2016/04/28

« Entropie, c'est fini »
Mais comment l'admettre ?


C’était à la fois joyeux et triste.
Joyeux, car de nombreux amis que l’on voyait de temps à autre dans la librairie se trouvaient ainsi réunis, rassemblés peut-être pour la première fois tous ensemble.
Et triste, parce que quelque chose de plus important que Vincent disparaît.
 Un lieu ou l’on pouvait débarquer à n’importe quelle heure de la journée ou de la semaine, ou l’on pouvait fabriquer dans l’instant un petit théâtre de contes et de disputes, et cela, quel que soit l’état du tenancier.
Donc, ce soir, je fais le deuil de Paris, d’un Paris canaille, souvent glauque, parfois exaltant, tributaire de la pluie et des canicules, et des rencontres avec des spécimens de l’espèce humaine que j’aurais méprisés pourtant ailleurs. Et, jamais je ne les ai autant écoutés ! D’autres surprises sont stupéfiantes : celui que j’évite habituellement me rend captif, celui qui me ressemble, je le fuis. Mon Paris s’éteint, un autre Paris renaît quelque part, saurai-je le trouver ?

Quant à Vincent, il a réussi son chef d’œuvre : la destruction pensée, systématique et implacable de l’individu Vincent Reignier. C’est une victoire absolue ! Désagréable jusqu’aux derniers moments, il est parvenu à ne jamais être là quand ses amis l’entouraient.
 Le message est passé : je suis une merde, prenez-moi en charge, je suis votre merde. Plus personne n’avait envie de lancer des messages positifs puisque la demande du proprio consistait justement à s’apitoyer sur une misère de nature orgasmique. La jouissance de l’échec total vendue comme la preuve d’une insurrection radicale ! La faillite comme projet révolutionnaire ! La débâcle comme preuve ultime de la fin du capitalisme ! L’anarchie comme boussole de la retraite de Russie. « Mort aux flics ! CRS, SS ! ». De l’enfantillage, donc... Et bien sûr, vive la Commune, Ravachol, et les durs du bagne de Cayenne ! Vive Papillon et les tags pour souiller les agences bancaires.

Entropie, quel nom prétentieux pour une librairie ! Le deuxième principe de la thermodynamique, haha ! Comme si c'était le véritable endroit pour la fin de ce monde... Entropie signifie objectivement le serpent qui se mord la queue !

Mais j’aimais m’y raccorder dans les moments de vacances, lorsque l’on cherche quelque chose sans savoir quoi et où l’on n’attend rien. Avec cette intensité qui conduit à une stase de totale disponibilité. L’instant s’installe comme une évidence. Pas de passé, pas de futur. La divagation devient une boussole. La destination est proche et inconnue. C’est le vertige de la liberté.

J’ai rencontré dans cette librairie, d’abord avec Stéphane Cattaneo, puis avec Vincent, des chefs d’entreprise, des parasites sociaux, des cadres supérieurs, des mecs qui font tourner la machine, des artistes, des furieux, d’autres artistes, des glandeurs, des informaticiens, des semi-clochards, des vestales, des femmes perdues, des écrivains et  des vrais branleurs, des gloutons de la haute société, et aussi des égarés de la haute société. Sans oublier les psychotiques !

C’était mon Paris
Où est Paris ?
Rendez-moi Paris ! 
Rendez tout !

Guillaume D’Alessandro
nuit du samedi 26 au dimanche 27 mars 2016, après le raout final d'Entropie


Aperçu de l'A[N]PéRo du 29 novembre 2013

Aperçu de l'A[N]PéRo du 3 juillet 2015

Et quelques images du dézingage final de ce bouclard :