«
Jamais tant d'hommes à la fois n'avaient dit adieu à leur famille et à leur
maison pour commencer une guerre les uns contre les autres. Jamais non plus des
soldats n'étaient partis pour les champs de bataille, mieux persuadés que
l'affaire les concernait personnellement. Tous ne jubilaient pas, tous ne
fleurissaient pas les wagons ou ne les couvraient pas d'inscriptions
gaillardes. Beaucoup ne regardaient pas sans arrière-pensées les paysans qui,
venus le long des voies, saluaient un peu trop gravement ces trains remplis
d'hommes jeunes » (J. Romains, Prélude
à Verdun)
Du prix de l'Académie Goncourt décerné en 1915 à
René Benjamin pour son Gaspard soldat français, jusqu'à Pierre Lemaitre
et son Au revoir là-haut, couronné en novembre 2013, la masse de romans
ayant pour thème la Première Guerre Mondiale est tellement kolossale qu'elle
pourrait occuper à elle seule plusieurs pans d'une vaste et belle bibliothèque.
On y trouverait forcément du bon et du moins bon, on y croiserait quelques auteurs connus cernés par un bataillon d'anonymes et d'oubliés, et puis on y verrait aussi du
flambant neuf, des inédits sentant encore la colle et l'encre fraîche, adossés à de vieux
octavos défraîchis aux relents de moisi... une bibliothèque, quoi.
Quiconque a beaucoup lu sur le sujet est
naturellement tenté d'établir une espèce de classement, eins-zwei-drei, le
top-ten des meilleurs récits, the best-of world war : 1/ Léon Werth, 2/ Henri
Barbusse... Mais faut pas. En revanche, rien n'empêche de signaler telles ou
telles lectures qui, bien que rarement citées dans les bibliographies consacrées
au conflit, nous paraissent indispensables à sa bonne compréhension. Ainsi des
15ème et 16ème tome des Hommes de bonne volonté, de Jules Romains, à
savoir Prélude à Verdun et Verdun, deux volumes écrits en 1938 par
un "non-combattant" (âgé de 29 ans lors de la mobilisation, Jules
Romains, malade, fut affecté aux Services Auxiliaires de l'armée et n'a donc
pas vraiment "vécu" la guerre). Toutefois, en historien scrupuleux mâtiné
d'écrivain talentueux, les personnages qu'il décrit, tout comme les scènes qu'il
dépeint sonnent toutes juste et vrai... on y croit.
Et puis Jules Romains ajoute encore à ses qualités
de romancier, d'historien, de poète et de dramaturge, celles d'un grand
comédien. Il faut en effet l'écouter dans des enregistrements sonores effectués
pour la Radio-Télévision-Française en 1952, l'écouter présenter les 27 volumes
de son oeuvre maîtresse, mais surtout l'écouter en lire de très larges extraits,
de sa parfaite diction, adaptant sa voix et ses intonations au gré des
personnages qu'il interprète avec un plaisir évident, et notamment ici (de la 15ème
à la 20ème minute : un régal).
Et puis Les Hommes de bonne volonté, c'est enfin
l'illustration par l'exemple d'une théorie littéraire attachée au nom de Jules
Romains : l'unanimisme. Théorie selon laquelle l'écrivain doit exprimer la
vie unanime et collective de l'âme des groupes humains et ne peindre l'individu
que pris dans ses rapports sociaux. Or, pour l'illustrer, cette théorie, quoi de plus
judicieux qu'une mobilisation générale et ses emballements collectifs ; quoi de
plus idoine qu'une guerre mondiale englobant pour la première fois l'ensemble de la société ; et quoi de mieux approprié que cette grande mêlée qui eut lieu du 21
février au 19 décembre 1916 sur les bords de la Meuse.
Prélude à Verdun & Verdun :
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