Toutes les citations qui vont suivre sont tirées de la correspondance de Camille Régnault, numéro matricule deux-deux-sept-huit, chef de section à la 1ère Batterie du 47ème R.A., né à Champigneulles le 7 mai 1893, et mort pour la France le 23 juin 1917, à l'âge de 24 ans.
Il est bon de rappeler ici que l'auteur de ces lettres
était un soldat de métier, aimant le travail soigné et percevant pour le faire
une solde mensuelle très largement supérieure aux cinq sous concédés par
l'Etat aux vulgus pecum des campagnes, ces 4 millions de paysans
contraints d'abandonner tout à la fois leurs terres, leur femme et leurs
enfants un jour d'août 1914.
Camille, lui, n'avait ni les soucis d'un époux ni ceux
d'un père de famille, rien qui ne le rattachait, pas même une amoureuse à rassurer
durant son absence. Il n'avait pas non plus à s'inquiéter des travaux de la
ferme ou des champs, à se demander tous les jours comment s'en sortaient les
siens, à espérer ou à craindre pour eux presque plus que pour soi.
Rompu à la discipline militaire, habitué aux manœuvres et
aux exercices, la guerre n'est pas une contrariété pour Camille, mais la suite
logique de sa formation, voire son aboutissement. Il y est préparé depuis sa
plus tendre enfance, à tel point qu'on a parfois l'impression qu'elle reste
pour lui un jeu, un divertissement, une récréation... il joue. Les obus
éclatent de tous côtés et les balles sifflent pour de vrai, mais jamais il ne
s'en plaint. Au contraire, la seule chose qu'il regrette c'est d'être éloigné
du Front quand les canons s'y déchaînent, et ce qui le désole encore davantage c'est
le manque d'ardeur au combat de certains de ses compagnons d'arme. Il les
voudrait tous fidèles à son image, plein d'entrain et d'enthousiasme, prêt à
donner leur vie d'un cœur joyeux, pour la France et la Victoire, en avant !
Au fil des mois et des années, plusieurs de ses camarades
meurent, fauchés par la mitraille ou les gaz de combat, d'autres sont
affreusement mutilés par des éclats d'obus, Camille dit sa peine et toute sa
tristesse, puis il jure de les venger : Camille est encore un gosse en qui
l'humanité n'a pas fini de percer.
Rappelons enfin qu'il était artilleur, donc un peu moins
exposé qu'un fantassin, et surtout beaucoup mieux traité, d'autant plus qu'il
était sous-officier.
Je
vous assure que nous sommes prêt à faire notre devoir et à foncer tête baissée,
de façon à porter la guerre de l'autre côté du Rhin dès les premiers jours.
Comme
je serais heureux de vous revoir, après avoir pris notre revanche de 70.
La
guerre ne durera pas, et l'Allemagne anéantie ne tardera pas à demander grâce.
Ici
tout le monde est joyeux, au point d'en être presque fous. On sait que les
allemands ne nous résisteront pas longtemps..
LA FOI :
Il
ne faut pas croire les journaux, ils ne sont bons qu'à donner de fausses
nouvelles. Pensez-vous que la guerre durera trois ans ? Allons donc ! Ce n'est
pas possible !
Nous
sommes proche de la victoire finale et de l'écrasement des Teutons.
Le
premier de mes vœux c'est que nous détruisions l'Allemagne comme puissance
militaire et que l'année 1915 voit leur anéantissement, c'est mon plus cher
désir.
Une
seule chose n'a pas variée après huit mois de guerre, c'est notre foi dans la
victoire française. Tôt au tard, les Boches paieront leurs dettes aux alliés.
Nous
avons plus que jamais confiance dans la victoire finale, mais nous avons compris
qu'elle ne sera pas aussi facile qu'on voulait bien le croire. Tant mieux
d'ailleurs, elle n'en aura que plus de prix.
Aujourd'hui
le mot d'ordre est "Patience". Nous en avons ! Mais comme il sera bon
de les reconduire chez eux à coups de canon.
LE SENS DU DEVOIR ET DE LA PATRIE :
Il
faut dire au petit Jules de bien travailler en classe pour devenir plus tard un
bon français. Qu'il apprenne surtout son histoire de France pour aimer son pays
comme il le mérite et pour haïr l'Allemagne, notre éternelle ennemie.
Je
m'efforce autant que possible de ne pas penser à Danjoutin : ce n'est pas que
je vous aime moins, mais la consigne est de ne pas le faire, car cela pourrait
nuire à notre courage.
Il
n'y a rien d'étonnant à ce qu'une lettre arrive ouverte. Un officier-censeur est
chargé de toutes les lire avant de les envoyer. C'est ennuyeux, mais je
comprends néanmoins qu'on agisse ainsi, puisque c'est pour le salut du pays.
Un
jour où les balles et les obus sifflaient autour de nous, Chevrier a subitement,
et soi-disant, été pris de coliques. Il s'est fait évacué au dépôt de Besançon
où il est encore, riant probablement de ses bonnes poires de Majors qui l'ont
évacué pendant que les copains se faisaient casser la figure sur le front.
La
raison qui me fait délaisser la compagnie de la plupart de mes compagnons du
Bataillon, c'est que ce sont presque tous des ivrognes qui sont tous plus
peureux les uns que les autres et qui ne pensent qu'à une chose quand une attaque
allemande se produit, c'est d'être envoyés à l'arrière. Heureusement que les
camarades du front ne ressemblent pas à ceux-là, sans quoi je crois que notre
armée serait bien à plaindre. Il est curieux de constater que ceux qui se
plaignent le plus sont ceux qui ont le moins souffert et qui sont le moins
exposé. Je souffre beaucoup d'être obligé de vivre dans une telle société, mais
personne n'en voit jamais rien et, du matin au soir, je ris comme s'il n'y
avait pas plus heureux que moi sur terre. C'est ce qui, ici encore, m'a fait
appeler "gosse". Si ceux qui m'appellent ainsi connaissaient
l'opinion que le gosse a de leur conduite, ils seraient édifiés.
LE MILITAIRE :
C'est
très amusant de tirer sur les allemands, on en oublie les balles qui nous
sifflent aux oreilles.
Nos
petits 75, dénommés 'fume-cigares', font des merveilles, mais il faut être
juste et reconnaître que leurs frères plus gros ne travaillent pas mal non
plus.
Eugène
regrette de n'avoir pas encore abattu un seul boche, ça viendra. Pour moi, sans
compter ceux que j'ai eu le bonheur de descendre avec nos chers canons, j'en ai
tué deux au fusil, près de Vic sur Aisne.
Voilà
le printemps qui approche à grands pas. Encore un mois d'hiver et ce sera la
belle saison : il fera bon se battre.
Il
n'y a pas de plaisir plus grand que de recevoir des lettres, à part celui de
détruire le plus de boches possible.
Aujourd'hui
encore le canon tonne à 2km de nous, mais ici on n'en a que l'écho et je suis
presque honteux d'être si tranquille.
Les
nouvelles sont de jour en jour meilleures et ceux qui voyaient la situation
tout en noir sont ceux qui maintenant ont le plus d'espoir, tant mieux !
Messieurs les Boches, il va falloir payer, l'huissier vous rendra visite.
Je
veux encore aller me battre, tonnerre ! Ce n'est pas le moment d'être embusqué
quand on fait du si bon travail en ligne.
J'ai
reçu hier une carte-lettre de mon cousin Charles. Il se plaint d'être mal
traité et mal nourri. Il n'a pas fini de se plaindre s'il commence déjà.
Heureusement pour lui que je ne l'ai pas sous mes ordres car je le dresserai un
peu, je crois qu'il en a besoin, ce blanc-bec.
Nous
nous sommes battus toute la journée d'hier. C'était une véritable boucherie.
Pour la deuxième fois les rues de Mulhouse ont vu couler le sang. Nos troupes
ont fait beaucoup de prisonniers, mais jusqu'à présent c'est l'artillerie qui a
fait le plus beau travail.
Je
suis habitué aux obus de tout calibre et d'ailleurs j'ai reçu mon brevet de
longue vie, car j'ai eu la lanière de mon étui-musette coupée par un éclat sans
être touché et sans même que ma veste soit déchirée.
A
son père : Les boches nous ont surnommé l'artillerie du diable.
A
sa soeur : Je crois que si les obus allemands avaient valu les nôtres, il ne
serait pas rentré grand monde de la 1ère batterie. Les balles et les obus
pleuvaient tout autour de nous et, au bout d'une heure, nous étions tous étonné
d'être encore debout..
LA GUERRE :
Le
29 août [1914],
la 2ème batterie a subi des pertes assez grandes : 2 canons hors de combat, 2
sous-officiers tués, 2 hommes tués et une dizaine de blessés.
Il
paraît qu'un grand nombre de Danjoutinois ont disparu, on parle de 35 morts. Nous
les pleurerons plus tard, car pour l'instant il ne faut songer qu'à les venger.
J'ai
des nouvelles plutôt tristes à vous annoncer. Un fantassin du 42ème m'a affirmé
avoir vu tomber Henri Fortunat dans un petit village des environs. Pauvre Henri
et pauvre maman Fortunat ! N'avoir qu'un fils et le voir mourir si jeune.
Des
cadavres restent des jours entiers entre les lignes allemandes et françaises
sans être enterrés. Vous pouvez voir d'ici si cela sent bon, c'est le vilain
côté de la guerre.
Doré
est presque guéri et ne tardera pas à rentrer, tandis que ce pauvre Froelhy ne
vous reviendra pas entier, car on lui à coupé la jambe.
J'ai
reçu une lettre de la sœur à Froelhy. La douleur que toute sa famille a
ressenti s'en échappe à chaque mot et fait peine. La pauvre Francine a du
prendre le lit tellement la nouvelle l'a frappée. La maman essaye de la
consoler en lui faisant voir ceux qui sont plus atteints que lui et même ceux
qui reposent au milieu des champs et dont la tombe restera à jamais inconnue
des parents.
J'ai
reçu hier une lettre de Froelhy. Ce cher camarade pense toujours à nous. Il
commence à se promener et ne tardera pas à avoir une jambe en caoutchouc qui
cachera son infirmité.
Ce
n'est pas le moment de songer aux permissions : nous avons notre capitaine à
venger. Il a été grièvement blessé par un obus allemand. Il a huit blessures :
7 aux jambes et 1 à la tête.
Si
Doré s'est rapidement guéri de sa blessure, son beau-frère est mort en laissant
un enfant et un autre à venir. Il a été tué en allant à la recherche d'un de
ses hommes blessé.
Un
terrible accident est survenu ici. Les batteries de 90 avaient leurs chevaux
dans un hangar lorsque le feu a pris : 58 chevaux et 5 hommes sont restés dans
les flammes.
Un
nouveau malheur s'est abattu sur mon ami Louis Doré : son frère a été tué à la
bataille de Steinbach. Ce pauvre Louis a vaillamment supporté la nouvelle et,
aujourd'hui, c'était avec un réel plaisir qu'il commandait sa pièce pendant un
tir de bombardement sur les tranchées allemandes.
J'ai
à ma pièce un vieux monsieur qui, à la déclaration de guerre, avait deux gosses
et qui maintenant en a trois. C'est un type qui n'a pas froid aux yeux et
cependant, quelquefois, on voit des larmes lui venir aux yeux quand il pense à
ses gosses.
Ce
matin j'ai appris que Julien avait eu le bras coupé par un obus, je le plains.
Faire onze mois de guerre et venir se faire enlever le bras par un obus
français, c'est idiot. Voici comment c'est arrivé : une cartouche rentrait
difficilement dans son canon, il a voulu la faire ressortir, mais le tireur a
fermé la culasse et il a mis le feu. Ce pauvre Julien avait le bras devant,
aussi tu penses qu'il n'a pas plié.
Aujourd'hui
j'ai bien de la peine. Le sous-lieutenant Marcy vient d'être tué par un obus
allemand. C'est notre troisième commandant de batterie en trois jours qui nous
quitte. Nous sommes tous animés du même désir : venger nos bons officiers. Guerre
à mort aux boches. Vengeance est notre mot d'ordre.
Les
braves gens chez qui je loge viennent d'apprendre la mort de leur fils, brûlé
vif par des liquides enflammés. La douleur des pauvres parents fait peine à
voir. Le pauvre vieux père me disait il y a un instant : "ce qui me donne
la force de vivre ce sont les deux petits qu'il laisse derrière lui". L'un
d'eux, âgé de six ans, est près de moi à l'instant et me parle de son papa. Pauvre
gosse, il ne se doute pas que jamais il ne le reverra.
J'ai
un de mes petits gars qui vient de perdre la raison subitement. Ce matin il a
cherché pendant deux heures à reproduire un tableau de Van Gogh avec des
morceaux d'écorces de pins, hier il faisait des charges terribles contre des
taupinières ou contre des arbres. C'est une douce folie, mais c'est terrible
quand même. La mort serait bien préférable à cet état.
Dorgère
a été blessé, Baccarin et De Gasquier tués. Quand donc pourrons-nous assez nous
venger de ces sauvages ? Les boches savent qu'ils ne seront pas vainqueurs,
mais refusent néanmoins de s'incliner. Avec ces gens-là, il n'y a qu'une façon
de parlementer, c'est avec les canons.
Nous
avons eu le bonheur de surprendre des régiments boches en colonne par quatre.
Il aurait fallu que vous puissiez voir ça. Je n'ai jamais rien vu qui égale en horreur
le spectacle que nous avons eu sous les yeux. Figurez-vous 6 batteries de 4
pièces vomissant chacune 20 coups à la minute dans cette masse de boches. Les
têtes et les bras volaient avec un ensemble parfait et tout cela nous faisait
rire mais alors à gorge déployée. Quatre jours après, quand nous avons traversé
le champ de bataille à la poursuite des allemands, nous avons tous été terrifié
de l'aspect de ces cadavres d'où s'échappaient une odeur nauséabonde. Les
cadavres étaient couchés par centaines, un grand nombre défigurés ou mutilés,
d'autres sans une blessure, empoisonnés par les gaz que répand la mélinite en
explosant. Les allemands n'avaient pas été long à fuir, mais 1/4 d'heure avait
suffit pour un tel carnage. C'est là que l'on voit l'utilité des canons à tirs
rapides. Les boches ne pourront jamais se vanter d'avoir fait autant de travail
en si peu de temps.
L'ENNUI :
Je
m'ennuie à mourir et ne sais vraiment pas quoi vous dire tellement notre vie
est insipide.
Je
crois que nous allons bientôt retourner au front et j'en suis heureux car je
m'ennuie trop à ne rien faire pendant que les Boches sont chez nous.
Ici,
pas de grandes nouvelles. Nous avons repris notre vie monotone de guerre de
siège, avec de temps en temps quelques coups de canon.
C'est
avec un réel plaisir que nous avons reçu l'ordre de revenir au front.
Tu
dois savoir que je suis de retour sur le front. Je ne m'en plains pas, je
t'assure, car je trouve joliment le temps long quand je n'y suis pas.
Je
regrette de ne pas être en ligne avec ma section, mais il vaut mieux que
j'oublie cela, car je m'ennuie davantage quand j'y songe.
Je
suis toujours au Dépôt Divisionnaire et, à mon grand désespoir, il semble que
je vais y prendre racine.
LES A-COTES :
Je
vais vous faire un portrait en qui, si vous le pouvez, vous tâcherez de
reconnaître quelqu'un de connaissance. De corps, c'est un homme à peu près de
ma taille, mais un peu plus maigre. Il porte une barbe de deux mois, tirant
fortement sur le roux, et des cheveux longs de 10cm, peignés une fois tous les
quinze jours. Comme habillement : une culotte d'artilleur avec une dizaine de
pièces cousues tant bien que mal, et une veste qui, tout comme la culotte, pour
avoir été neuve il y a deux mois, n'en est pas moins usée et sale aujourd'hui.
Voilà le portrait de votre serviteur. Rencontré au coin d'un bois il ferait
plus peur que pitié.
Ces
jours derniers, avec un camarade, nous nous sommes payé un petit plaisir : la
chasse aux écureuils. Nous en avons rapporté quatre, que nous avons tués avec
un fusil qui, d'habitude, sert à un autre gibier.
Je
suis fâché : il n'y a plus moyen de chasser les écureuils, le Général l'a
défendu. Quel malheur ! tout de même.
Je
crois que la vie de saltimbanque sera celle que j'adopterai en revenant de la
guerre. Une vieille roulotte, ou plus simplement encore un vieux bâton pour
porter mon baluchon. Je chanterai pour gagner quelques sous et dormirai le soir
à la belle étoile, quoi de plus charmant.
Demain
nous avons une grande cérémonie à remplir. Notre cher Commandant veut que nous
baptisions nos cabanes. La mienne s'appellera "Villa Georgette". Je
l'ai décorée moi-même avec du lierre et j'ai aussi préparé la pancarte que l'on
appliquera demain avec pompe. Le vin manquera un peu à la cérémonie et, en
raison des circonstances, il n'y aura pas de banquet, mais ça ne fait rien, on
s'amuse comme on peut.
Mes
hommes jouent toute la journée aux cartes depuis que je leur en ai acheté un
jeu.
De
temps en temps on se paye de jolis spectacles. Il y a bien des jours où l'on
est un peu émotionné mais c'est, comme disait un officier : l'émotion du
chasseur qui voit venir à lui le gibier longtemps attendu.
Pendant
mes longues heures de repos j'ai contracté un vilain défaut : je fume la pipe.
Oh ! pas beaucoup, une ou deux par jour, au plus, et pas tous les jours,
encore.
Un
homme de ma pièce est allé aux tranchées pour faire un observatoire. Ayant vu
un allemand à une fenêtre, il l'a proprement mouché et a repris son travail. Un
instant après, comme il allait pour poser culotte, une mitrailleuse a voulu le
torcher et a ouvert le feu sur lui, mais sans succès. Lui ne s'en est pas ému
pour autant et m'a bien fait rire en me racontant son histoire.
Nous
avons pour voisins ce qui reste des deux régiments marocains qui ont pris part
à la bataille de la Marne : environ 1500 hommes sur 6000. Malgré cela, ils sont
étonnant d'entrain et de gaieté. La plupart ont les pieds gelés et sont
enrhumés, mais ils ont toujours la chanson aux lèvres. Il y en a de toutes les
teintes, depuis le noir de jais jusqu'au blanc de lait.
J'ai
des hommes qui se conduisent parfois en véritables gamins. Nous sommes logés
ici chez un vieux bonhomme un peu grippe-sou, aussi ai-je bien recommandé
d'être sérieux et de ne rien détériorer pour éviter d'avoir des ennuis. Cette nuit,
ils n'ont rien trouver de mieux que d'attacher deux méchants chevaux à côté
d'une cage à lapins. Je te donne à penser si la cage était en bel état ce matin.
D'où la rage du vieux qui nous a dit que nous voulions le faire mourir de misère.
J'ai eu un mal de chien pour l'apaiser.
Je
vois que ma belle-sœur Jeanne ne se montre pas pressée de me rendre oncle une
fois de plus. Qu'est-ce que cela veut dire ? Est-ce que monsieur l'héritier de
mon frère ferait déjà la mauvaise tête avant d'être au monde et refuserait de
sortir de sa tanière. Ce sera probablement un guerrier à la nouvelle mode s'il
aime tant que ça son trou.
Pour
te faire une idée du moral des hommes ici, je voudrais que tu les vois. Il y en
a qui jouent au football, pendant que d'autres jouent aux cartes. Pendant ce
temps les boches nous envoient quelques obus, mais ils n'éclatent pas. Aussi
les jeux continuent.
Pour
la première fois cette année, je t'écris du dehors, j'ai sorti ma table et mon
banc et je me suis installé au soleil. Un bon soleil de printemps, encore un
peu faible mais qui fait du bien quand même.
J'ai
appris aujourd'hui un nouveau métier, j'ai essayé de faire une bague en
aluminium et je n'ai pas mal réussi, tu verras, je la mets dans ma lettre.
Rien
à signaler aujourd'hui, si ce n'est un violent bombardement boche dans les
betteraves à 400m de nous. Pauvres betteraves ! Au moins 500 ont été déracinées.
Pauvres boches aussi, car en voilà des obus de perdus.
Depuis
quelques jours j'ai touché un nouveau manteau bleu horizon, très joli, ma foi,
mais qui irait mieux pour parader à l'arrière que pour mettre ici. Il ne va pas
conserver longtemps sa belle couleur. Enfin, il faut bien suivre la mode. Ce
qu'il y a de bien là-dedans, c'est que l'on ne peut plus nous appeler 'sac à
charbon'.
A
son beau-frère, tourneur d'obus : J'espère que tu travaille toujours avec
ardeur pour nous faire ces bons cigares dont les boches sont si friands que
nous n'arrivons jamais à les rassasier. Pourtant, je te promets qu'on ne peut
pas être plus généreux que nous et que nous les servons le plus vite possible.
Mais ils sont si gourmands qu'une grande quantité d'entre eux meurt d'avoir
trop fumé de cigares français.
Ma
chère Georgette, il ne faut pas trop nous plaindre, sais-tu. Nous avons de
mauvais moments, c'est vrai, mais nous en avons de bons aussi.
Les
rires ne cessent pas de se faire entendre autour de nos abris, c'est te dire si
le moral reste toujours excellent.
Si il y a de bons camarades, il y en a
aussi qui ne valent pas grand chose.
La
chasse aux rats recommence, c'est un sport assez agréable.
Il
y a bien assez longtemps que je suis militaire pour savoir qu'un ordre est
presque toujours suivi d'un contrordre.
Je
suis allé cueillir du muguet hier soir. J'en ai fait un joli bouquet qui orne
ma table. C'est un agrément et cela rend moins triste ma cellule, car ma
chambre ressemble fort à une cellule de moine : la couchette, une table, et
c'est tout l'ameublement que l'on y trouve.
Hier
soir j'ai assisté à un coucher de soleil de toute beauté. Comme nos canons et
ceux des boches venaient de se calmer, des oiseaux se sont réveillés. Le
coucou, le ramier, l'alouette, la caille et la perdrix s'égosillaient à qui
mieux-mieux. Je savais déjà que j'avais une alouette et une caille pour voisins,
mais je ne croyais pas que les ramiers, pourtant si craintifs, puissent se
faire à l'horrible vacarme de cette guerre. Je me disais que si j'étais à leur
place j'irais faire mon nid du côté de Bordeaux ou Marseille. Mais voilà, je ne
suis pas un oiseau et, comme homme, il faut que je reste ici et que je patiente
pour voir enfin ces cochons de boches repasser leur frontière.
Voilà. Lorsqu'Elisabeth Régnault reçoit et lit la dernière
lettre de son fils, elle le croit à l'abri du danger dans un camp d'instruction,
mais il est déjà mort... d'un accident de grenade, alors qu'il apprenait aux
bleuets à les manipuler.
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