2015/09/06

ANPéRo : Ouvert la nuit (28/08/2015)


Les Nourritures terrestres

Bloqué sur le boulevard Barbès en me rendant l'autre jour à la librairie, j'aurais pu moi aussi jouer du klaxon, griller des politesses ou même glisser ma Dacia entre un bus et un taxi, au lieu de quoi je regardais tranquillement les passants comme si j'étais assis à la terrasse d'un café.

Fasciné par le spectacle de cette foule en mouvement — dont l’œil ne peut jamais saisir qu'une infime partie — j'attrapais à la volée des bribes de vie quotidienne : ici un chahut d'enfants, là une vieille femme en pleurs, un baiser d'amoureux, un gars plié en deux par son lumbago... rien que de très banal et de très ordinaire, soit précisément ce qui me touche. 

Sur le visage de ces dizaines d'inconnus à peau sombre ou dorée, se décelait tantôt de la joie, de l'espoir, du désir, tantôt de la peine, de la souffrance, des soucis, tout ce dont sont pétris les hommes d'où qu'ils viennent où qu'ils soient, avec leur cœur qui bat et l'histoire qu'ils trimballent... 

En arrivant enfin à destination, boulevard Voltaire, j'étais littéralement hanté par une phrase entendue peu avant à la radio et qui disait à peu près ceci :

"Combien faudrait-il de pages si on voulait essayer de noter ce qu'on pense, c'est-à-dire aussi ce qu'on voit et ce qu'on sent, pendant seulement trois minutes ? (*) 

Et combien faudrait-il de pages pour noter ce à côté de quoi on passe, non pas durant trois minutes mais durant toute sa vie ? D'imaginer tout ce que je n'aurai pas vu, pas senti, pas pensé au terme de la mienne, j'en avais des frissons et comme une boule d'angoisse, un sentiment de grand vide... alors j'ai serré des mains, celles de Vincent, Jacques, Laurent, Stéphane, etc — des mains habituées à feuilleter des bouquins — et la soirée démarra gentiment. 

Au menu du jour : pâté de campagne, houmos et sauciflard, puis fromage alpestre et tarte-maison, avec des vins du pays d'Oc et des Bordeaux à volonté. En somme, une table plutôt bien garnie, chacun d'entre nous ayant versé sa quote-part, hormis le pique-assiette qui s'en vint les mains dans les poches et fila s'empiffrer au buffet. 

Au programme : des sujets hautement sensibles, tels le cas Céline ou les conférences d'Onfray. Terrains minés ! Surtout Onfray. Là, tu sais qu'au moindre faux pas, ou au plus petit écart, boum ! ça va te péter à la gueule comme un retour de flamme. Alors tu n'avances tes pions qu'à coup sûr et en veillant à ne rien froisser ni personne, ménageant la chèvre et le chou à la manière d'un politicien en campagne et t'en trouvant d'autant plus con. 

What else ? Eh bien, les frères Bogdanov, Stephen Hawking et Didier Daeninckx, aussi la grille de rentrée de France Culture et l'encéphalopathie spongiforme... la levure de bière, le minerai de viande et les bouillons KUB... l'empereur Maurice, Ron Hubbard, le Javascript... et mille autres sujets, y compris l'avenir de la librairie dont le sort demeure encore incertain... 
Et pis un nespresso pour finir. 

  
(*) Grands écrivains, grandes conférences : très belle lecture d'un passage de Une main, de C.F. Ramuz, par le comédien Roger Rudel en 1958 (de 12'30 à 28'30). 

5 commentaires:

  1. Réponses
    1. La table est bonne et les convives sont un peu cinglés mais sympas : tu devrais venir faire un tour.

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    2. Si tu m'invites, je viendrai avec plaisir. Tu sais que j'apprécie les cinglés sympas.

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    3. L'entrée est libre, mais je t'invite bien volontiers. On s'en reparlera...

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  2. Ca me fait penser de te remercier encore de m'avoir fourni le lien des Grands écrivains, grandes conférences à l'occasion du petit jeu dont tu fus le grand vainqueur, . Je me les fais les unes après les autres (après avoir écouté celle sur Molière), j'en suis à Montaigne / Alain, je me régale. A bientôt, peut-être au prochain anpéro...

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