« Nous proposons une droite qui s’assume et qui n’ait
pas honte de prôner le patriotisme, le mérite, le travail, l’effort, l’ordre et
l’autorité républicaine. » (extrait du projet de La Droite Forte, qui a oublié de mentionner
aussi la famille)
Charge de dragons (Dupray) |
Pour convaincre un ouvrier ou un employé de ne pas
voter contre ses intérêts, il me faudrait avoir le talent conjugué d'un René
Rémond et d'un Henri Guillemin : la science de l'un et l'impertinence de
l'autre. On en est loin, très loin. Et c'est bien dommage, parce qu'au rythme où
vont les choses, sûr et certain que mes collègues de bureau, de chantier,
d'atelier, donneront prochainement l'Elysée à une UMP noyautée par les rejetons
bonapartistes, voire maurasso-pétainistes, de la droite française. Quelques-uns
voteront même FN et s'en féliciteront, les cons ! La plupart offriront donc leur
voix, en conscience et de plein gré, pour des politiques ouvertement
xénophobes, aussi pour le contrôle des médias, la justice mise au pas, la
baisse des allocations sociales, la hausse des niches fiscales et la retraite à
66 ans, même pour toi qui a commencé à bosser dès 16 ans... Ils voteront pour
l'enseignement religieux, la fin des 35 heures, l'asphyxie des syndicats
ouvriers, la restriction du droit de grève et même l'allègement du Code du
Travail, entendre ici : simplifier la tâche de ton patron lorsqu'il souhaitera
te licencier. Te voilà prévenu ! Maintenant, libre à toi de voter pour des
Partis qui, depuis qu'ils existent, ont toujours été contre toi et t'ont
souvent méprisé, mais... mais lis d'abord cette excellente étude d'Henri
Guillemin sur les nationalistes, l'autre nom des capitalistes. En un peu moins
de 500 pages, toutes passionnantes, Guillemin retrace l'histoire
politico-économique de ton pays, la France, de la Commune de Paris, noyée dans
le sang des ouvriers, jusqu'à la débâcle de 1940, en passant par le Front
Populaire et la montée des fascismes... Tu y verras la Droite à la manœuvre, sous
son véritable jour, ce qu'elle a fait jadis et ce qu'elle fera demain si, par
malheur, son idéologie est à nouveau à l'oeuvre : rien pour toi et tout pour
eux, les "gens de biens", les "vrais français",
dont il faut, coûte que coûte et vaille que vaille, préserver les privilèges.
Et tu refermeras alors ce livre en te disant
peut-être qu'il y a, malgré tout, et si infimes qu'elles soient, quelques
nuances entre la Gauche et la Droite.
Et puis tu comprendras aussi, de surcroît, pourquoi
l'UMP hurle en chœur "Halte à la repentance !" à chaque fois
qu'un historien dresse ce genre d'inventaire où sont nécessairement disséqués les mécanismes, toujours actifs, d'une
politique de Droite (des fois que tu piges enfin pour qui tu vas vraiment
voter).
Après avoir achevé ce manuscrit, je n'y ai plus
songé pendant trois mois, m'attachant à des travaux d'un autre ordre. Je
voulais voir l'effet qu'il me ferait en le relisant, ensuite, d'une traite
avant de l'envoyer à l'éditeur. Je viens de le relire et je m'attends à des
sourires apitoyés; des sourires instruits : un essai simpliste et grossier;
pour tout dire, caricatural; et tellement "tendancieux" !
("tendancieux" est le terme usuel pour désigner la tendance qui n'est
pas la bonne); comme d'habitude, avec H. G., le plus sommaire des manichéismes.
Viendra, au surplus, la découverte, fatale, d'erreurs de détail que j'aurai
commises; on en commet toujours; mais quelle aubaine pour ceux qui sauront en
tirer parti, et gloire : jugez du sérieux de cet "historien-là !"
Simplisme ? Oui, en ce sens que j'ai travaillé,
volontairement à gros traits pour m'en tenir à l'essentiel : l'importance
déterminante, d'abord, de la politique intérieure, et, dans la politique
intérieure, de la question d'argent; puis, la boucle bouclée, en France, par
les classes dirigeantes, pacifistes à ravir de 1871 à 1888 environ, chauvines,
ensuite, pendant quelque cinquante ans et redevenant, à partir de 1936 surtout,
férues de paix à outrance; et tout cela dans un constant et unique souci : la
sauvegarde de leurs privilèges. A ceux qui, depuis toujours, se sont approprié
le bien d'autrui et ont réduit la collectivité à travailler pour eux, il
convient de brouiller leurs pistes et de masquer l'évidence; et de même, les
manipulateurs de l'opinion souhaitent peu qu'un éclairage trop vif soit porté
sur leur étrange politique extérieure.
[...] Quant au "manichéisme", j'en donne
assurément l'apparence. Parce que j'étais soucieux, avant tout, de mettre en
lumière la vérité capitale — je dis bien : la vérité — objet de ce travail, à
savoir le comportement de nos nationalistes mués en "nationaux". Je
n'ignore, pour autant, ni ce que fut le combat sacrificiel de
"réactionnaires" comme d'Estienne d'Orve et Jacques Renouvin, ni le
peu d'empressement manifesté par le prolétariat à travailler davantage pour
accroître la puissance défensive de la France (mais c'était au lendemain des
déconvenues de 1936-1937, et les ouvriers se savaient, se voyaient les victimes
d'un patronat qui n'attendait que ces efforts supplémentaires pour s'enrichir
encore davantage); et si courageux qu'aient été, dans la Résistance, tant de
militants communistes, je ne saurais oublier les mobiles tactiques où puisait
sa raison d'être ce "patriotisme" insolite, effervescent, recommandé
par le Parti et réclamé plus tard par lui comme une sorte d'exclusivité. Mais,
encore une fois, ces considérations n'étaient pour moi que marginales. Mon
propos était ailleurs; il concernait le jeu des "nationaux", et je
pense avoir présenté là, tout au moins, comme on dit, une "hypothèse de
travail" assez valable.
De même que nous avons été, longtemps, nous
Français, dupés sur les origines de la Première Guerre mondiale (...), de même
je souhaiterais que l'Histoire, "entrant dans la voie des aveux" (Hugo,
1863), ne laissât pas à nos descendants une image truquée de ce qu'était la
France, au seuil de la seconde hécatombe.
Henri Guillemin : Nationalistes et nationaux
(1870-1940)
Editions Idées-Gallimard (1974)
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