2013/12/29

Comme si de rien n'etait : Kultur Pop 2013.19 (Pearls)

La Perle et la vague, Paul-Jacques-Aimé Baudry, 1862
Tandis que les huitres ont perdu une bonne occasion de faire des perles, qu'en 2014 il faudra mettre un coup de collier, que d'aucuns viennent de découvrir la réponse à La Grande Question sur la vie, l'univers et le reste et que les clochards ne peuvent se cacher dans leurs coquilles, le volume 19, peut-être l'ultième de l'an 2013, des génériques d'émissions de Radio France - Kultur Pop, 2013 point 19 vient de paraitre à retrouver en liens sur Kultur Pop, et en clair ici même.

Quelques perles anciennes qui ne trouvèrent pas place dans les précédents, du Marc-Olivier Dupin, un Popol Vuh en colère, un Didier Squiban en contre-chant, un poil de Yo-Yo Ma et Bobby McFerrin musettant Bach, et Michel Portal. Ouala.

J.M. Machado de Assis : Dom Casmurro

« Chez Machado de Assis, conteur né, le mélange d'humour léger et de scepticisme délibéré donne à chaque roman un charme tout spécial » (Stefan Zweig)

Malgré ses 325 pages et ses 148 chapitres, ce roman de Machado de Assis peut se résumer en quelques mots : le narrateur, un quinquagénaire blasé, pour se désennuyer, se décide à raconter certains épisodes de sa vie, à commencer par sa conception, puisque sa mère, Dona Maria da Gloria Fernandes Santiago, après avoir accouché d'un enfant mort-né, promit à Dieu, s'Il lui accordait la grâce d'avoir un fils, d'en faire un serviteur de Sa très sainte Eglise. Et comme l'enfant qui lui vint peu après fut un bébé de sexe mâle, elle honora sa promesse en l'éduquant dans cette seule optique : jouets liturgiques, livres pieux, messe le dimanche et cellule monastique bien évidemment réservée au séminaire de São José... Seulement, c'était sans compter sur la volonté personnelle d'un adolescent de 15 ans à l'heure de ses premiers émois, et c'était oublier un peu vite les sentiments amoureux que Bentinho commençait à nourrir à l'égard de Capitou, sa jeune et jolie voisine...

Bento parviendra-t-il à contrecarrer un destin tout tracé par sa mère ? Fera-t-il de Capitou sa chère et tendre épouse ? Suivant quel stratagème, avec quels soutiens et quelles complicités ? Capitou est-elle vraiment celle qu'il croit qu'elle est, ou bien n'est-ce pas plutôt l'amour qui l'aveugle ? Voilà, en gros, de quoi il retourne dans ce roman d'un conteur-né, au style bien léché et à l'humour léger — Zweig a raison. Sauf que la légèreté de Machado de Assis confine parfois à de la superficialité, son humour à du cynisme, et son style soigné à une forme de dandysme littéraire. De sorte que cette lecture m'a été tout à la fois agréable et pénible, et qu'elle me laisse finalement l'impression d'avoir été convié à déguster des feuilletés Fauchon dans un salon bourgeois, le cul coincé sur un fauteuil Empire, entouré de personnages ni attachants ni repoussants, mais simplement transparents...
On regrette surtout que l'auteur aborde ici des questions de fond — notamment la prépondérance de la religion dans la société brésilienne à la fin du 19ème siècle, ou encore l'opposition entre déterminisme familial et libre-arbitre — qu'il les aborde mais avec des pincettes à sucre, sans jamais vraiment les saisir à bras-le-corps, ni prendre parti, me laissant ainsi sur ma faim, c'est dommage.

Enfin, par un curieux hasard de l'Histoire, le siège de l'académicien Joaquim Maria Machado de Assis sera occupé 64 ans plus tard par un certain Jorge Amado de Faria, lequel Amado déclara en 1961, lors de son discours de réception à l'A.B.L., ce qu'il avait déjà dit de son prédécesseur, en 1941, et donc de manière moins "académique", dans Le Bateau Négrier, la Vie d'un Poète :

[...] Le romancier de Dom Casmurro était un métis, qui, de très basse origine, désirait avant tout s'élever dans l'échelle sociale. Cette classe supérieure [...] était pour le métis carioca la seule chose belle et désirable. Il considérait comme la victoire de sa vie de s'intégrer à cette classe et d'en être le chef de file [...] Machado, homme de faible nature, mettait ses sentiments en sourdine. Non seulement il ne mentionna jamais les grands problèmes de l'époque, mais il oublia aussi, c'était son caractère, ses petits détails sentimentaux, ce qui dénote [...] une idolâtrie pour une classe sociale qui l'éblouissait. Il ne s'éleva pas à force d'audace, en s'imposant comme un égal, en réclamant une place due à son talent. Il quémanda sa place, dans une démarche faite de tristes flatteries, de mesquineries, de silences et de réticences. Cet homme au talent remarquable avait de petits sentiments où n'entrait que l'amour de lui-même. Il voulait parvenir à une place importante dans la classe dominante, mais cela sans blesser personne [...] Même parvenu à son but, entouré de respect et d'admiration, reconnu par tous, il ne se sentait pas en sécurité. Sa voix ne s'élève jamais, elle reste toujours en sourdine, et même si c'est une belle voix, elle est, sur beaucoup de points, une voix stérile. Aucun des grands hommes de notre patrie ne nous donne une telle impression de peureuse neutralité que le romancier carioca. On dit qu'il est timide, mais c'est un adjectif bien faible. Il est peureux et même plus que peureux, il est lâche. C'est pour cela que le peuple l'admire mais de loin. Aucun écrivain n'a été moins aimé que cet homme qui aurait pu être le plus grand de tous. Personne ne se retrouve en lui, il a traversé l'histoire politique du Brésil sans en prendre connaissance. Comme si seuls les petits évènements trouvaient un écho dans son cœur. Même son bonheur fut fait de petites choses, petit homme jamais sûr de lui-même. Il se complaisait à rendre hommage à ceux qui ne pouvaient le concurrencer, craignant toujours l'apparition d'un nom qui pourrait l'éclipser. Fier d'être considéré comme le meilleur romancier de langue portugaise de son temps, il gardait un silence prudent sur tous ceux qui auraient pu lui faire de l'ombre. Rien de plus triste dans l'histoire de notre littérature que le spectacle mélancolique de cet homme de talent qui ne croyait pas à la force de ce talent, qui ne participait pas à la défense des grandes causes, qui avait peur de la vie et n'a jamais voulu l'affronter. Une pénombre triste que le soleil ne réchauffe pas.

On ne saurait mieux dire.

Extraits de Dom Casmurro :

[...] Un certificat qui me donnerait l'âge de vingt ans pourrait tromper les étrangers, comme tous les faux-papiers, mais ne me tromperait pas. Les amis qui me restent le sont depuis peu ; les anciens sont tous allés étudier la géologie des cimetières. Quant à mes amies, certaines datent de quinze ans, d'autres de moins, et presque toutes croient à leur jeunesse. Deux ou trois d'entre elles y feraient croire les autres, mais la langue qu'elles parlent oblige souvent à consulter les dictionnaires, ce qui finit par être lassant.


[...] A la maison, je jouais à la messe, — un peu en cachette, car ma mère disait que la messe n'était pas un jeu. Capitou et moi, nous installions un autel. Elle faisait le sacristain, et nous altérions le rituel, en ce sens que nous nous partagions l'hostie ; l'hostie était toujours un gâteau. A l'époque où nous nous amusions ainsi, ma voisine me posait très souvent la question : « Est-ce qu'il y a messe aujourd'hui ? » Je savais bien ce que cela voulait dire, je répondais affirmativement et j'allais demander une hostie sous un autre nom. Je revenais avec, nous arrangions l'autel, nous écorchions le latin et nous accélérions la liturgie. Dominus, non sum dignus... Cette phrase, que je devais dire trois fois, je crois bien que je ne la disais qu'une seule, telle était la gourmandise du prêtre et du sacristain.


[...] Je bondis, et avant qu'elle eût gratté le mur, je lus ces deux noms, gravés au clou, et disposés ainsi :
BENTO
CAPITOLINA
Je me tournai vers elle ; Capitou avait les yeux baissés. Elle les leva aussitôt, lentement, et nous restâmes à nous regarder l'un l'autre... Aveu d'enfants, tu mériterais bien deux ou trois pages, mais je veux être concis. En vérité, nous ne dîmes pas un mot ; le mur parla pour nous. Nous ne fîmes pas un mouvement, nos mains seules se tendirent peu à peu, toutes les quatre, se saisirent, se pressèrent, se fondirent. Je ne notai pas l'heure exacte de ce geste. J'aurais dû la noter ; je regrette de ne pas avoir une note, écrite dès ce soir-là, et que je placerais ici avec ses fautes d'orthographe, mais il n'y en aurait aucune, tant il y avait de distance entre l'étudiant et l'adolescent. Il connaissait les règles de l'écriture, et ne soupçonnait pas celles de l'amour ; il faisait des orgies de latin et ne savait pas ce qu'était une femme.


[...] - Je n'aime que vous, maman.
Il n'y eut pas de calcul dans cette phrase, mais je fus heureux de l'avoir dite, pour lui faire croire qu'elle était ma seule affection ; je détournais les soupçons qui pesaient sur Capitou. Combien n'y a-t-il pas d'intentions perverses qui embarquent ainsi, en cours de route, dans une phrase innocente et pure ! On en arrive à se demander si le mensonge, souvent, n'est pas aussi involontaire que la transpiration.


[...] Escobar ne savait pas seulement louer et penser, il savait aussi calculer vite et bien. Il était de ces têtes arithmétiques de Holmes (2 + 2 = 4). On n'imagine pas avec quelle facilité il additionnait ou multipliait mentalement. La division, qui a toujours été pour moi une opération difficile, était pour lui une bagatelle : il fermait à demi les yeux, les tournait vers le plafond, et murmurait le nom des chiffres : c'était tout. Et cela avec sept, treize, vingt chiffres. Sa vocation était telle qu'elle lui faisait aimer jusqu'aux signes des additions, et il affichait cette opinion que les chiffres en raison de leur petit nombre, étaient plus chargés de sens que les vingt-cinq lettres de l'alphabet.
- Il y a des lettres inutiles et des lettres dont on peut se passer, disait-il. Le d et le t, ont-ils chacun leur utilité ? Ils ont presque le même son. Même chose pour b et p, même chose pour s, c et z, même chose pour k et g, etc. Ce sont des embrouilles calligraphiques. Regarde les chiffres: il n'y en a pas deux qui servent au même usage ; 4 c'est 4 et 7 c'est 7. Et admire avec quelle beauté un 4 et un 7 forment cette chose qui s'exprime par 11. Maintenant double 11 et tu auras 22 ; multiplie 22 par lui-même, cela donne 484, et ainsi de suite. Mais le comble de la perfection, c'est l'emploi du zéro. La valeur du zéro en lui-même est nulle ; mais le rôle de ce signe négatif est justement d'augmenter les autres. Un 5 tout seul c'est un 5 ; ajoute-lui deux 00, c'est 500. Ainsi ce qui ne vaut rien fait valoir beaucoup, ce que ne font pas les doubles lettres, car moi, j'approuve aussi bien avec un p qu'avec deux pp.


[...] Là où le charme et le mystère étaient les plus grands, c'était aux heures de l'allaitement. Quand je voyais mon fils sucer le lait de sa mère, et toute la nature communiant dans le but de nourrir et de faire vivre un être qui avait été néant, mais dont notre destin avait affirmé qu'il serait, et dont notre constance et notre amour avaient fait qu'il finît par être, j'étais dans un état que je ne saurais dire et que je ne dis pas.

J.M. Machado de Assis : Dom Casmurro et les yeux de ressac (1899)
330 pages - Editions Métailié.
Traduit par Anne-Marie Quint.

2013/12/26

Parce qu'il n'y a pas que les livres dans la vie : Beaubourg

A l'entrée de la galerie : neuf bustes en plâtre réalisés par l'artiste Wang Du (Becompddg, 2013)

Le Surréalisme et l'Objet (au Centre Pompidou jusqu'au 03 mars 2014)
Coup de chapeau à Didier Ottinger, le commissaire de l'expo, à Pascal Rodriguez, le scénographe, ainsi qu'à tous les anonymes ayant participé à l'élaboration de cette exposition consacrée à un mouvement artistique pour lequel je n'ai jamais eu beaucoup d'affinité, mais qui, cette fois-ci, m'a séduit. Toujours pas pour sa portée prétendument subversive, mais sans doute parce que la mise en scène, l'organisation de l'espace, le jeu d'ombre et de lumière... tout concoure ici à rendre esthétique cet assortiment d'objets qui n'avaient pourtant pas vocation à l'être. Sans doute aussi parce qu'il se dégage de l'ensemble une ambiance onirique de laquelle on ressort légèrement étourdi, un peu comme après une sieste en plein après-midi, ou bien comme au sortir d'une maison-hantée et visitée à bord d'un vaisseau fantôme — et c'est dire, en dépit du fatras idéologique dans lequel les surréalistes aimaient s'envelopper, la toute bête (re)plongée dans l'univers de l'enfance qui nous est ici proposée.

Du premier ready-made de Marcel Duchamp (le porte-bouteilles) aux sculptures de Miró, en passant par le téléphone-homard de Salvador Dalí, et par des œuvres de même inspiration mais plus contemporaines (Cindy Sherman, Ed Ruscha, Mona Hatoum, Philippe Mayaux...), l'exposition regroupe environ 200 œuvres réparties sur 2100m², une allée centrale et douze grandes salles, dont une entièrement dédiée à Giacometti et où nous nous sommes attardés un peu plus longuement.

A la main du Diable (d'A. Labelle-Rojoux) / La femme pain (de Salvador Dalí)
La poupée (d'Hans Bellmer) / Les photos (d'Evelyne)

2013/12/25

Parce que c'est aujourd'hui Noël : Le Verbe qui se Voit (Spacca)

Parce que c'est aujourd'hui Noël, la librairie l'Entropie vous offre, avec l'aimable autorisation de João SPACCA de Oliveira ©, ces quatre planches de BD librement adaptées du "Sermon de la Naissance de l'Enfant-Dieu", par le Padre Antônio Vieira (1608-1697).
On trouvera sur le blog de l'auteur la BD dans sa version originale, ainsi que d'éclairants commentaires, mais on ne trouvera qu'ici la traduction française effectuée par bibi, qui en a d'ailleurs bavé des ronds de flan tellement sont impénétrables et alambiquées les paroles du Seigneur... Joyeux Noël à tous ! Feliz Natal a todos !!





2013/12/22

Jorge Amado : La Terre aux Fruits d'Or

«Si j'étais directeur d'école, je me débarrasserais du professeur d'histoire et je le remplacerais par un professeur de chocolat ; mes élèves étudieraient au moins un sujet qui les concerne tous» (Roald Dahl)

Ecrit dans la foulée des Terres du bout du monde (1942), la Terre aux fruits d'or (1944) est pour ainsi dire la suite et la fin d'une espèce de diptyque consacré à celui qu'on appelait autrefois l'or jaune du Brésil, autrement dit : le cacao.
Entre la fin du premier roman — où le tribunal d'Ilhéus acquittait le colonel Horacio du crime de son rival — et le début du second — marqué par le survol de la ville à bord d'un avion de l'American Airlines —, trente ans se sont écoulés sans qu'on les ait vus passer, manière pour l'auteur d'accentuer le contraste entre les archaïsmes des années 20 et la prétendue modernité des fifties. Fini en effet le temps où les fazendeiros s’entre-tuaient pour des fèves aussi précieuses que des pépites... rangés aux râteliers et dans leurs fourreaux les armes et les couteaux... blanchis les cheveux d'Antonio Vitor, du capitaine Magalhaes et de son épouse, Don'Ana Badaro, pour citer quelques-uns des personnages des Terres du bout du monde que l'on retrouve ici vieillis et affaiblis, et dont les exploits d'antan sont désormais chantés par des aveugles le long des routes du sertão.

Entrés de leur vivant dans la légende du pays, mais dépassés par le progrès et le cours de l'Histoire, le temps est à présent venu pour ces défricheurs de forêts de laisser place à la génération suivante avec laquelle ils n'ont apparemment plus rien en commun, si ce n'est parfois un patronyme lorsqu'il s'agit des fils. Ces derniers, souvent mieux instruits et plus raffinés que leur père, sont en revanche beaucoup moins courageux et volontaires qu'eux (un peu comme si leur force de caractère était inversement proportionnelle au luxe dans lequel ils avaient grandi.) Ils se démarquent également par leur passion qui n'est plus celle de la terre, mais celle autrement plus à la mode des mots et des idées. Ainsi, tandis que certains des rejetons embrassent une carrière politique, un autre se fait avocaillon et versificateur à ses moments perdus. Tout semble donc séparer les pères de leur progéniture et pourtant, si l'on creuse un peu, on s'aperçoit assez vite que Joaquim Vitor, militant communiste, tient de son père sa loyauté et de sa mère son incroyable entêtement ; ou encore que Silveirinha da Silveira, militant fasciste, a quant à lui hérité du colonel Horacio quelques-unes de ses velléités autoritaristes, mais sans l'audace et la résolution nécessaires à leur application, etc. Le thème de la transmission, de ses continuités et de ses ruptures, fait donc de la Terre aux Fruits d'Or un roman de l'hérédité — un peu à la manière de Zola et de ses Rougon-Macquart — mais n'en constitue pas pour autant la trame principale, qui est l'économie cacaoyère et l'incoercible avidité des hommes.
Car si la lutte fratricide entre fazendeiros pour la conquête des terres s'achevait dans un bain de sang il y a de cela trente ans, si l'ordre et la paix ont semble-t-il succédé à la terreur et à la barbarie, ce n'est là qu'un simple jeu d'apparence auquel on fait semblant de croire afin de ne pas désespérer complètement. En fait, les plantations sont toujours aussi convoitées et les nouveaux prédateurs à peine moins violents, mais beaucoup plus retors et sournois, que ne l'étaient les fazendeiros. Ils se nomment désormais Carlos Zude (un brésilien), Karbanks (un américain), Rauschnings et Schwarz (des allemands). Ce sont tous des exportateurs de cacao, à la tête d'entreprises florissantes, donc richissimes eux aussi, mais pas assez, sans doute. Et les voilà donc lancés à leur tour à la conquête des fazendas avec leur arsenal de civilisés qui ne se salissent plus les mains : spéculation boursière, entente illicite, clauses cachées, prêts usuraires, endettement, mise en demeure des propriétaires et finalement spoliation. C'est propre, net et sans bavure, bien qu'on déplore toutefois quelques victimes collatérales : ouvriers mis au chômage, grève sur le tas, intervention militaire, tir à vue et morts en pagaille, oh pas de quoi fouetter un chat ni empêcher ces nouveaux maîtres du cacao de dormir tranquillement sur leurs deux oreilles.

Extraits :

Une série de cinq portraits, à commencer par celui de Carlos Zude, directeur de la Zude Irmao & Cie, l'une des principales maisons d'exportation de cacao :

Carlos enfila son slip de bain, passa dans la salle à manger, se versa un verre de vermouth puis s'éloigna sur l'asphalte chaud de l'avenue en sifflant un air de samba à la mode. Il marchait d'un pas rapide en sautillant sur l'asphalte que le soleil rendait brûlant. Un gosse assis sur un banc, qui s'entraînait au sport passionnant qui consiste à cracher sur le sable, interrompit son jeu pour voir Carlos passer. Il ne put retenir un éclat de rire insolent tant il trouvait comique cet homme bedonnant dont le ventre débordait du slip de bain qui sautillait sur l'asphalte avec ses jambes maigres. Cette moquerie altéra la joie de Carlos Zude, mettant une note de déplaisir sur cette matinée qui s'annonçait si heureuse. [...]
Carlos Zude court sur le sable, ses jambes grêles supportant son gros ventre. Des gosses jouent au football un peu plus loin. Carlos halète. Il vieillit... Quarante-quatre ans... Une simple petite course le fatigue, son ventre est lourd. Il distingue la silhouette de Julieta sous le grand parasol rouge. Ses cheveux noirs tranchent parmi les têtes blondes du couple Gerson, les Suédois du consulat. Un homme debout mange une glace, c'est Mister Brown, l'ingénieur en chef du chemin de fer. Un corps d'athlète. Cependant il doit avoir le même âge que Carlos, sinon plus. Carlos pense à la différence de leur éducation. Lui, il n'a jamais fait de sport, il a passé son enfance penché sur des livres difficiles et peu plaisants pour apprendre à lire. A quarante-quatre ans il est obèse, avec des jambes grêles, un visage bouffi. Quand il a ses vêtements il est bien, mais en slip de bain, il ne peut rien cacher... Il est fini... L'Anglais est un athlète. Carlos pense que s'il a un fils il sera élevé dans un collège anglais, Carlos l'enverra en Angleterre ou aux Etats-Unis.
Mister Brown l'aperçoit, Julieta se lève et lui fait signe de la main. Carlos s'arrête en la voyant ainsi debout, sur la pointe des pieds, le saluant de son bras levé, dressée comme une statue sous le soleil tropical. Cette image émeut Carlos Zude. Il pense qu'elle ne vieillira jamais, grâce au sport, et que son corps adoré ne sera jamais un corps flétri de vieille femme... Carlos se précipite et court vers Julieta. Les Suédois et les Anglais peuvent bien le trouver ridicule mais il prend sa femme dans ses bras et l'embrasse à pleine bouche. Un long baiser, les lèvres de Julieta disparaissent sous la moustache de son mari. L'un des gosses qui jouait au football vient chercher son ballon égaré et s'arrête pour observer la scène excitante. Carlos a fermé les yeux, Julieta aussi, mais elle voit malgré elle les corps athlétiques de l'Anglais et du Suédois et le jeune corps désirable de Guni, pareil à celui d'un adolescent.
Le gosse, avant de donner un coup de pied dans le ballon pour continuer la partie, crie à Carlos Zude :
- Profites-en, Pépère !

Le portrait de Julieta, femme de Carlos Zude, mari cocu :

- J'ai le cafard...
C'est Octavio qui lui avait dit cela lors des derniers jours de leur aventure à Rio. Comme elle se plaignait de sa fatigue, de sa curieuse lassitude, il riait, la prenait dans ses bras et expliquait :
- Ma chérie, tu as le cafard. De la neurasthénie... Une maladie de millionnaire comme toi... La maladie des gens qui n'ont rien d'autre à faire...
N'importe, c'était terrible. Cela s'approchait à pas de loup, prenait peu à peu possession de son corps, elle se sentait baignée de tristesse, indifférente à tout, désirant mourir. « De gens qui n'ont rien d'autre à faire... » Julieta aurait aimé rendre la ville d'Ilhéus, où elle était obligée de vivre, responsable de cette neurasthénie. Il y eut un temps où elle le faisait, harcelant Carlos, réclamant des voyages, des séjours à Rio. Mais ici où là, dans cette petite ville ou dans la grande capitale, le cafard revenait, prenait possession d'elle, pesait sur son cœur. Parfois c'était au moment le plus amusant d'une fête. Tout le monde était joyeux et elle, subitement, devenait grave, distante et lasse de tout, tout l'ennuyait. Elle avait essayé de boire mais c'était pire. Il lui venait alors une envie de pleurer, une agonie, un désespoir infini. Madame Lisboa — si belle et si douce — à qui elle s'était confiée lors de son premier séjour à Rio lui avait pris la tête entre ses mains, lui avait embrassé maternellement le front et lui avait dit :
- Vous avez besoin d'amour, mon enfant. J'ai été aussi comme vous, lasse de tout, inquiète et triste. Finalement j'ai découvert que j'étais seulement fatiguée de Jeronimo. Alors j'ai pris des amants. Je me suis sentie bien mieux après...
Puis elle lui avait présenté Octavio sous prétexte d'une consultation médicale. Le cabinet ressemblait plutôt à un boudoir. Et ce fut là, lors de sa deuxième visite, quand elle y retourna toute seule, qu'il la posséda. C'était son premier amant, mais ce qui était incroyable — bien qu'il ait à peine trente ans — c'est qu'il ressemblait de manière frappante à son mari ; les mêmes conversations, les mêmes mots, les mêmes ambitions, le même égoïsme démesuré. Ils se ressemblaient même jusque dans leur façon de faire l'amour. Et Julieta sombra de nouveau dans sa neurasthénie. [...]
- Un jour, je me tuerai...
Le crépuscule éveillait une souffrance dans son corps. Maintenant les gosses quittent la plage, fatigués du jeu. Ils coucheront sous les ponts, sur les bancs des jardins, dans les maisons abandonnées. « Ah ! si je pouvais les suivre... » Une maladie de gens riches, avait dit Octavio. Tout est si compliqué ! Julieta s'efforce d'analyser ses sentiments. Elle aime passionnément aimer. Son sang bouillonne de désir et au moment où elle se donne elle perd toute retenue et se laisse aller à ses plus bas instincts. Elle désire souvent des hommes qui croisent sa vie et si elle ne les prend pas tous pour amants c'est parce que cela lui est impossible. Mais quand elle sort du délire de l'acte sexuel, son partenaire — qu'il soit Carlos, Octavio ou Jack — ne l'intéresse plus. Ou bien est-ce elle qui n'intéresse plus l'homme ? L'étreinte seule peut la combler et ce n'est pas suffisant. Carlos l'aime mais ne se soucie que de son confort. Il n'a jamais soupçonné que Julieta puisse se sentir si triste, qu'elle puisse avoir envie de se tuer...

Un couple de petits planteurs déjà croisés dans Les Terres du bout du monde :

Antonio Vitor et Raimunda [...] rentrèrent le soir par la route, silencieux et graves, côte à côte mais écartés l'un de l'autre, sans échanger un mot. Il est vrai qu'il la posséda cette nuit-là mais ce fut pareil à tant d'autres nuits, leurs corps roulant sur le lit, terrassés par un sommeil lourd.
Ce jour-là aussi, regardant le ciel où s'approchaient en grandissant le nuage lourd de pluie, ils éprouvaient le besoin de se dire des mots qu'ils ignoraient, d'échanger des caresses qu'ils ne connaissaient pas et cette impuissance tant de fois ressentie les rendait timides et embarrassés. Le visage de Raimunda se ferma à nouveau, ce même visage éternellement revêche, devenu à présent un visage de vieille femme flétri par le soleil de trente récoltes. Sa bouche de mulâtresse perdit le sourire qui l'avait embellie quand Antonio Vitor lui avait montré le nuage. Mais son cœur était si plein de joie que ses grosses lèvres s’entrouvrirent de nouveau dans un sourire et qu'elle dit en se tournant vers lui :
- Antonho !
- Munda !
Il la regarda et attendit. Raimunda aussi éprouvait ce besoin de mots et de caresses, pour commenter et fêter la pluie imminente. Ils se regardèrent, ils ne connaissaient pas de mots, ils ne connaissaient pas de caresses, ils ne savaient pas comment montrer leur joie. Elle répéta :
- Antonho !
- Oui ?
Pendant un infime moment une certaine angoisse née de l'impuissance à s'exprimer passa sur son visage. Puis elle sourit de nouveau :
- Il va pleuvoir, Antonho !
- Oui, Munda !
- Ça va être une bonne récolte !
- Très bonne, Munda !
Et ce fut tout. Ils regardèrent de nouveau le ciel. Le nuage grandissait, bientôt il recouvrirait leur plantation. Peut-être, cette année, récolteraient-ils neuf cents arobes de cacao ? Peut-être même plus, qui sait ?

Les cabarets de la ville d'Ilhéus (par quelqu'un qui, apparemment, les connaissait bien) :

[...] Les employés de commerce en goguette se réunissaient à l'Eldorado. C'était un endroit gai et familier, on y buvait modestement de la bière et il était fréquenté par les putains du quartier. Le Far West, rue du Sapo, attirait les régisseurs des fazendas, les petits agriculteurs, les dockers et les marins. Le propriétaire tenait lui-même une table de jeu dans l'arrière-salle où l'on jouait avec des cartes particulièrement crasseuses. Il fut même fermé quelque temps. Rita Tanajura, qui avait un derrière monumental, était la reine du Far West. Elle chantait des sambas et dansait sur une table. Elle était présentée par un animateur maigre et efféminé comme « la grande vedette de la samba », quoiqu'elle n'eût jamais exercé cette profession. Elle était arrivée à Ilhéus, engagée comme cuisinière par une riche famille, et un jour un régisseur ivre et amoureux avait tiré un coup de feu sur ses fesses qui le tentaient tellement. Au Bataclan brillait la célèbre Agripana, une femme maigre et vicieuse qui assassinait les tangos et rendait fous d'amour les étudiants romantiques. On l'avait surnommée la « Goule » en raison de son regard chaviré, regard qui avait inspiré un sonnet à un étudiant fou d'amour. Les plus pauvres fréquentaient le Retiro, un cabaret sordide situé au bord du quai où la bière était un luxe. Il était fréquenté par des ouvriers, des travailleurs des fazendas de passage en ville, des truands, des vagabonds et des voleurs. Un aveugle y jouait de la flûte et, de temps en temps, un client jouait de la guitare [...]

Aussi le très espiègle perroquet du capitaine João Magalhaes :

Le perroquet déchirait le silence du terre-plein avec son cri strident, répétant la phrase apprise depuis longtemps :
- Attention à ce cacao, nègre de malheur !
Il avait entendu Teodoro des Baraunas dire cela durant des années. Quand celui-ci s'était sauvé lors des luttes de Sequeiro-Grande le perroquet avait été abandonné dans la maison de maître des Baraunas et les Badaro l'avaient recueilli [...] C'était un petit perroquet de la race de ceux qui parlent beaucoup. Il s'appelait Chico et il répétait son nom toute la sainte journée.
- Don'Ana, disait-il, Chico a faim...
Il n'avait pas faim du tout, ce qu'il voulait c'était parler. D'après les calculs de Don'Ana, il devait avoir plus de quarante ans. Les travailleurs disaient que le perroquet est un oiseau qui vit très vieux, plus de cent ans. Chico, quand il vint vivre chez les Badaro était un spécialiste en injures que Teodoro lui avait patiemment enseignées. De la véranda de la maison de maître il insultait indifféremment travailleurs et visiteurs, pour le plus grand plaisir de Teodoro. Dans son nouveau foyer Chico n'abandonna pas ses habitudes et en acquit de nouvelles, comme celle d'imiter le sonore éclat de rire du capitaine João Magalhaes, éclat de rire retentissant qui allait se perdre dans les plantations, emporté par le vent. Il apprit aussi avec Don'Ana à appeler les poules, les canards et les dindons pour qu'ils viennent manger les grains de maïs.
C'était l'une de ses distractions préférées. Il s'échappait de la cage de la cuisine, se demeure habituelle, et venait de sa démarche chaloupée de marin jusqu'à la véranda. De là il insultait les Noirs qui travaillaient dans les séchoirs. Lorsqu'il était fatigué de crier des injures, d'encourager par ses cris l'effort des travailleurs, il commençait à appeler la volaille, imitant le bruit que Don'Ana faisait avec ses lèvres et copiant admirablement le bruit du maïs dans la boîte. Poules, dindes, canards et oies accouraient de partout et se réunissaient devant la véranda, attendant leur ration de maïs. Chico les appelait jusqu'à ce qu'il les vît tous réunis. Et alors il riait avec ce grand éclat de rire du capitaine João Magalhaes. Cette histoire faisait dire au capitaine que Chico avait hérité de Teodoro des Baraunas non seulement les jurons mais aussi certains traits pervers de son caractère.

Jorge Amado : La terre aux fruits d'or  (1944)
Traduction d'Isabel Meyrelles (1986)
Aux Editions Messidor

Deux toiles de Candido Portinari (1903-1962)

2013/12/15

Confessionor, le retour

Le tome 2 du Confessionor, perles d'auditeurs et de producteurs pour les 50 ans de France Culture, est en ligne et en écoute ici même. Le Confessionor 1 est là. Sur les musiques familières de la Rue des cascades (Tiersen), de Dot (Gonzalez), de Campanitas de Cristal (Noro Morales), de Stem Long Stem (DJ Shadow), on déguste les paroles et les souvenirs. Une auditrice le dit : "Pour moi, France Culture, c'est quasiment un aliment". C'est un mélange de plusieurs personnes : "un mélange de ma maman, de Robin des bois et de Victor Hugo". Alexandre Héraut y raconte des heures de sommeil glanées dans les cellules de montage. Le tabac de la pipe de Jean Lebrun, aux questions plus longues que les réponses attendues. Ce tabac qui incommode un auditeur : la radio, c'est bien comme le cinéma, mais avec un écran bien plus large. France Culture est cause de divorce, d'allergie ; bizarre pour ce qui peut être un plaisir solitaire. Un point de fraternité, le bonheur de l'autostoppeur. 

Quelques autres paroles en vrac :
Guy Gilbert, le prêtre en perfecto : "là Marie-Hélène, tu pisses un peu loin pour moi" (rapporté par Marie-Hélène Frayssé)
Hubert Huertas : "Le droit de dire va avec le devoir d'entendre.

Voila, allez tatouez vos tympas !
 « Le Confessionor : France Culture a 50 ans ! Épisode 2 ». Confidences dans le Confessionor © Pauline Maucort
Le Confessionor, machine à remonter dans les  souvenirs,  a été créé par Pauline Maucort et Julie Beressi dans le cadre des Chantiers du Festival « Détours de Babel » en mars 2012 à Grenoble. En septembre 2013, elles l’ont transporté au Palais de Tokyo pour fêter l’anniversaire de  France Culture et inciter les visiteurs à témoigner sur le lien singulier qui les unit à cette radio.

Le Confessionor restitue aujourd'hui l'épisode 2 de l’histoire d'amour de ses auditeurs et producteurs avec  France Culture: relation forte, fidélité, coups de gueule, regrets et rêves d'avenir.

2013/12/08

Jorge Amado : Les Terres du Bout du Monde (Terre Violente)

« Les cacaoyers des cacaoyères donnent pas des cacahuètes, donnent du cacao ! » (Ionesco)

Candido Portinari
(1903-1962)
Très librement inspiré de faits réels, Les Terres du Bout du Monde, parfois aussi intitulé Terre Violente, est un grand roman d'aventure dont l'action principale se déroule dans le Nordeste brésilien de 1919 à 1920, du temps où les fazendeiros s'affrontaient les armes à la main afin d'agrandir leur domaine et augmenter leur fortune, selon le principe capitaliste qui, sous couvert de progrès, fait du profit sans fin le but ultime de la vie.

Riches à millions, mais pas encore rassasiés, Horácio da Silveira et les frères Badaró s'engagent donc dans une lutte à mort pour s'arroger la forêt vierge du Sequeiro-Grande, à savoir des milliers d'hectares sur lesquels "passaient les jours et les nuits, brillait le soleil d'été, tombaient les pluies d'hiver...", aussi l'un des plus beaux berceaux du monde, où résonnaient le chant des oiseaux, le cri des singes, des fauves... et ceux de Jeremias, un vieux sorcier noir et fou ayant fui l'esclavage et vivant depuis lors, imprécateur solitaire, à l'ombre des grands arbres, en paix... Plus pour longtemps.

Si la forêt du Sequeiro-Grande a jusqu'alors inspiré au cœur des hommes la peur et la superstition, c'est qu'elle est sombre et mystérieuse. Pour la plupart d'entre-eux, ouvriers et paysans illettrés, c'est une terre inconnue, inexplorée, qu'ils imaginent peuplée de créatures aux oreilles pointues, monstres cracheur de feu et autres mules sans tête. Aussi n'osent-ils y pénétrer pour la défricher que sous la menace armée de leur patron, Juca Badaró, un homme aussi violent qu'intrépide, loyal envers ses amis, cruel envers ses ennemis : digne héritier des conquistadors hispano-portugais. Tout comme leurs prédécesseurs, les fazendeiros sont en effet possédés du désir de la possession ; comme eux, ils imposent leur loi par la force et la ruse, une main sur la Bible, l'autre sur leur flingue, pour un œil, les deux yeux, pour une dent, toute la gueule ! Des bâtisseurs d'empire, comme disent leurs thuriféraires attitrés, mais surtout des fanatiques assoiffés de pouvoir et d'argent, des mégalomanes que le petit peuple arriéré craint, admire et jalouse à la fois, ainsi qu'il l'a toujours fait envers ses maîtres et seigneurs... Enfin, ça c'est moi qui le dit.

Ecrit en 1942, dix ans après Cacao, les Terres du Bout du Monde reprend à nouveau la thématique des grandes plantations, mais sous un angle et avec un ton radicalement différents. Moins critique et plus nuancé que d'ordinaire, Jorge Amado, lui-même fils et filleul de fazendeiro, s'attache cette fois-ci à montrer la complexité, voire la grandeur, de cette espèce d'hommes dont les actes héroïques ont bercé son enfance. Il n'y a d'ailleurs sans doute pas de hasard si le livre s'achève dans un tribunal où, sous les yeux captivés d'un gamin, le colonel Horácio da Silveira est acquitté du meurtre de ses rivaux à l'unanimité des voix du jury populaire. Pas de hasard non plus à ce qu'Amado vante ici la bravoure de ces défricheurs de forêt, à une époque où lui-même défrichait un tout autre terrain — celui des conquêtes sociales —, cependant qu'en Russie soviétique avaient alors lieu les combats de Stalingrad. On peut donc se demander si Les Terres du Bout du Monde est un simple récit ou bien une sorte d'allégorie de la lutte entre le Bien et le Mal (cf. les nombreuses pages consacrées au tourment moral du tueur à gages Damião, etc.) On peut également signaler que ce roman, réputé comme étant le préféré de son auteur, présente un petit intérêt historique, puisqu'il évoque le problème de l'accaparement des terres et des concentrations foncières dans lequel se débat aujourd'hui encore le Brésil de Dilma Rousseff... Et qu'on y croisera aussi quantité de politiciens véreux, d'hommes de loi malhonnêtes, de journalistes corrompus, sans oublier la faune habituelle des putains et des joueurs de poker.

Extrait :

De tout le nord du Brésil, des gens descendaient vers ces terres du sud de Bahia si renommées ; on disait que l'argent y coulait à flots, qu'à Ilhéus personne n'attachait d'importance à une pièce de 2000 reis. Les navires arrivaient pleins d'émigrants, d'aventuriers de toute sorte, de femmes de tous âges pour qui Ilhéus était le premier et le dernier espoir.
En ville, tout le monde se mélangeait ; le pauvre d'aujourd'hui pouvait être le riche de demain, le muletier pourrait être un jour propriétaire d'une grande fazenda de cacao, le travailleur qui ne savait pas lire devenir un responsable politique respecté. On citait des exemples, entre autres celui d'Horacio qui avait commencé comme muletier et qui était maintenant l'un des plus riches fazendeiros de la région. Mais aussi le riche d'aujourd'hui pouvait devenir le pauvre de demain si un homme plus riche encore engageait un avocat assez habile pour imaginer un caxixe* bien fait qui lui enlèverait sa terre. Tous les vivants pouvaient mourir le lendemain dans la rue, tués d'une balle en pleine poitrine. Au-dessus de la justice, du juge, du procureur et du jury, il y avait la loi de la gâchette, la dernière instance de la justice d'Ilhéus.

* caxixe : entourloupe juridique ou fraude notariale.

(Traduction Isabel Meyrelles)


Pour info : paru au Brésil en 1942 sous le titre Terras do sem fim, l'ouvrage a eu droit à deux traductions françaises :

  - Terre violente (trad. Claude Pessis, Ed. Nagel, 1946)
  - Les Terres du bout du monde (trad. Isabel Meyrelles, Ed. Messidor, 1985)

Et puisqu'il est beaucoup question d'arbres dans ce livre d'Amado, autant signaler ici les sculptures végétales d'un artiste brésilien qu'on aime bien : Henrique Oliveira.

Le site officiel

2013/12/03

Le Confessionor

Si vous lisez ce texte, et tous les autres de ce blog. Si les assemblages de lettres "regardfc", "anpr", "kultur pop" ont aujourd'hui un sens, si même, allez j'ose, si l'Entropie est dans le Monde. C'est grâce à cela. Cet objet ondin. France Culture, qui à 50 ans. Comme France Culture, ses auditeurs ont un côté "vieux".  Alors ça grogne, ça regrette le bon vieux temps, ça rouscaille quand un producteur historique rentre dans l'histoire. Quand un chroniqueur intempestif (sens inopportun) et temporaire dure. Mais on se lève un matin, qui rediffuse le Sur les docks de la veille. Et l'on écoute 30 minutes d'intelligence radiophonique, l'auditeur séduit, par une émission du lundi après-midi à laquelle il ne comprend rien, mais qu'il écoute quand même, à cause des mots, de la chronique animalière, en épluchant ses patates, l'auditrice conquise, en découvrant la profondeur d'analyse qu'on peut accorder au Comte de Monte Cristo, la stagiaire qui a vécu 10 jours durs avec un des ouvriers exigeant de la Maison ronde. De l'intelligence, ça s'écoute ici. 30 minutes à suivre.


Pour une écoute plus ludique :

2013/12/01

Comme si de rien n'etait : Kultur Pop 2013.18 (Rarities)

Tandis que les bonnets rouges boivent du blanc, que Stéphane est au cassis, mais que l’absinthe n'y touche, le dernier ANPéRo d'automne  à la librairie Entropie s'accompagna du volume 18 des génériques d'émissions de Radio France - Kultur Pop, 2013 point 18.

Quelques raretés : un morceau de Sylvie Fleury & Sidney Stücki, un extrait, Rompsay, du spectacle de Xavier Boussiron (Menace De Mort Et Son Orchestre, 2004), et ce morceau etrange de  Vito Acconci, Ten Packed Minutes, qui ouvre les Regardeurs. Et un petit plaisir avec Mogwai. Oh c'est sur, ce n'est pas l'album de la maturité, ce Kultur Pop 18, mais il commence a se laisser ecouter. Au programme :

 http://laurent-duval.blogspot.fr/p/kultur-pop-generiques-france-culture.html#kultur-pop-18

ANPéRo : Les Nuits de France Culture (29/11/2013)

J'ai connu des toxicos et côtoyé quantité d'alcoolos, mais des culturo-dépendants comme j'en ai vu avant-hier, ah pardon, ça c'est quelque chose ! Presque pire que l'accro à la coke, le mordu de France-Culture a des montées plus qu'époustouflantes : vertigineuses ! Y peut t'escalader des Himalayas sans les mains, puis redescendre en BASE-jump et repartir ensuite au sommet comme un rien. Oui madame, j'ai vu de mes yeux vus ces grands désaxés tenir en équilibre sur un fil tendu entre l'Inde et la Chine à plus de 20000 pieds d'altitude... puis se précipiter dans le vide, planant et glatissant, zinzinulant et tridulant, même qu'on aurait dit des z'oiseaux. J'exagère ? J'hallucine ? Alors j'ai du le rêver aussi, cet espèce de narco-trafic digne d'un Cartel colombien auquel j'ai pourtant cru assisté : l'air goguenard de Pablo Escobar refilant sous le manteau une came de première qualité, et la mine épanouie des uns et des autres tandis qu'ils s'envoyaient dans les veines de l'mp3, du FLAC ou bien de l'ogg-Vorbis en couinant de petits cris orgastiques à rameuter les passants : aaah, Heidegger... Oooh ! Cortázar... Tous à fond dans leur trip quand déboula soudain, venant de Montreuil, un vieil énergumène au pardessus rapiécé, une barbe à la Bakounine et le verbe haut d'un habitué des tribunes :
  - Bien le bonsoir, les aminches, je me nomme Jeanjean ! fit-il en pénétrant dans la pièce comme s'il entrait en scène.
  - Bonsoir Jeanjean !
Salutations d'usage, puis, cordialité proverbiale, on lui versa un verre de blanc-cass' qu'il porta aussitôt à ses lèvres :
  - Palsambleu, voilà qui vous réchauffe un homme !
Parole qu'il ponctua d'un clin d'œil entendu et déjà complice. Suite à quoi il nous expliqua avoir traversé Paris par monts et par vaux sur son vélocipède, afin de festoyer avec nous, s'ébaudir et faire ripaille de bons mots... pour reprendre les termes de cet olibrius, curieux mélange d'Ivan Karamazov et Stavroguine, d'Etienne Lantier et Jean Valjean, créature improbable et dictionnaire ambulant.
Voilà, c'était avant-hier soir, au centre d'addictologie du boulevard Voltaire, Paris 11ème, dans une petite salle de shoot coincée entre un Naturalia et la Brasserie des Copains. Me croira qui veut. Pas impossible que j'élucubre un peu, et même que j'aie rêvé tout ça, y compris cette dernière apostrophe lancée à l'heure des adieux :
  - Hey, Stéphane ! T'oublies ta bouteille de cassis !

2013/11/30

Ils étaient sept…

Oui, « ils ils étaient sept qu'Altaïr avait délégués dans le temps. Sept, entraînés  à toutes les formes de combat, porteurs de toutes les armes existantes, virtuellement invincibles »…


Ça, c'est ce que raconte le début du prière d'insérer du magnifique roman de Gérard Klein, Le temps n'a pas d'odeur (Présence du futur, n° 63), le tout premier roman de SF que j'ai lu et qui m'a sitôt saisi et fasciné, au point de me m'élancer sur d'autres de la collection, puis vite ailleurs, avide…

Et ce soir, pareil, ni tout à fait les mêmes, ni tout à fait d'autres, nous nous rassemblâmes là, dans la frisquouille vite réchauffée par notre rencontre A[N]PéRissime. Pas si nombreux, mais grosso modo les piliers parisiens (manquaient Jean-Jacques, Rémy, André Breton, qui d'autre ?)

Bruno, le premier, avec sa mine affûtée de renard amusé, puis le chef Stéphane — toujours comme un grand ourson craintif et défiant —, et longtemps nous fûmes à deviser tous les trois des solutions alternatives à MediaFire, avant que ne déboulent le malicieux Jean-Noël, l'imprévisible captivant Nessie et puis le jovial Laurent Duval armé entre autres de sa KP 18 (e de bizarres trucs croustillants épicés) et enfin, hourrah ! le si imprévisible Stéphane-René, toujours muni de kir à volonté.

Après moults échanges verbaux et numériques, dégustations liquides et solides, l'ami Jean est arrivé par hasard dans notre bazar et tout n'en est allé que mieux — s'il était possible.

Je vous passe hélas les détails, mais Laurent Nadot nous a permis entre autres de récupérer les épisodes stupidement manquants dans les Nuits actuelles des séries Woodstock et Hugo.

2013/11/24

Roger Boutefeu : Le mur blanc

« Je serais mort à moi-même si je n’avais poussé la porte de la CGT et des milieux libertaires... Je dois à la CGT la connaissance. Aux milieux libertaires, la propreté » (Roger Boutefeu)

Un mot sur l'auteur [ébauche] : né en 1911 au Pré Saint-Gervais d'un père caoutchoutier, Roger Boutefeu a eu l'enfance pauvre des fils d'ouvrier, et courte des jeunes orphelins. Livré à lui-même dès l'âge de 13 ans, il entre prématurément sur le marché du travail où il exerce tour à tour les métiers de sangleur de journaux, camelot, plombier, typographe, berger, commis de ferme, etc. Souvent vagabond, et parfois même un peu clochard, il côtoie d'assez près la misère sociale des années d'avant-guerre où, à défaut de pain, les hommes se nourrissaient d'espoir.
Très tôt engagé dans le mouvement syndical, puis anarcho-syndicaliste, Roger Boutefeu s'enrôle presque naturellement dans l'armée républicaine espagnole durant l'été 36 et combat notamment sur le front d'Aragon en tant que mitrailleur :


           LES PRIMAIRES

            C'est un village de guerre
            Avec de la chair
            Avec du sang
            Avec des os
            De gars de vingt ans.

            C'est un village de guerre
            De guerre au néant —
            Comme tout le monde il dort
            Son présent, son hier —
            Et son lendemain
            Est une limite, un point d'interrogation
            A l'Humain.

             (Huerrios, 22 et 24 septembre 1936)


Il en revient un an plus tard, marqué à jamais et profondément antimilitariste. Sa virulente propagande en faveur de la désobéissance militaire lui vaut d'ailleurs un séjour de neuf mois à la prison de la Santé, d'où il ressort libre le 2 septembre 1939 (la veille de la déclaration de guerre de la France à l'Allemagne) et, surtout, converti au catholicisme après avoir lu l’Évangile au fond d'un cachot (!).
Mort le 24 juillet 1992, cet écrivain au parcours atypique a beaucoup publié, soit sous son propre nom, soit sous les pseudonymes de Roger Coudry, le Pédiculeux ou encore A. Duret. Ses livres, classés au rayon littérature prolétarienne ou bien spiritualité, sont pour la plupart introuvables aujourd'hui, tout comme sa bibliographie que j'ai donc essayé de reconstituer, très imparfaitement et très partiellement :

  • 1950 : Veille de fête (autobiographie : sa jeunesse et sa période anarchiste)
  • 1962 : Je reste un barbare (autobiographie : berger d'alpage, directeur d'un centre de formation professionnelle, secrétaire général d'une compagnie théâtrale...)
  • 1965 : Le mur blanc (roman sur la guerre d'Espagne)
  • 1966 : Les camarades (voir ici)
  • 1971 : Brassées de chardons
  • 1972 : Journal du barbare (autobiographie : sa conversion religieuse)
  • 1975 : Muets, ils hurlent (étude sur la schizophrénie et la marginalisation des familles)
  • 1981 : Le Quotidien de l'Eternel
  • 1982 : Les blouses (pièce radiophonique)
  • 1983 : Vert est le bois
  • ???? : Zoue ma poulpe (récits)
  • ???? : Cassure (roman)
  • ???? : Ile de Noël (théâtre)
  • ???? : Un vivant pour chacun (théâtre)
  • ???? : Souffle le vent (poésie)
  • ???? : Car douce est sa voix (roman)
  • ???? : Efficacité et Apostolat (essai)
  • ???? : Saint Bernard
  • ???? : Culture humaine
  • ???? : Centralisme
  • ???? : Coopérative
  • ???? : Tirant d'eau

Un mot sur le livre : aux environs de 1939, dix soldats de l'armée de Franco traquent à travers les Pyrénées un couple de républicains espagnols, Manuel et Juanita, qui essaient de franchir la frontière pour rejoindre la France. Seulement le terrain est terriblement escarpé, la chaleur étouffante, et leur marche rendue d'autant plus difficile que Manuel est blessé à un bras et Juanita enceinte de six mois. Heureusement pour eux, Coron, un vieux berger silencieux, décide de les héberger quelques jours — le temps de soigner la blessure de Manuel —, puis de les guider jusqu'à la frontière à travers le maquis des montagnes. Et c'est là, dans le huis-clos de la cabane de Coron, qu'un souvenir douloureux, le mur blanc, remonte peu à peu à la mémoire de Manuel, le forçant ainsi à s'interroger sur le sens du bien et du mal...
Pendant ce temps-là, le lieutenant Vista et ses hommes continuent leur chasse à courre avec plus ou moins d'entrain et de motivation. Car si les uns sont de parfaits salauds, les autres sont de pauvres bougres, ni bons ni méchants, mais sans volonté propre et donc simplement charriés par le cours de l'histoire. Quant au lieutenant Vista, lui aussi, tout comme Manuel, il s'interroge et se débat dans des souffrances morales plus insupportables encore que la pire des tortures...

On ne trouvera pas de héros dans ce récit, mais seulement des hommes faibles et faillibles, poignants de vérité. On y trouvera aussi une nature tantôt douce et tantôt sauvage, le tout servi par une écriture bien rythmée, captivante et parfois si évocatrice qu'elle en devient presque audible.

Extraits :

Sur la nature, un passage parmi d'autres :

L'air avait la senteur âpre du terreau frais retourné, des champignons; celle plus amère, du buis; celle plus douce, des gentianes et des genêts. Toutes ces odeurs, grâce à l'orage, se libéraient soudain de la terre et montaient aux narines, au grain du visage, aux yeux, enveloppaient et pénétraient toute chose.

Sur la guerre, celles d'hier et celles de demain :

... Dans la ville en délire, les sirènes d'usines avaient des cris longs et profonds comme des ravins. Des hommes armés coupaient rues et avenues de barricades en chicanes et fermaient à l'aide de véhicules toutes les places en esplanades.
La ville titubait de clameurs, de chants, d'appels au grand jour, dans le tumulte de couleurs des drapeaux rouges et noirs, des sarraus usés, des bleus de chauffe, des blouses grises et blanches.
Cela remontait à près de trois ans déjà, mais c'était tellement ancré en lui qu'il se voyait et s'entendait encore commander sa première épreuve du feu contre la caserne qui dominait de ses canons la ville dressée contre la nuit.
La caserne vaincue, à la tête des camions chargés de munitions et d'armes, il avait traversé la ville et rejoint l'immeuble où s'organisait la révolte. Puis ce furent les jours de joie générale, quand, pareils à un fleuve remonté par la mer à son estuaire où les eaux se mêlent et s'ébattent, tous ces hommes se livrèrent à l'euphorie de la fraternité et de la liberté recouvrée.
Il se souvenait de tout, des nuits d'angoisse, de fièvre et de colère, des combats où fleurissaient l'églantine de l'espoir, de ces jours d'allégresse, quand les nouvelles étaient bonnes, où la ville tanguait comme un navire, et des jours prostrés quand on savait que l'ennemi maintenait sa nuit sur des régions entières encore à sa merci.
Il avait assisté à plusieurs départs de colonnes pour le front. Un jour, il s'était retrouvé dans ce flot mouvant qui, au travers de la ville, avançait, piétinait, criait à l'unisson de la foule rassemblée sur son passage et pleine d'exhortations.
Jours, nuits, mois, années du même combat sanglant...
[...] Au-dessus de leurs têtes passaient les obus. Certains tombaient devant eux. Dans l'aube, la montagne noire était comme un dieu assis. A ses pieds l'ennemi tirait. Sur la gauche, un village brûlait.
Dans le torticolis des tranchées, les miliciens attendaient placidement l'attaque. L'un d'eux, au passage de Serry et de Manuel, lança :
— Qu'ils y viennent, ces fils de chiennes !
En arrière des lignes, un obus, dans un fracas, décoiffa l'église de son clocher. Serry se retourna :
— Ils diront que c'est nous !
Et sans transition, comme s'il eût convié Manuel à une promenade :
— Allons au poste 1, on les verra venir.
Une gerbe flamboyante, alors qu'ils avançaient, fit éclater un parapet. Un milicien plein de sang battait la terre de ses bras tandis que d'autres s'affairaient autour de lui. Le bombardement allait croissant. L'air était labouré; partout des entonnoirs se creusaient, certains à même les tranchées; des miliciens en sortaient, d'autres y restaient, privés de jambes.
Rapide, le moulin d'une mitrailleuse retentit.
— Va voir, Manuel, faut économiser les munitions.
Quand il revint, le poste 1 était éventré et Serry avait une étoile écarlate entre les deux yeux.
Hébété, Manuel l'avait regardé sans comprendre puis, saisissant son fusil mitrailleur, les doigts glacés, la haine au cœur, il avait tiré. Un moment, il lui avait semblé que Serry bougeait; haletant, il s'était précipité pour n'essuyer que du sang déjà froid.
Au plus fort de l'attaque, un milicien de liaison, le visage exsangue, bredouillant, une main en lambeaux, était arrivé vers Manuel : dans le petit matin, pareils à des scarabées, trois tanks fonçaient sur leurs lignes.
Manuel griffonna un message qu'il passa au milicien.
— Porte-le au P.C. et fais-toi panser.
Le milicien serra sa main blessée sur sa poitrine et hurla :
— La vie ou la mort, camarade.
Et sans hésiter, il s'élança hors de la tranchée.
Combien de fois ne l'avait-il pas entendue, cette fière réplique ! A cause d'elle, peut-être, comme un nageur épuisé, Manuel se dégagea du limon des souvenirs et écouta les respirations paisibles de Juanita et des autres.

Roger Boutefeu : Le mur blanc
Editions du Seuil (1965)