2015/10/31

Vide-grenier, brocante et bourse aux vieux papiers !

Dans le foutoir de moins en moins organisé que tend à devenir son logement, on trouve de tout un peu partout, mais surtout de vieilles et très vieilles choses, la plupart sans autre valeur que sentimentale, enfin j'imagine, sinon c'est qu'il est fou. 
Là où d'ordinaire un pékin moyen range les cahouètes et les douze ans d'âge : deux grosses piles de revues ! A gauche, quelques dizaines d'Annales politiques et littéraires datant des années 20 ; à droite, une collection complète d'Illustration datant des années 30. 
Poursuivant nos investigations, nous ouvrons alors l'un des six tiroirs d'une commode, croyant y dénicher, soigneusement disposés, des slips ou des paires de chaussettes. Nenni ! Ici sont amassés les Gringoire, Candide, Action Française, Le Gaulois, l'Excelsior et cetera. Et pareil dans les placards... du sol au plafond... ça craint ! C'est d'ailleurs au-dessus de la bibliothèque du bureau que sont entassés toutes les correspondances de Poilus et autres clichés d'époque : son "trésor de guerre", comme il aime à le dire à qui veut l'entendre. Ahhh ! mais c'est qu'il en a aussi stocké derrière la porte du salon, l'animal : trois pleins cartons de photos noir et blanc, sans doute issues d'archives familiales chinées de-ci de-là pour trois francs six sous (des vies entières cédées pour presque rien). Et encore bien d'autres papiers cachés dans les coins et dans les recoins et jusque sous le lit et dans la salle-de-bain ! Y en a tellement partout qu'à bien y réfléchir c'en est presque effrayant... 
Aussi est-ce en cherchant à mettre un peu d'ordre dans le chaos sans cesse grandissant de ces m3 d'archives que suis tombé sur une série de dessins réalisés aux crayons à la fin du siècle 19. Malheureusement non signés, on ne peut citer leur auteur, mais seulement préciser qu'ils sont accompagnés d'une note sur laquelle nous avons déchiffré ceci :

"Ma chère Marie, toujours disposé à vous être agréable, j'ai été autorisé par l'auteur à fouiller dans les boîtes où il jette pêle-mêle tous les croquis, esquisses, ébauches et dessins divers qu'une imagination vagabonde suggère à son crayon..."


2015/10/25

Jean-Noël Jeanneney : Victor Hugo et la République

« L'histoire de la Révolution est l'histoire de l'avenir. Il y a dans ce qu'elle nous a apporté plus de terre promise que de terrain gagné. » (Victor Hugo, 1876)

En février 2002, à l'occasion du bicentenaire de la naissance de Victor Hugo, Jean-Noël Jeanneney donnait une conférence sur ce monument d'homme dont la notoriété dépasse largement nos frontières. Adulé de son vivant comme peu l'ont été avant ou après lui, ce génial touche-à-tout, élevé aujourd'hui au rang d'icône nationale, eut bien évidemment droit à d'imposantes funérailles auxquelles assistèrent, en juin 1885, deux ou trois millions de personnes venues des quatre coins de la France. Encore faut-il préciser ici qu'on dénombra davantage de Fantine, d'Enjolras ou de Cosette aux abords du cortège que de ci-devants ducs, barons ou marquis. Et que si le peuple de Gauche, venu en nombre, tenait sans doute à honorer son grand dramaturge, il tenait surtout, je crois, à remercier l'un des plus farouches défenseurs de la République en un temps où celle-ci, insuffisamment solide, vacillait encore sous les coups de boutoir répétés du peuple de Droite.

Républicain, Victor Hugo ne l'a pas toujours été, loin s'en faut. On sait les sympathies coupables qu'il eut pour Charles X ou Louis-Philippe, écrivant à leur gloire des odes qu'il qualifia par la suite de "bégaiements royalistes"... On sait aussi comment ce visionnaire de génie contribua à bâtir sa propre légende durant son exil à Guernesey... Mais il n'empêche que lorsque Victor Hugo épousa la Gueuse, aux alentours de 1850, c'est avec une ferveur quasi-religieuse qu'il l'embrassa, puis la protégea griffes et crocs contre les tenants d'un retour en arrière. Ainsi, parmi quelques-unes des batailles homériques livrées par Hugo figurent en bonne place : le suffrage universel (et son élargissement aux femmes), la séparation de l'Eglise et de l'Etat, l'abolition de la peine de mort, ainsi que l'introduction du principe des "circonstances atténuantes", sans oublier ses réflexions sur la nécessité de fédérer l'Europe, ce qui devrait suffire à souligner la modernité des idées politiques de cet esprit "éclairé", soit précisément ce que le livre de Jeanneney s'attache à mettre en avant (sans rien ajouter à ce que l'on savait déjà plus ou moins, hormis ses commentaires avisés) :

Au moment où s'élèvent si nombreuses les voix chagrines déplorant que "le progrès soit en crise" ou que "l'avenir s'efface", Victor Hugo nous invite, au nom même de l'idée qu'il se fait de la République française ou universelle, à retrouver le courage de croire à la possibilité d'un peu plus d'harmonie sur cette terre.
Il ne s'agit pas de s'aveugler (il ne le fit jamais lui-même) sur les multiples cahots, les trébuchements, les horreurs et les barbaries qui scandent la marche de l'humanité, mais seulement de rappeler à sa suite que dans l'effort immémorial des hommes le but compte moins que le mouvement. Albert Camus nous a encouragés à imaginer Sisyphe heureux. Victor Hugo ne nous dit pas autre chose. Il nous rappelle, selon une formule célèbre, que toute civilisation n'est jamais qu'une asymptote.
Qu'on refuse la paresse des béates certitudes, oui, assurément, bravo ! Mais en rejoignant le credo du poète, qui nous ramène, pour finir, à la France : « Je déclare que ce qu'il faut à la République, c'est l'ordre, mais l'ordre vivant, qui est le progrès, c'est l'ordre tel qu'il résulte de la croissance normale, paisible, naturelle, du peuple, dans les faits et dans les idées, pour le plein rayonnement de l'intelligence nationale. »

Jean-Noël Jeanneney : Victor Hugo et la République 
Aux Editions Gallimard (2002)

Ironie de l'histoire : deux mois après cette conférence, 17% d'électeurs propulsaient Le Pen au second tour des Présidentielles et Jospin dans les oubliettes ! Je me souviens que pour expliquer ce tsunami politique, les commentateurs attitrés évoquèrent diverses raisons, les unes psychologiques, les autres algébriques : expression d'un mécontentement populaire, discours sur l'insécurité grandissante, multiplicité des candidats de gauche, niveau d’abstention, etc. Mais personne pour évoquer le rapport ambigu que les Français entretiennent avec leur Histoire, à commencer par l'étrange fascination qu'ils éprouvent pour les fastes de Versailles, plutôt que pour les tenants et aboutissants de la Révolution ; un peu comme une victoire posthume des Louis sur les Sans-culottes, ou pour le dire autrement : de l'image sur les Idées. Eh oui ! tout le monde connaît Rihanna, Beyoncé, Ronaldo, mais qui se souvient encore de Jean Zay et de ce pour quoi il s'est battu et contre qui ? Un français sur dix ? Deux ? Trois ? Pas plus ! De même qu'il suffit de sonder un peu autour de soi pour constater que "les Canuts", "la Commune", "Février 34", "solidarités ouvrières", "conquêtes sociales", "esprit républicain", tout ça ne signifie rien, absolument RIEN : mémoire effacée ! > del *.*/s ...

       ... Et tu verras bientôt danser dans leurs yeux morts des brasiers d'incendie.

2015/10/16

Jean-Noël Jeanneney : L'avenir vient de loin

« Les Républicains, c'est comme le fromage : plus il y en a, plus ça pue ! »
( Le révérend père Ollivier, du temps de Mac-Mahon )

Au soir des élections législatives de 1993, la coalition RPR-UDF emportait nettement la victoire avec près de 82% des sièges à l'Assemblée Nationale. Conséquence directe du choix des Français : le président Mitterrand nommait Balladur Edouard à l'Hôtel Matignon, à charge pour celui-ci de remplacer le ministère Bérégovoy auquel participait jusqu'alors Jean-Noël Jeanneney, en tant que secrétaire d'Etat à la Communication.
A peine quelques mois plus tard, ce dernier publiait non pas un recueil de souvenirs ou de confidences sur ses années passées au sein du pouvoir — quoique perce parfois un soupçon d'amertume — mais un livre d'histoire politique censé démontrer la vitalité d'un clivage auquel les Français ne croyaient déjà plus : l'opposition entre la gauche et la droite (en 1991, une étude SOFRES révélait qu'ils étaient en effet 55% à estimer que cette ligne de partage n'existait plus vraiment ou n'avait plus lieu d'être, cependant qu'une enquête plus récente du CEVIPOF montre qu'ils sont à présent près de 75% à le penser...).
Or, en 1993, Jean-Noël Jeanneney, lui, voulait encore y croire, au bien-fondé de cette opposition. Et c'est donc avec son incurable optimisme d'homme-de-gauche qu'il cherche à nous convaincre ici d'une chose ô combien capitale à ses yeux : que les idéaux hérités de la Révolution sont non moins valides et pertinents aujourd'hui qu'ils ne l'étaient lors de leur avènement. Pour lui, si les hommes se sont entre-déchirés comme des bêtes durant deux siècles et des brouettes pour voir triompher telle ou telle autre de leurs convictions, c'est pour la raison toute simple et toute vraie qu'il y a différentes façons de concevoir la Justice, l'Education, la laïcité, l'économie, l'Etranger, la fiscalité et j'en passe. A l'appui de sa démonstration sont alors naturellement conviées à la barre les grandes figures tutélaires que furent Saint-Simon, Clemenceau, de Gaulle, Blum et quelques autres, mais surtout Victor Hugo et Jean Jaurès, abondamment cités et célébrés tout au long des chapitres... De sorte qu'en nous rappelant quelques-unes des plus farouches oppositions gauche#droite dont fourmille notre histoire, Jean-Noël Jeanneney nous fait peu à peu ressentir (pour la mieux déplorer si besoin était) l'absence de contraste (et d'idées) dans les débats politiques de ces dernières années. De sorte aussi que son livre, pour daté qu'il soit, est toujours aussi pertinent et même plus que jamais d'actualité au vu de ce qu'est devenu aujourd'hui le parti à la rose : une pâlichonne copie du centre-droit. De sorte, enfin, que si L'Avenir vient de loin s'adresse à chacun d'entre nous, il s'adresse encore davantage aux socialistes en charge du pays, tous invités qu'ils sont à revenir à leurs fondamentaux ou, ainsi que Jeanneney le dit lui-même : à s'inspirer du passé "pour servir de nouvelles ardeurs".

Intelligemment mises en parallèle par le cevipof, ces trois courbes montrent
à quel point la Gauche a perdu la bataille de l'opinion...

Signalons encore que L'avenir vient de loin est un livre à la Jeanneney, c'est-à-dire bourré de références et de citations qui, d'admiration, vous laissent un peu sur le flanc :

« Le marché ! le marché ! le marché !... » A tous les défis du temps nos libéraux répliquent sur le ton de Toinette dans Le Médecin malgré lui : « Le poumon, le poumon, le poumon, vous dis-je ! »
Le cri, certes, s'est un peu assourdi — déceptions théologiques obligent —, mais l'obsession est bien vivante, à droite. Le marché y est célébré comme un nouveau seigneur, bienveillant à qui le respecte, garant impérieux de tous nos bonheurs futurs, vengeur effroyable pour les peuples qui osent douter de son génie.
C'est à voir de plus près. Car voici l'un des critères les plus propres à fonder aujourd'hui l'opposition entre droite et gauche. La confiance absolue, d'un côté, faite au seul marché, animé par la recherche du profit qui pousse les individus en compétition, pour dessiner l'équilibre le plus harmonieux possible d'une communauté nationale. Et de l'autre, à gauche, la certitude qu'il revient à la puissance publique de faire jouer d'autres ressorts que ceux qui stimulent le monde marchand, pour servir d'autres desseins et pour corriger la brutalité des égoïsmes affrontés.

[...] La métaphore du « renard libre dans le poulailler libre » est un peu usée ? Bon ! Retrouvons donc Clemenceau brocardant vers 1895 « ces économistes dont tout l'art consiste à faire courir des culs-de-jatte ficelés dans des sacs contre le vainqueur du dernier Grand Prix de Paris. Liberté pour tout le monde ! En avant les culs-de-jatte, et bonne chance ! Tiens, le pur-sang est vainqueur ! Qui l'aurait cru ? Eh bien, il est le plus fort voilà tout. Ce n'est ni juste ni injuste. La liberté du faible, c'est le droit du plus fort. Culs-de-jatte mes amis, tâchez qu'il vous pousse des jambes !... »

[...] Et voyez aussi les cris d'orfraie que suscita la loi sur la « dotation de solidarité urbaine » du 13 mai 1991, qui pour la première fois organisait le transfert de quelques ressources des communes les plus favorisées au profit des plus plus pauvres : même jeu, mêmes réflexes, même clivage...
On y revient toujours : la gauche moderne ne se voudra pas plus égalitariste que ne l'étaient Saint-Simon et ses disciples. Mais elle croira toujours à l'indispensable intervention de l'Etat, pour compenser au maximum ce qui, dans les inégalités entre les hommes, peut l'être par une répartition moins inégale des ressources.
Depuis les débuts de la Révolution industrielle, c'est le mouvement ouvrier, ce sont les syndicats, ce sont les partis de gauche qui ont peu à peu arraché à la droite, que ce soit de l'intérieur ou de l'extérieur du gouvernement, des corrections aux effroyables duretés du capitalisme libéral. Et l'on voudrait que soudain cela soit dépassé et qu'on soit entré dans la félicité d'un consensus social généreux ! Le droit des citoyens est d'être sceptique et leur devoir d'ouvrir les yeux.

Jean-Noël Jeanneney : L'avenir vient de loin
Aux Editions du Seuil (1994)

Et puis, en guise d'illustration sonore, cet extrait d'un discours du député Jules Ferry, prononcé en juin 1889 à l'Assemblée Nationale (et lu par Guillaume Gallienne, France Inter, Ça peut pas faire de mal) :

2015/10/04

Ilya Ehrenbourg : Lazik le tumultueux

« Le communisme est une connerie plombée... »

On s'étonne qu'un écrivain catalogué au rayon des auteurs marxistes ait pu placer un tel jugement dans la bouche de l'un de ses protagonistes. Mais c'est qu'en 1927, année de rédaction du bouquin, Ilya Ehrenbourg n'a pas encore choisi son camp, si tant est qu'il l'ait jamais choisi. Il est alors âgé de 36 ans révolus et sa vie, pas moins tumultueuse et bohème que celle de Lazik, l'a menée loin de sa Russie natale, dans le Paris des Années folles, à Montparnasse, où il fréquente assidûment cafés et ateliers d'artistes en plein bouillonnement créatif. C'est en effet l'époque du jazz et du charleston, de Coco Chanel et de la bande à Breton, tous portés par un vent nouveau de liberté. Aussi comprend-on aisément qu'Ilya Ehrenbourg, artiste lui-même, se refuse non seulement à choisir entre communisme et capitalisme, mais aussi entre judaïsme et catholicisme, de sorte qu'il peut se moquer librement des rabbins et autres férus du Talmud tout en ponctuant son récit de légendes hassidiques, ou encore brocarder tout à la fois les dogmatismes de l'Union Soviétique et les valeurs bourgeoises de l'Occident qui l'accueille, pour finalement railler d'un même élan l'argent et la misère, le mariage et l'union libre, les traditions et la modernité... et tout ça de manière souvent drôlissime (mais cynique).

Homme de petite taille doté d'un nom grotesque, Lazik Roitchvantz (Lazik à la queue rouge) est un tailleur juif dont la modeste échoppe se situe dans la ville de Gomel, quelque part en Russie, ou plus exactement en République-socialiste-fédérative-soviétique-de-Russie, ainsi qu'il convient désormais de la nommer, puisque l'histoire de Lazik débute peu après la Révolution d'Octobre, sans doute au cours de l'été ou du printemps 1918. En tout cas il fait chaud, très très chaud, et, tandis que Lazik se rend chez la douce Fénitchka pour lui déclarer l'ardeur de sa flamme, le voici qui s'arrête devant une affiche toute parée d'attributs officiels. Se hissant alors sur la pointe de ses pieds pour en prendre connaissance, il apprend tout d'abord le décès d'un "guide éprouvé du prolétariat", puis qu'à la place du mort surgiront bientôt "dix nouveaux combattants, prêts à châtier sans merci tous les ennemis cachés de la révolution..." L'apolitique Lazik s'attriste-t-il de la disparition du guide ou bien de l'avertissement qui s'ensuit, toujours est-il qu'il soupire plaintivement, ce qui est une grossière erreur au pays des soviets : aussitôt dénoncé par la citoyenne Puke, Lazik est en effet arrêté, puis jugé, et finalement condamné à passer quelques mois en prison, les premiers d'une longue série sous des cieux différents.
Reprenant à son compte l'histoire du Juif Errant, Ehrenbourg trimbale en effet son personnage d'Est en Ouest (Moscou... Varsovie... Berlin... Londres... Paris...), où il exerce tour à tour de multiples fonctions toutes plus cocasses les unes que les autres, et où chacune de ses aventures se finit toujours au fond d'un cachot, avant que des circonstances hasardeuses ne l'amènent à franchir à nouveau une frontière, etc. 
Exemple parfait du héros décalé, ou inadapté, si le pauvre Lazik ne maîtrise pas grand-chose, pour ne pas dire rien, des événements qui l'accablent, ou bien s'il échoue dans tout ce qu'il entreprend où qu'il l’entreprenne, ce n'est pas de sa faute, jamais, mais de celle des Systèmes, peu importe leur nom, qui partout l'empêchent de vivre à sa guise, lui qui n'aspire pourtant qu'à travailler et aimer en paix. Au fond, l'histoire de sa vie pourrait se résumer ainsi : celle d'un petit tailleur juif qui n'aura jamais et nulle part été à sa place, pas même en Terre Promise où, bien qu'à bout de force et d'espoir, il s'en faudra de peu qu'on ne l'empêchât aussi de mourir librement.

La Chute de l'Ange, de Moïche Zakharovitch Chagalov (Marc Chagall / 1887-1985)

Extraits

Quand le camarade Trivas enseigne à Lazik ce que doivent être "les fonctions sexuelles d'un membre modèle du Parti d'un point de vue éthique" :

- Le sexe n'est au fond rien d'autre qu'un simple moyen de reproduction. Tant qu'il ne s'y mêle pas le capitalisme de Malthus et les autres barrières, nous pouvons considérer ce qu'on appelle "amour" comme le simple processus de production de deux artisans indépendants. Plus il est court, plus il reste de temps au prolétariat pour se consacrer aux syndicats et aux coopératives. [...] Votre devoir est de chasser comme une brebis galeuse celui qui aura l'idée de remplacer le matérialisme de fer par de la bouillie sentimentale.

Ou quand Lazik se fait passer pour un rabbin libéral auprès de ses coreligionnaires de Francfort, notamment un restaurateur casher empêtré dans les interdits :

LAZIK : Il est dit dans la Thora : "Tu ne mangeras pas le veau dans le lait de sa mère". Le beurre est fait avec le lait. Et comment pouvez-vous savoir si telle vache est la mère de tel veau, ou même de tel boeuf ayant atteint sa majorité ? Donc il est interdit de cuire la viande dans le beurre.
SCHWARTZBERG : Pfff...
LAZIK : Mais attendez une minute, il est encore trop tôt pour soupirer. Vous n'avez qu'à servir de la viande de porc. Moi, par exemple, j'adore les côtes de porc, et puis le cochon ne pourra jamais être le fils d'une vache. Vous pouvez donc faire frire autant de côtelettes de porc que vous le désirez dans du beurre laitier avec des pommes de terre bien croustillantes. Tout sera ainsi conforme à la loi et vous verrez que lorsque M. Moiser aura mangé une de vos côtes de porc, il s'écriera extasié : "Comme votre veau est délicieux !"
SCHWARTZBERG : Mais selon la Loi le porc est de toute façon...
LAZIK : Peut-être bien que selon la Loi le porc n'a pas assez de doigts de pied pour qu'on ait le droit d'en manger, mais, après tout, vous ne les avez pas comptés, ses doigts de pied. Et puis qui vous demande de vous occuper de ça ? De toute façon lorsque vous parlez avec un rabbin érudit, vous n'avez pas besoin de faire de philosophie. Point à la ligne.

Ilya Ehrenbourg : Lazik le tumultueux (1927)
Traduit par Claude Kahn (1981)
Aux Editions J.-C. Lattès

A signaler aussi une satire plutôt réussie des peintres de la Brasserie la Rotonde, ainsi qu'une bonne critique des milieux littéraires d'avant-garde, et pas mal d'autres bonnes choses encore, mais dont on peut difficilement extraire un passage.

2015/10/03

Un truc de folie...

Il a seulement 24 ans, s'appelle Luca Stricagnoli, et vient de sortir un album de toute beauté chez Candyrat Records. On peut le voir ici à l'ouvrage sur un arrangement de Sweet Child O' Mine (Guns N’ Roses) qui m'a laissé baba :