,
rien ne le rendrait plus heureux que de les voir suppurer jusqu'à la fin des
hostilités, même si, parfois, la douleur lui arrache encore de légers râles ou
de petits gémissements auxquels personne ici ne prête plus la moindre attention.
Autour de lui, une cinquantaine de lits occupés par autant
de frères d'arme à la chair meurtrie mais au cœur endurci. En face, deux jeunes
fantassins, l'un plâtré l'autre bandé, discutent à bâtons rompus du soir au
matin. Ils n'évoquent jamais aucun projet d'avenir, mais s'échangent leurs
souvenirs comme s'ils avaient déjà cent ans. A sa gauche, un petit quarteron
d'estropiés jouent leur ration d'alcool à la manille coinchée. Ils ponctuent
chacun de leurs coups de bruyants éclats de voix, et chacune de leurs parties de
plaisanteries à faire rougir les bonnes sœurs. A sa droite, enfin, une fenêtre
entrouverte par laquelle un air frais se glisse dans la chambrée et lui chatouille
l'épiderme au passage. La tête penchée sur l'oreiller, Antoine regarde les
arbres du parc, leurs feuilles encore vertes sur des branches encore fortes. Il
pense d'abord aux camarades qu'il a laissé là-bas, sur le front d'Orient où
beaucoup sont tombés. Puis il songe avec philosophie à son foyer et à ses
parents qu'il ne reverra peut-être jamais plus. Fataliste, Antoine ne cille pas
davantage qu'il ne bronche. Les yeux à présent rivés au plafond, il cherche ses
mots dans le brouhaha du dortoir. Il a le front plissé de celui qui s'attelle à une tâche
difficile. Il est pâle, silencieux et presque immobile. Seule sa main semble
trembler un peu, mais ça doit être le vent...
3 septembre 1915... Tandis qu'à Chantilly les pontes de
l'Etat-Major prépare la seconde bataille de l'Artois (60 000 morts), qu'à Paris
la Comédie Française reprend Demi-Monde, une satire sociale d'Alexandre
Dumas fils, et qu'en Suisse les socialistes rédigent leur manifeste pour la
paix, Antoine Mayet, de son lit d'hôpital, écrit à sa sœur :
Chaire seure je técri sé deus [mots] poure te dôné de ménou vaile Je tre previn que je sui prepauze poure nôtre moi de prolongasion est je raite à lopitale juque jôré resu un saire tifiqua des bairejemen poure pasé de ven la cômision qui se trou vera di[manche?] prochain est pense de paretire de clairemon maicredis poure le dairegné tré Jaipaire que ma laitre [te] trouve en bônesenté un sui que mon bôfraire Je sui a lôpitale n°11 conve les sen chamalliaire A dieu chaire seure je ten brase detou moncoure. Mayet Antoine
Traduction : Chère soeur, je t'écris ces deux mots pour te donner de mes nouvelles. Je te préviens que je suis préposé pour un autre mois de prolongation et je reste à l'hôpital jusque j'aurai reçu un certificat d'hébergement pour passer devant la comission qui se trouvera dimanche prochain, et pense partir de Clermont mercredi par le dernier train. J'espère que ma lettre te trouve en bonne santé, ainsi que mon beau-frère. Je suis à l'hôpital n°11, convalescence Chamalières. Adieu, chère soeur, je t'embrasse de tout mon coeur. Mayet Antoine.
Cette lettre, extraite d'une correspondance dégotée
un jour de brocante, n'est bien évidemment représentative que d'elle-même et de
celui qui l'a signée.
Soldat parmi 8 millions d'autres, Antoine Mayet était
originaire d'Olliergues, un petit village du Puy-de-Dôme situé au bord de la
Dore. Né en avril 1895 de parents valets de ferme, on suppose qu'il a grandi au
milieu des bêtes dont s'occupait sa mère et des champs que labourait son père.
Le soir venu, l'enfant dînait sans doute en famille, à la lueur d'une lampe à
pétrole et dans l'odeur un peu rance du chou farci. Là, assis devant sa potée,
chacun devait raconter sobrement sa journée de labeur ou d'école. On
causait tantôt en patois, tantôt en français, mais toujours avec cet accent
d'Auvergne dont Antoine Mayet ne se départira jamais tout à fait, et que l'on
retrouve d'ailleurs dans chacune de ses lettres : tré pour train,
aipéré pour espéré, praique pour presque, etc...
S'il écrivait comme il parlait, c'est qu'il a du quitter l'école de Ferry sitôt
atteint ses 13 ans (pas possible avant, peu probable après). Fils de paysans modestes,
on imagine qu'il commença alors à gagner son pain et son vin, probablement en
aidant ses parents dans leurs travaux agricoles. Dès lors, labours, semailles
et moissons rythmèrent les saisons, puis les années, de même que les fêtes, les
foires ou les bals où l'on allait guincher, boire et draguer la gueuse.
1908... 09... 10... l'enfant s'endurcit. 1911... 12... 13... l'enfant devient homme. Et lorsque le tocsin sonne au clocher du village, Antoine a 19 ans. Devançant de quelques mois l'appel de sa classe, il est incorporé au 216ème Régiment d'Infanterie en compagnie de jeunes gars du pays, puis est reversé au 175ème où il ne connaît personne. Lui qui n'a jamais dépassé les frontières du Puy-de-Dôme, le voilà maintenant lancé par monts et par vaux. Son fusil à l'épaule et son barda au dos, il sillonne la France de part en part, surtout ses hôpitaux militaires, car il est souvent malade ou blessé. Mais à peine est-il remis sur pieds que le voilà déjà reparti pour l'Asie Mineure : Alexandrie... Salonique... Achi-Baba... et puis Constantinople, où sonneront bientôt les clairons de la victoire.
1908... 09... 10... l'enfant s'endurcit. 1911... 12... 13... l'enfant devient homme. Et lorsque le tocsin sonne au clocher du village, Antoine a 19 ans. Devançant de quelques mois l'appel de sa classe, il est incorporé au 216ème Régiment d'Infanterie en compagnie de jeunes gars du pays, puis est reversé au 175ème où il ne connaît personne. Lui qui n'a jamais dépassé les frontières du Puy-de-Dôme, le voilà maintenant lancé par monts et par vaux. Son fusil à l'épaule et son barda au dos, il sillonne la France de part en part, surtout ses hôpitaux militaires, car il est souvent malade ou blessé. Mais à peine est-il remis sur pieds que le voilà déjà reparti pour l'Asie Mineure : Alexandrie... Salonique... Achi-Baba... et puis Constantinople, où sonneront bientôt les clairons de la victoire.
On sait qu'Antoine Mayet a survécu à la guerre, mais
l'histoire ne dit pas ce qu'il est devenu. Toutefois, l'homme simple et bon qui
transparaît à travers cette correspondance n'a pu mener d'autre vie que
tranquille et sans histoire. Ses lettres, toutes adressées à sa sœur, ne
comportent aucun commentaire sur la politique ou les événements militaires. Il
est affectivement perdu et moralement dépassé. Plongé dans un univers hostile
qu'il ne peut pas décrire, et remué par des sentiments qu'il ne peut
simplement pas dire, Antoine Mayet est finalement plus touchant que bien des maîtres
en littérature. Poète à sa façon, ses formules disent peu, mais elles sonnent vraies.
Extraits choisis :
Ma pôvre Maire doit bien soufrire tout de maime a vaique tan de bait a
soignét ... - - - ... Mônt fraire mécri plu, je ne sai pa poure coit qui mécri
plu, je et tendu du joure en joure de sé nouvaile ... - - - ... 39 neure que ta
laitre a mi poure me trouvét ... - - - ... Ma senté aitépatente poure le mômen ...
- - - ... Si tu peu menvoillé un paquai de tabat, une boite dalumaite et deu
créllion poure écrire la prôchaine laitre ... - - - ... Il i a tin détachemen
qui pare lindi poure la Saire bi ... - - - ... Je croillai bien den naitre care
on na que pri den les plujeune ... - - - ... Le ten me dure de te voire ... - -
- ... Je pare de min poure la Saire bi a cinqueure du matin ... - - - ... Il fô
aipéré que lagaire finira au plutau, care sai bien lon tou de maime ... - - -
... On nai une bône bande en semble : 270 home, 16 caporau, 22 sou zofisié
est 3 zofisié ... - - - ... La taire ne boipalau ... - - - ... On ne voi rien
du tou, que des côre bôts ... - - - ... Lon va ta les glize ... - - - ... Le
frois revien un si que la naige ... - - - ... Sai toujoure a peupré la maime
chôze ... - - - ... Saitin pélli de brullard ... - - - ... Il fô prendre
paçianse ... - - - ... Du poulait praique tou les joure ... - - - ... I ne fait pu si chau come les joures
daigné ... - - - ... Lon na pa zune minute a nou ... - - - ... On ne pencai pa
que sa dure ten tou de maime é on saipa can cafinira ... - - - ... Il sen fait
pa du tou car il nou zamuse bien. Il a tou joure quaique chause a nou dire ... -
- - ... I fô aipérer que sa pasera sète moveze gaire ... - - - ... Si on na le
bôneur de revenire on nôra vu bien des chauze ... - - - ... Lon nai pa tro
malle tou de maime magrai tou les mizaire que lon na ... - - - ... Care minte
nen il ne fait pa si chau côme d’i a caique joure ... - - - ... A dieu chaire
seure
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