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2015/11/22

João Ubaldo Ribeiro : Sergent Getúlio

Petit come-back en terre brésilienne, qu'on ne finira jamais d'explorer tellement ce pays est immense, y compris d'un point de vue littéraire, avec des auteurs à ranger au rayon des plus grands, tels qu'Erico Veríssimo, Antônio Torres ou encore João Ubaldo Ribeiro. De ce dernier, nous avions beaucoup apprécié Vive le peuple brésilien, un livre au titre un peu rebutant mais superbement rédigé, d'une incomparable drôlerie et de grande érudition, toutes deux mises au service d'une noble cause : le métissage des cultures. Pour Sergent Getúlio, son deuxième opus, nous serons nettement moins élogieux, sans doute parce que Ribeiro use du même procédé romanesque que pour Ô luxure, à savoir le monologue narratif, mais un monologue ici tant et si bien déjanté que l'on peine à en suivre le fil, malgré un thème intéressant : la violence ; celle du narrateur, bien sûr, mais surtout celle de tout un corps social pour ainsi dire cristallisée dans le narrateur.

Nous sommes aux alentours des années 50, sur fond de campagne électorale et, ainsi qu'il en était encore de coutume au Brésil, de luttes sanguinaires pour la conquête du pouvoir, de règlements de compte et autres vengeances personnelles. Le narrateur, Getúlio Santos Bezerra, est un ancien cireur de godasses devenu sergent de la police militaire et homme-à-tout-faire d'un chef de Parti qui l'a pris sous son aile après qu'il ait tué son épouse adultère quelques années plus tôt. Nous savons aussi qu'il a froidement assassiné depuis lors deux ou trois dizaines d'individus désignés par son "patron", et qu'il a reçu cette fois-ci pour mission de s'emparer d'un rival politique afin de le conduire de Paulo Afonso jusqu'à Barra dos Coqueiros ; soit un voyage d'environ 200km à travers le Sergipe et à bord d'une vieille Hudson conduite par Amaro, son fidèle acolyte. En cours de route, tandis que les deux hommes infligent à leur prisonnier d'impensables sévices, un subalterne vient les trouver pour les informer d'un contre-ordre émanant du Chef et leur intimant de libérer le prisonnier sur le champ pour cause de pressions médiatiques, ce à quoi ne peut se résoudre le sergent Getúlio, un homme d'honneur pour qui une parole donnée est une parole sacrée, aussi un homme qui obéit d'abord et avant tout à des principes, quoi qu'il en coûte, y compris le bain de sang par lequel s'achève cette histoire.

Voilà, voilà... En fait, je ne sais pas trop quoi penser de ce livre, si ce n'est qu'il ressemble à un puzzle assez difficile à assembler, et qu'il est ponctué d'un bout à l'autre par des scènes de violence comme on en lit rarement... hormis dans les journaux.

João Ubaldo Ribeiro (1941-2014)

La goutte sereine est ainsi, vagabonde. On la laisse, elle se transforme en chancre et dégénère en autres misères, de sorte qu'il faut se précautionner contre les femmes de rencontre. Premier précepte. De Paulo Afonso jusque-là, une tirée, encore pire de nuit dans ces conditions. [...] C'est du sertão sauvage : cactus et chardons géants, tout traîtrise, queues-de-rat en dessous, un enfer. Plantes et femmes nuisibles, possibilitant des plaies ; bestioles sournoises, fourmis, scorpions, tiques, faut voir. J'ai tué trois malheureux par-dessus des queues-de-rat, dont un qui arriva doucement à terre, redoutant les épines sans doute. Comme si un qui va mourir se préoccupe de son confort. J'aurais eu le goût de saigner j'achevais le vivant sur le coup, pourtant il fait un bruit bizarre et il n'est pas propre à cause de tout ce jus qui sort. De façon que je lui tirai dans le crâne, en visant bien pour ne pas gaspiller de munitions. Là-dessus je jurai contre lui, qui m'obligeait à chasser à travers ces maquis, perdu dans cette fournaise, gâchant mes bottines neuves dans ces ronces difficultueuses. On ne voit que têtes-de-moine, yuccas, méchants buissons et urubus. Il n'entendit même pas le juron, il retomba et refroidit. Du travail régulier. [...] Ensuite les urubus, car le travail n'est plus de punition, il est de nettoyage. L'urubu c'est la propreté des campagnes, il repère la minute où quelqu'un cesse de marcher dans ces agrestes et reste à tournoyer comme un espirite. Il tournoie comme ça, claquant du bec et ufeufant des ailes, ces planements plumés, âmesempennés. Il va et reva et va et vient. Il doit avoir un souffle notable. On sait que le petit urubu naît blanc et qu'ensuite il devient noir et s'il voit un homme il vomit de dégoût, il a le cœur soulevé. Eux ils nous dégoûtent, nous on les dégoûte. [...]

~oOo~

[...] Ce n'est qu'après un moment qu'il exposa ses idées.
— Impossible de tuer l'homme, quelqu'un peut venir ici. Ça ferait parler de moi, ça je ne supporte pas.
— D'accord, d'accord. On peut le rosser.
— En plus, je le laisse estropié. Vous, vous brûlez ?
— Je n'ai jamais brûlé même un œuf de bouc, encore moins lui.
— Il n'y a pas de difficulté. On pose le fer chaud. Ça fait comme une odeur de viande roussie, mais c'est nécessaire, parce que sinon il peut saigner de trop et l'animal meurt de se vider. Comme ça, on brûle et ça sèche, ça reste parfait.
Amaro dit qu'on pouvait attacher un crin de queue de cheval à la racine des couilles, et on étrangle, étrangle jusqu'à ce que ce soit comme de la bouillie de manioc. Juste, dit Nestor, mais alors il peut tirer, dans un moment de distraction de celui qui surveille. Mais c'est le mieux, dit Amaro, c'est le meilleur moyen pour ôter les verrues, on ne souffre même pas, ça déconforte seulement. Si vous coupez, votre main peut glisser et tout couper d'un coup, ça fait des dégâts. Il n'y a pas d'homme qui reste calme dans un de ces moments.
— On l'avise : regarde, si tu brailles, je t'enfile dans la bouche un chiffon bien enfoncé et tu peux t'étouffer. Mieux vaut te conformer, parce que le destin ne se trompe pas. Ne remue pas non plus, parce que ça complique. Laisse que je coupe d'un coup, à la racine, c'est l'affaire d'un instant.
— On peut aussi écraser au pilon, pas besoin d'envelopper, il y a déjà un emballage naturel. On peut piler, piler, jusqu'à ce que ça se mette en farine, et alors on laisse, ça enfle et ça pend. Ça donne un couillon impressionnant, il peut aller jusqu'au genou. [...]

~oOo~

[...] Alors donc assis dans ce pacage, avec ces cendres que j'ai mises sur ma tête et tous ces chemins que j'ai creusé de mes pieds, tournant en rond je ne sais combien de temps et me frappant la poitrine et hoquetant dans ma gorge, j'ai poussé un cri qui s'est entendu dans tout l'Etat de Sergipe, de tous les côtés, en bas, en haut, jusqu'au bout du monde, qui a retenti, j'ai poussé le cri le plus terrible qu'on ai poussé sur terre, parce que c'est maintenant que j'ai senti. D'abord, je me suis assis sur une souche et j'ai plongé ma tête entre mes deux jambes allongées et je suis resté assis vingt-deux heures, cinquante-huit heures, je suis resté assis plus d'heures que jamais personne n'est resté assis, et je n'ai pas bougé ; je regardais le sol mais sans rien voir, seulement le sol d'une couleur seule. Ensuite je me suis levé et il m'est venu une rage, la plus grande rage qu'il y ait jamais eu dans tout l'Etat de Sergipe, il m'est venu une rage drue comme du sang et lourde comme cinq cent sacs de sucre et chaude comme une braise de la taille d'un bœuf. Et une fois debout j'ai étiré un bras le poing fermé, j'ai étiré l'autre bras et je me suis frappé la poitrine, tant qu'il tonna et que les feuilles des arbres tombèrent, et ensuite j'ai marché des pas de deux brasses et quand je marchais à chaque pas montaient des nuages de poussière qui devinrent de la boue sur ma figure avec les larmes qui sortaient.

João Ubaldo Ribeiro : Sergent Getúlio (1971)
Traduit et préfacé par Alice Raillard (1978)
Aux Editions Gallimard

2015/09/06

ANPéRo : Ouvert la nuit (28/08/2015)


Les Nourritures terrestres

Bloqué sur le boulevard Barbès en me rendant l'autre jour à la librairie, j'aurais pu moi aussi jouer du klaxon, griller des politesses ou même glisser ma Dacia entre un bus et un taxi, au lieu de quoi je regardais tranquillement les passants comme si j'étais assis à la terrasse d'un café.

Fasciné par le spectacle de cette foule en mouvement — dont l’œil ne peut jamais saisir qu'une infime partie — j'attrapais à la volée des bribes de vie quotidienne : ici un chahut d'enfants, là une vieille femme en pleurs, un baiser d'amoureux, un gars plié en deux par son lumbago... rien que de très banal et de très ordinaire, soit précisément ce qui me touche. 

Sur le visage de ces dizaines d'inconnus à peau sombre ou dorée, se décelait tantôt de la joie, de l'espoir, du désir, tantôt de la peine, de la souffrance, des soucis, tout ce dont sont pétris les hommes d'où qu'ils viennent où qu'ils soient, avec leur cœur qui bat et l'histoire qu'ils trimballent... 

En arrivant enfin à destination, boulevard Voltaire, j'étais littéralement hanté par une phrase entendue peu avant à la radio et qui disait à peu près ceci :

"Combien faudrait-il de pages si on voulait essayer de noter ce qu'on pense, c'est-à-dire aussi ce qu'on voit et ce qu'on sent, pendant seulement trois minutes ? (*) 

Et combien faudrait-il de pages pour noter ce à côté de quoi on passe, non pas durant trois minutes mais durant toute sa vie ? D'imaginer tout ce que je n'aurai pas vu, pas senti, pas pensé au terme de la mienne, j'en avais des frissons et comme une boule d'angoisse, un sentiment de grand vide... alors j'ai serré des mains, celles de Vincent, Jacques, Laurent, Stéphane, etc — des mains habituées à feuilleter des bouquins — et la soirée démarra gentiment. 

Au menu du jour : pâté de campagne, houmos et sauciflard, puis fromage alpestre et tarte-maison, avec des vins du pays d'Oc et des Bordeaux à volonté. En somme, une table plutôt bien garnie, chacun d'entre nous ayant versé sa quote-part, hormis le pique-assiette qui s'en vint les mains dans les poches et fila s'empiffrer au buffet. 

Au programme : des sujets hautement sensibles, tels le cas Céline ou les conférences d'Onfray. Terrains minés ! Surtout Onfray. Là, tu sais qu'au moindre faux pas, ou au plus petit écart, boum ! ça va te péter à la gueule comme un retour de flamme. Alors tu n'avances tes pions qu'à coup sûr et en veillant à ne rien froisser ni personne, ménageant la chèvre et le chou à la manière d'un politicien en campagne et t'en trouvant d'autant plus con. 

What else ? Eh bien, les frères Bogdanov, Stephen Hawking et Didier Daeninckx, aussi la grille de rentrée de France Culture et l'encéphalopathie spongiforme... la levure de bière, le minerai de viande et les bouillons KUB... l'empereur Maurice, Ron Hubbard, le Javascript... et mille autres sujets, y compris l'avenir de la librairie dont le sort demeure encore incertain... 
Et pis un nespresso pour finir. 

  
(*) Grands écrivains, grandes conférences : très belle lecture d'un passage de Une main, de C.F. Ramuz, par le comédien Roger Rudel en 1958 (de 12'30 à 28'30). 

2015/07/19

ANPéRo : Le Temps des libraires (17/07/2015)

Par un usage établi depuis bientôt trois ans, les ANPéRos de la librairie l'Entropie débouchaient jusqu'alors sur deux choses : une gueule de bois plutôt carabinée et un compte-rendu plus ou moins fidèle, mais toujours enthousiaste et joyeux. Nous avons ainsi dressé, au fil des ans, quelques portraits de convives, ou de clients de passage, et même (traîtreusement) rapporté quelques-unes de leurs paroles, enregistrements sonores à l'appui, sans doute histoire de mieux rendre l'ambiance, le climat, l'atmosphère, toutes choses autrement plus conformes à la réalité qu'un récit détaillé. On retrouvera donc cette fois-ci encore la bande-son de la soirée d'avant-hier, mais pour le compte-rendu... eh bien, le cœur n'y est plus vraiment.



Certes, comme d'habitude, les rires ont fusé et les saillies aussi, mais... mais un petit rien dans l'air, comme une pression d'atmosphère, a pesé lourdement sur chacun d'entre nous : ça sentait l'éclair et la foudre comme quand l'orage approche à grands pas. Ou la faillite. Car, sauf retournement de situation improbable, la librairie fermera définitivement ses portes d'ici tout au plus quelques semaines, la faute aux factures et aux loyers impayés, donc à l'implacable logique des chiffres et des bilans financiers, des choses qui comptent mais qui font chier, sûrement parce que nous aimerions que tout dure éternellement : le temps de l'amour, le temps des copains et de l'aventure... aussi le temps qui va et celui qui sommeille... sans oublier l'essentiel : le temps des libraires.



2015/02/08

ANPéRo : Les Nouvelles vagues (06/02/2015)




Premier ANPéRo de l'année avec enfin du sang neuf, directement puisé dans les 2,2 % d’audience cumulée de France Culture, 93.5 FM Paris et alentours. 
Yep yep yep ! la chair plus ou moins fraîche et l'oeil plus ou moins clair, trois petits nouveaux, dont une nouvelle, sont venus passer la soirée d'hier en bonne compagnie à la librairie l'Entropie. Trois ! Sur les 300 000 auditeurs franciliens que compte la station, c'est très peu, certes, mais ce n'est pas rien : chouïa barka, comme on dit là-bas. Et puis, pour moi qui ne suis qu'oreilles et n'aime que les accords parfaits, une soirée réussie n'est pas subordonnée au nombre de convives, mais à la qualité de leurs gazouillis et de l'harmonie qui s'en dégage qu'ils soyent dix ou dix-mille :



A quoi ressemblaient les z'oiseaux-zelle de cette nouvelle espèce ? M'en va maintenant vous les décrire :

Jeune pousse d'endive
ZA... : petit bout de femme coquette, discrète et pleine de charme, qu'on imagine, je ne sais pas pourquoi, chanter des standards d'Ella Fitzgerald et Billie Holiday sur la scène new-yorkaise du Cotton-Club... ou bien encore du Piaf sur celle de l'Olympia.

YA... : tout le contraire de ZA, soit un grand bout d'homme avec des airs de bouddha à l'aise dans ses baskets, son pull marine et son battle-pant.

GU... : un jeune quadra un peu desperado sur les bords, mais hyper-attachant. S'est fondu dans le décor et l'ambiance avec une rapidité surprenante, au point de faire passer les vétérans des ANPéRos pour de jeunes novices.

A ces trois-là, et aux autres aussi, la librairie a fixé rendez-vous au printemps pour le prochain et peut-être dernier ANPéRo de la décade. On y verra encore une fois la tronche du tôlier si son banquier lui prête vie donc pognon, ou l'inverse. Probab' qu'on y fera à nouveau du barouf en baffrant, du shopping en chopinant... et possib' aussi qu'on quizz :



2013/12/29

J.M. Machado de Assis : Dom Casmurro

« Chez Machado de Assis, conteur né, le mélange d'humour léger et de scepticisme délibéré donne à chaque roman un charme tout spécial » (Stefan Zweig)

Malgré ses 325 pages et ses 148 chapitres, ce roman de Machado de Assis peut se résumer en quelques mots : le narrateur, un quinquagénaire blasé, pour se désennuyer, se décide à raconter certains épisodes de sa vie, à commencer par sa conception, puisque sa mère, Dona Maria da Gloria Fernandes Santiago, après avoir accouché d'un enfant mort-né, promit à Dieu, s'Il lui accordait la grâce d'avoir un fils, d'en faire un serviteur de Sa très sainte Eglise. Et comme l'enfant qui lui vint peu après fut un bébé de sexe mâle, elle honora sa promesse en l'éduquant dans cette seule optique : jouets liturgiques, livres pieux, messe le dimanche et cellule monastique bien évidemment réservée au séminaire de São José... Seulement, c'était sans compter sur la volonté personnelle d'un adolescent de 15 ans à l'heure de ses premiers émois, et c'était oublier un peu vite les sentiments amoureux que Bentinho commençait à nourrir à l'égard de Capitou, sa jeune et jolie voisine...

Bento parviendra-t-il à contrecarrer un destin tout tracé par sa mère ? Fera-t-il de Capitou sa chère et tendre épouse ? Suivant quel stratagème, avec quels soutiens et quelles complicités ? Capitou est-elle vraiment celle qu'il croit qu'elle est, ou bien n'est-ce pas plutôt l'amour qui l'aveugle ? Voilà, en gros, de quoi il retourne dans ce roman d'un conteur-né, au style bien léché et à l'humour léger — Zweig a raison. Sauf que la légèreté de Machado de Assis confine parfois à de la superficialité, son humour à du cynisme, et son style soigné à une forme de dandysme littéraire. De sorte que cette lecture m'a été tout à la fois agréable et pénible, et qu'elle me laisse finalement l'impression d'avoir été convié à déguster des feuilletés Fauchon dans un salon bourgeois, le cul coincé sur un fauteuil Empire, entouré de personnages ni attachants ni repoussants, mais simplement transparents...
On regrette surtout que l'auteur aborde ici des questions de fond — notamment la prépondérance de la religion dans la société brésilienne à la fin du 19ème siècle, ou encore l'opposition entre déterminisme familial et libre-arbitre — qu'il les aborde mais avec des pincettes à sucre, sans jamais vraiment les saisir à bras-le-corps, ni prendre parti, me laissant ainsi sur ma faim, c'est dommage.

Enfin, par un curieux hasard de l'Histoire, le siège de l'académicien Joaquim Maria Machado de Assis sera occupé 64 ans plus tard par un certain Jorge Amado de Faria, lequel Amado déclara en 1961, lors de son discours de réception à l'A.B.L., ce qu'il avait déjà dit de son prédécesseur, en 1941, et donc de manière moins "académique", dans Le Bateau Négrier, la Vie d'un Poète :

[...] Le romancier de Dom Casmurro était un métis, qui, de très basse origine, désirait avant tout s'élever dans l'échelle sociale. Cette classe supérieure [...] était pour le métis carioca la seule chose belle et désirable. Il considérait comme la victoire de sa vie de s'intégrer à cette classe et d'en être le chef de file [...] Machado, homme de faible nature, mettait ses sentiments en sourdine. Non seulement il ne mentionna jamais les grands problèmes de l'époque, mais il oublia aussi, c'était son caractère, ses petits détails sentimentaux, ce qui dénote [...] une idolâtrie pour une classe sociale qui l'éblouissait. Il ne s'éleva pas à force d'audace, en s'imposant comme un égal, en réclamant une place due à son talent. Il quémanda sa place, dans une démarche faite de tristes flatteries, de mesquineries, de silences et de réticences. Cet homme au talent remarquable avait de petits sentiments où n'entrait que l'amour de lui-même. Il voulait parvenir à une place importante dans la classe dominante, mais cela sans blesser personne [...] Même parvenu à son but, entouré de respect et d'admiration, reconnu par tous, il ne se sentait pas en sécurité. Sa voix ne s'élève jamais, elle reste toujours en sourdine, et même si c'est une belle voix, elle est, sur beaucoup de points, une voix stérile. Aucun des grands hommes de notre patrie ne nous donne une telle impression de peureuse neutralité que le romancier carioca. On dit qu'il est timide, mais c'est un adjectif bien faible. Il est peureux et même plus que peureux, il est lâche. C'est pour cela que le peuple l'admire mais de loin. Aucun écrivain n'a été moins aimé que cet homme qui aurait pu être le plus grand de tous. Personne ne se retrouve en lui, il a traversé l'histoire politique du Brésil sans en prendre connaissance. Comme si seuls les petits évènements trouvaient un écho dans son cœur. Même son bonheur fut fait de petites choses, petit homme jamais sûr de lui-même. Il se complaisait à rendre hommage à ceux qui ne pouvaient le concurrencer, craignant toujours l'apparition d'un nom qui pourrait l'éclipser. Fier d'être considéré comme le meilleur romancier de langue portugaise de son temps, il gardait un silence prudent sur tous ceux qui auraient pu lui faire de l'ombre. Rien de plus triste dans l'histoire de notre littérature que le spectacle mélancolique de cet homme de talent qui ne croyait pas à la force de ce talent, qui ne participait pas à la défense des grandes causes, qui avait peur de la vie et n'a jamais voulu l'affronter. Une pénombre triste que le soleil ne réchauffe pas.

On ne saurait mieux dire.

Extraits de Dom Casmurro :

[...] Un certificat qui me donnerait l'âge de vingt ans pourrait tromper les étrangers, comme tous les faux-papiers, mais ne me tromperait pas. Les amis qui me restent le sont depuis peu ; les anciens sont tous allés étudier la géologie des cimetières. Quant à mes amies, certaines datent de quinze ans, d'autres de moins, et presque toutes croient à leur jeunesse. Deux ou trois d'entre elles y feraient croire les autres, mais la langue qu'elles parlent oblige souvent à consulter les dictionnaires, ce qui finit par être lassant.


[...] A la maison, je jouais à la messe, — un peu en cachette, car ma mère disait que la messe n'était pas un jeu. Capitou et moi, nous installions un autel. Elle faisait le sacristain, et nous altérions le rituel, en ce sens que nous nous partagions l'hostie ; l'hostie était toujours un gâteau. A l'époque où nous nous amusions ainsi, ma voisine me posait très souvent la question : « Est-ce qu'il y a messe aujourd'hui ? » Je savais bien ce que cela voulait dire, je répondais affirmativement et j'allais demander une hostie sous un autre nom. Je revenais avec, nous arrangions l'autel, nous écorchions le latin et nous accélérions la liturgie. Dominus, non sum dignus... Cette phrase, que je devais dire trois fois, je crois bien que je ne la disais qu'une seule, telle était la gourmandise du prêtre et du sacristain.


[...] Je bondis, et avant qu'elle eût gratté le mur, je lus ces deux noms, gravés au clou, et disposés ainsi :
BENTO
CAPITOLINA
Je me tournai vers elle ; Capitou avait les yeux baissés. Elle les leva aussitôt, lentement, et nous restâmes à nous regarder l'un l'autre... Aveu d'enfants, tu mériterais bien deux ou trois pages, mais je veux être concis. En vérité, nous ne dîmes pas un mot ; le mur parla pour nous. Nous ne fîmes pas un mouvement, nos mains seules se tendirent peu à peu, toutes les quatre, se saisirent, se pressèrent, se fondirent. Je ne notai pas l'heure exacte de ce geste. J'aurais dû la noter ; je regrette de ne pas avoir une note, écrite dès ce soir-là, et que je placerais ici avec ses fautes d'orthographe, mais il n'y en aurait aucune, tant il y avait de distance entre l'étudiant et l'adolescent. Il connaissait les règles de l'écriture, et ne soupçonnait pas celles de l'amour ; il faisait des orgies de latin et ne savait pas ce qu'était une femme.


[...] - Je n'aime que vous, maman.
Il n'y eut pas de calcul dans cette phrase, mais je fus heureux de l'avoir dite, pour lui faire croire qu'elle était ma seule affection ; je détournais les soupçons qui pesaient sur Capitou. Combien n'y a-t-il pas d'intentions perverses qui embarquent ainsi, en cours de route, dans une phrase innocente et pure ! On en arrive à se demander si le mensonge, souvent, n'est pas aussi involontaire que la transpiration.


[...] Escobar ne savait pas seulement louer et penser, il savait aussi calculer vite et bien. Il était de ces têtes arithmétiques de Holmes (2 + 2 = 4). On n'imagine pas avec quelle facilité il additionnait ou multipliait mentalement. La division, qui a toujours été pour moi une opération difficile, était pour lui une bagatelle : il fermait à demi les yeux, les tournait vers le plafond, et murmurait le nom des chiffres : c'était tout. Et cela avec sept, treize, vingt chiffres. Sa vocation était telle qu'elle lui faisait aimer jusqu'aux signes des additions, et il affichait cette opinion que les chiffres en raison de leur petit nombre, étaient plus chargés de sens que les vingt-cinq lettres de l'alphabet.
- Il y a des lettres inutiles et des lettres dont on peut se passer, disait-il. Le d et le t, ont-ils chacun leur utilité ? Ils ont presque le même son. Même chose pour b et p, même chose pour s, c et z, même chose pour k et g, etc. Ce sont des embrouilles calligraphiques. Regarde les chiffres: il n'y en a pas deux qui servent au même usage ; 4 c'est 4 et 7 c'est 7. Et admire avec quelle beauté un 4 et un 7 forment cette chose qui s'exprime par 11. Maintenant double 11 et tu auras 22 ; multiplie 22 par lui-même, cela donne 484, et ainsi de suite. Mais le comble de la perfection, c'est l'emploi du zéro. La valeur du zéro en lui-même est nulle ; mais le rôle de ce signe négatif est justement d'augmenter les autres. Un 5 tout seul c'est un 5 ; ajoute-lui deux 00, c'est 500. Ainsi ce qui ne vaut rien fait valoir beaucoup, ce que ne font pas les doubles lettres, car moi, j'approuve aussi bien avec un p qu'avec deux pp.


[...] Là où le charme et le mystère étaient les plus grands, c'était aux heures de l'allaitement. Quand je voyais mon fils sucer le lait de sa mère, et toute la nature communiant dans le but de nourrir et de faire vivre un être qui avait été néant, mais dont notre destin avait affirmé qu'il serait, et dont notre constance et notre amour avaient fait qu'il finît par être, j'étais dans un état que je ne saurais dire et que je ne dis pas.

J.M. Machado de Assis : Dom Casmurro et les yeux de ressac (1899)
330 pages - Editions Métailié.
Traduit par Anne-Marie Quint.

2013/09/08

"Ne pas toucher aux livres, S.V.P."

Quelque part sur le quai des Grands Augustins, Paris VIème, années 60, avant les manifs, la grève générale et les accords de Grenelle :


C'est un peu comme ces pancartes à la noix qui vous prient de ne pas marcher sur la pelouse, un peu aussi comme une paire de patins à l'entrée d'un bastringue, ou bien comme ce flic de province, un sacré vieux con, qui m'avait à moitié assommé parce qu'il était soi-disant défendu de jouer de la gratte dans le jardin public du village, et même simplement interdit de s'asseoir au pied du Monument aux Morts, sur lequel, pourtant, chiaient librement les pigeons. J'avais alors à peine vingt ans, les idées courtes et les cheveux longs jusque-là, n'empêche que cet épisode de ma jeunesse m'avait beaucoup fait réfléchir sur le sens du sacré et celui du profane, prétexte à bien des abus pour les gardiens du Temple.

2013/09/01

J.-H. Rosny / Jean Eriez (correspondance)

Tous les chineurs et brocanteurs du dimanche vous le diront : "On tombe parfois sur une perle rare." Pour preuve, cette lettre autographe de J.-H. Rosny adressée à Jean Eriez, et trouvée dans un lot de vieux papiers où elle n'avait pourtant rien à faire :




Pont-sur-Yonne, le 3 septembre 1903

Monsieur et cher confrère,

Nous avions été profondément touchés de l'envoi de votre livre, de sa dédicace et de son épigraphe, et voilà que nous arrive votre très éloquent et très généreux témoignage dans La Grande France [revue], avant que nous ayons pu vous remercier des joies que nous devons à La Forêt [roman]. Croyez à notre profonde gratitude et soyez sûr que nous n'oublierons pas ces très précieuses marques de sympathie.
Votre roman est délicieux, et par sa psychologie si subtile et si sûre, et par ses observations pénétrantes, et par son sentiment si profond, si exquis, si vrai et personnel de la nature. Ce beau livre est de ceux que nous aimons sincèrement.
De tout cœur,
J H Rosny

Et puis cette curiosité datant d'avant l'internet, ses moteurs de recherche et autres google-rank : l'Argus de la Presse, une société de service chargée de dépouiller des dizaines de journaux ou revues à la recherche d'articles concernant ses clients, dont était Jean Eriez.
Aujourd'hui l’Argus de la Presse surveille environ 17.500 sources d'informations écrites ou parlées (presse, web, radio, télé), ainsi que 2 millions de médias et réseaux sociaux, mais en 1903 c'était simplement ça, que vous receviez alors par courrier postal :

L'Argus de la Presse (1903)

2013/08/31

Jorge Amado : L'Enfant du Cacao


... : la jument tombant morte, mon père, baigné de sang, me soulevant du sol. 
J'avais alors dix mois. Je me traînais à quatre pattes dans la véranda de la maison à la fin du crépuscule, quand les premières ombres de la nuit descendaient sur les cacaoyères fraîchement plantées, sur la forêt vierge, antique et farouche. Défricheur de terres, mon père avait bâti sa maison au-delà de Ferradas, bourgade du jeune municipe d'Itabuna, avait planté du cacao, la richesse du monde. A l'époque des grandes luttes.

Il faut s'imaginer assis sur l'un des bancs du jardin municipal de Bahia, à l'ombre d'un manguier en fleurs, en compagnie d'un vieil homme encore vert, alerte et volubile comme un perroquet gris d'Afrique.
Dans les allées du parc passent des jeunes gens branchés, des bandes d'adolescents bruyants, tous l'iPod à la main, l'iPhone à l'oreille et l'avenir devant eux, grand ouvert.
Le vieil homme les regarde passer en souriant, sans amertume, les yeux mi-clos, sans doute un peu perdu dans ses souvenirs d'enfance. Lui aussi a eu 12 ans, il y a déjà longtemps, même si ça lui semble hier.
— De tanto ouvir minha mãe contar, a cena se tornou viva e real...
Il se met à vous parler de ses premières années comme s'il vous connaissait depuis toujours.
— En ce temps-là...
Le souffle de son haleine sur votre visage et le bercement de sa voix : une chaleur d'âme.
Dans l'air flottent un vieux parfum, une musique d'un autre âge, des images de Far-West : creuset dans lequel l'enfant grapiùna a forgé son identité, et où l'écrivain viendra plus tard puiser l'essentiel de son inspiration. D'abord les luttes pour le cacao, féroces batailles auxquelles participèrent activement ses parents, ensuite les tripots et les maisons de passe (où il fit ses universités), aussi la variole noire, la misère et la mort (compagnes de toute son enfance), et puis la mer d'Ilhéus (le chemin sans fin), autant de thèmes récurrents dont Jorge Amado a nourri tous ses livres, y compris celui-ci bien évidemment.

Dans cette courte autobiographie, qui ne va pas au-delà de sa quatorzième année, c'est finalement toute la généalogie de son oeuvre qu'Amado esquisse peu à peu. Il le fait sur le ton de la conversation, en évitant l'écueil narcissique et en nous révélant au passage le secret de sa vitalité : garder présente en soi la source vive de l'enfance, mélange d'émerveillement et d'insoumission, de malice et d'innocence, de rêves et de réalité.
C'est donc tout un monde qui nous est ici raconté par un vieil homme aux yeux de presque-nouveau-né... et sans doute faut-il l'être un peu soi-même, vieillard et nouveau-né, pour être aussi touché, ému ou amusé, par ce recueil de souvenirs confiés à l'ombre des manguiers en fleurs.

Qu'ai-je été d'autre qu'un romancier de putes et de vagabonds ? Si quelque beauté existe dans ce que j'ai écrit, elle vient de ces dépossédés, de ces femmes marquées au fer rouge, de ceux qui sont aux franges de la mort, au dernier degré de l'abandon. Dans la littérature et dans la vie, je me sens chaque jour plus loin des leaders et des héros, plus près de ceux que tous les régimes et toutes les sociétés méprisent, rejettent et condamnent.

Que outra coisa tento sido senão um romancista de putas e vagabumdos ?

2013/08/20

Dans la série : "Chérie, où t'as mis mon slip ?"

  • « Un beau désordre est un effet de l'art. » (Nicolas Boileau, in L'Art Poétique)
  • « L'ordre est une tranquillité violente. » (Victor Hugo, in Les Misérables)
  • « Repassez dans une heure, le temps que je dégage l'accès. » (Joseph Trotta, bouquiniste, in Les Falaises de Trotta)

Ce beau foutoir est situé au 148 de la rue Beauvoisine, à Rouen, dans une librairie d'occasion tenue par l'arrière-petit-fils de Karl Marx ; un Marx avec l'accent du Gers, le blouson Levi's sur le dos et le borsalino sur le crâne : Joseph Trotta. Ça se visite tous les jours, sauf le dimanche, jour du Seigneur, opium du peuple, de 14h30 à 19h00 environ.



Photo et citation rapportées par Florence

2013/08/19

Ostie d'calisse d'maudit tabarnak !

S'il y en a qui disent qu'à l'Entropie c'est le foutoir, le bordel, l'anarchie, c'est qu'ils ne connaissent pas le MacLeod's Books, sur la Pender-Street-West, à Vancouver, ou bien qu'ils ont la langue aussi mauvaise que des vipères :

Capture d'écran de la série télé Fringe, avec Clark Middleton dans le rôle de Markham,
le bouquiniste un peu fou, mais vachement sympathique...

2013/08/10

La Petite Boutique

Une chanson de la Môme pour rester en thème...
Les paroles sont de Roméo Carles, la musique d'Octave Hodeige, et nous sommes en 1936, dans l'effervescence du Front Populaire :



Je sais dans un quartier désert
Un coin qui se donne des airs
De province aristocratique
J'y découvris l'autre saison
Encastrée entre deux maisons
Une minuscule boutique
Un gros chat noir était vautré
Sur le seuil quand je suis entrée
Il leva sur moi ses prunelles
Puis il eut l'air en me voyant
De se dire : "Tiens ! Un client...
Quelle chose sensationnelle !"

Ce magasin d'antiquités
Excitait ma curiosité
Par sa désuète apparence
Une clochette au son fêlé
Se mit à tintinnabuler
Dans le calme et tiède silence
Soudain, sorti je ne sais d'où
Un petit vieillard aux yeux doux
Me fit un grand salut baroque
Et j'eus l'étrange sentiment
De vivre un très ancien moment
Fort éloigné de notre époque

Je marchandais un vieux bouquin
Dont la reliure en maroquin
Gardait l'odeur des chambres closes
Lorsque je ne sais trop comment
Je me mis au bout d'un moment
A parler de tout autre chose
Mais le vieux ne connaissait rien
Quel étonnement fut le mien
De constater que le bonhomme
Ne savait rien évidemment
Des faits et des évènements
Qui passionnaient les autres hommes

Il ignorait tout de ce temps
Aussi bien les gens importants
Que les plus célèbres affaires
Et c'était peut-être cela
Qui, dans ce tranquille coin-là
Créait cette étrange atmosphère
J'acquis le bouquin poussiéreux
Et je partis le cœur heureux
Le chat noir toujours impassible
Dans un petit clignement d'yeux
Parut me dire, malicieux:
"Tu ne croyais pas ça possible !..."

Je m'en allai, et puis voilà
Mon anecdote finit là
Car cette histoire ne comporte
Ni chute, ni moralité
Mais quand je suis trop affectée
Par les potins que l'on colporte
Par les scandales dégoûtants
Par les procédés révoltants
Des requins de la politique
Afin de mieux m'éloigner d'eux
Je vais passer une heure ou deux
Dans cette petite boutique...

2013/07/30

Les pieds sur terre : Libraires en galère (radio)

Une émission plutôt cafardeuse durant ses deux premiers tiers, tout en messes basses et chuchotis, avec odeurs d'encens et de cire brûlée, genre veillée funèbre. Pas gaie du tout. Et puis, de la 21ème à la 26ème minute, le reporter vient coller son micro sous le nez d'un libraire atypique : Jo-le-Bouquiniste, un véritable personnage de roman, épique et farfelu, comme qui dirait tout droit sorti des rayonnages.

Dialogue :

 - Bonjour ! Ça fait longtemps que vous êtes dans cette... euh... petite boutique ?
 - Trente-deux ans.
 - Alors c'est une toute petite boutique, c'est pas très grand ?
 - Ouais... ouais... c'est pas grand, mais ça m'suffit largement pour foutre le bordel, hein. Plus grand ça s'rait encore plus de bordel et pis c'est tout. De toute façon j'range pas, j'ai jamais rangé et j'vois pas pourquoi je rangerai, j'ai pas qu'ça à faire, hein !
 - Et comment êtes-vous arrivé dans ce métier ?
 - Ben... pasque de toute façon j'avais pas de fric et que c'était un des rares métiers où vous pouviez démarrer sans pognon, juste il fallait quelqu'un qui vous loge et vous donne à bouffer : ma femme. [...]
 - Et donc, vous, au fur et à mesure des années, vous avez pu rendre votre activité rentable ?
 - Oui, oui, officiellement, oui... mais bon c'est pas ici : je fais mon chiffre d'affaire à part... je vends des trucs que j'ai chez moi... des trucs comme ça... ou des clients qui me demandent des trucs spéciaux... et ainsi de suite, voilà [...] Moi je m'intéresse qu'aux passionnés, hein, les autres ils m'emmerdent ! Je m'occupe des passionnés à qui je vends des photos, n'importe quoi, des timbres, des vieilles rustines de vélo...
 - Mais alors là c'est plus du livre ?
 - Mes collègues ils vendent que des livres : pas de bol, au bout de trente ans, les livres ils les ont tous ! [...]

A l'écoute ici :



2013/07/20

Jorge Amado : Navigation de Cabotage (1/2)

« Il peut y avoir parmi les hommes de sincères et réelles amitiés ; car les qualités opposées n'empêchent pas les personnes qui les possèdent de se rapprocher et de s'aimer. » (Johann Wolfgang von Goethe)



Les affinités électives, nous en parlions encore l'autre soir, à la librairie l'Entropie, avec la seule représentante du beau sexe présente à cette soirée : une digne représentante, énergique et volontaire, voire même un peu sur les nerfs, car en cours de sevrage au poison du Père Nicotin. Nous en parlions à propos d'Amado, mon dada du moment, qu'elle n'avait pas lu, personne n'est parfait. J'évoquais donc ma grande sympathie à l'égard de ce merveilleux écrivain, lui avouais mon attirance, ma folle appétence pour tout ce que sa plume a tracé, et, pourquoi s'en cacher, comment j'aimais cet homme avec lequel je partage bien plus qu'un regard : un idéal.

- Affinités électives ! dit-elle, avec le sens du raccourci qu'ont parfois les femmes. Un beau titre pour de beaux sentiments.
L'esprit insuffisamment vif, et la mémoire de plus en plus défaillante, je ratais ici l'occasion de citer Goethe, le chimiste des corps en mouvement :
- Nous appelons affinité la faculté de certaines substances, qui, dès qu'elles se rencontrent, les oblige à se saisir et à se déterminer mutuellement. Cette affinité est surtout remarquable et visible chez les acides et les alkalis qui, quoique opposés les uns aux autres, et peut-être à cause de cette opposition, se cherchent, se saisissent, se modifient et forment ensemble un corps nouveau.
Au lieu de quoi je bredouillais :
- Euh... l'amour est un sentiment souvent tu... euh... par pudeur imbécile... peur du ridicule...
Et je crois me souvenir qu'on s'est quitté là-dessus, appelés que nous étions l'une et l'autre à deviser d'autres choses avec d'autres gens, d'autres alkalis.

Deux ou trois heures plus tard, de retour au bercail, je retrouvais mon Amado là où je l'avais laissé : au pied du lit. Pour qui vit solitaire, en sauvage et presque en reclus, un écrivain aimé, fraternellement aimé, fait office de bon compagnon, c'est une chose à savoir... Aaah ! Proust a écrit sur le sujet des pages si admirables et si définitives qu'on a désormais honte à seulement l'aborder, alors disons simplement que de meilleur, de plus fidèle ou disponible ami qu'un livre, moi je n'en connais pas.
Se languissant de moi, me languissant de lui, m'attendait donc au pied du lit Jorge Amado et son quasi mille-feuilles, curieusement intitulé Navigation de Cabotage (à ne pas confondre avec cabotinage : cabotins et caboteurs étant d'espèces différentes, bien qu'a priori parfaitement miscibles) et sous-titré : Notes pour des mémoires que je n'écrirai jamais. Des notes ? Va pour des notes. Mais mieux que ça encore : des lettres, dans un gros carton exhumé d'un grenier, celui de la mémoire, et jetées-là pêle-mêle, en vrac, sans aucun ordre, ni de dates ni de lieux, et sans effet de style non plus, à l'exacte image du beau foutoir qu'est la vie, qui va comme elle vient et passe comme elle passe : plus ou moins pleine, terriblement monotone ou follement excitante, tantôt agréable et tantôt difficile, etc., chacun sait la sienne. Quant à celle d'Amado, son dernier livre nous révèle non seulement à quel point elle fut riche d'amitiés (cf. l'index des noms propres : vingt-cinq pages à lui seul), mais aussi singulièrement vagabonde, avec une impressionnante quantité de "cartes postales" en provenance du monde entier, hormis, peut-être, du Pôle Nord (Belgrade, Berlin, Budapest, Buenos Aires, Cannes, Casablanca, Canton, Ceylan, Cologne, Dakar, Estoril, Fort-de-France, Francfort, Hambourg, Istanbul, Karachi, La Havane, Lisbonne, Londres, Madrid, Milan, Montreux, Moscou, New Delhi, New York, Nice, Oulan-Bator, Panama, Paris, Pékin, Porto, Prague, Rangoon, Rome, Saint-Malo, Samarkand, Siam, Tbilissi, Tirana, Varsovie, Vienne, Wroclaw et Zurich).
Donc un voyage à travers l'espace, mais aussi à travers le temps et l'Histoire : s'entremêlent ici les deux grands évènements du siècle, fascisme et communisme, vus par un homme engagé, et les petites anecdotes de la vie quotidienne, de la famille, du travail d'écrivain, les réflexions que les unes et les autres lui inspirent, ce genre de choses, voyez. S'entremêlent encore des portraits d'illustres inconnus, d'artistes célèbres, d'hommes de basse politique et des personnages de romans (Sartre, Aragon, Brecht, Eluard, Cholokhov, Balduino, Druon, Machado, Picasso, Archanjo, Mitterrand, Neruda, Carybé, G. Peck, Staline... et j'en passe). Au final, un intelligent fourre-tout, où on ne sait plus trop ce qui tient de la fiction et de la réalité, de la vie et de la fable, laquelle nourrit l'autre, et cette étrange impression que pour Mister Amado tout ça ne faisait qu'un.


Voici donc quelques passages tirés de ce pavé de 850 pages (Zélia, affectueusement surnommée Zezinha, est la seconde épouse de Jorge Amado) :

~oOoOo~

Les notes qui composent cette navigation de cabotage (ah ! qu'elle est brève la navigation des courtes années d'une vie !) commencèrent à être jetées sur le papier au fur et à mesure qu'elles me revenaient à la mémoire, à partir de janvier 1986. [...] D'entrée de jeu, je dois avertir que je n'assume aucune responsabilité quant à la précision des dates, j'ai toujours été mauvais pour les dates, elles me persécutent depuis le temps du pensionnat. Aux cours d'histoire, attiré par les personnages et les faits, j'oubliais les dates et c'est les dates que les professeurs exigeaient. Les références aux années et aux lieux sont là seulement pour situer dans le temps et l'espace les événements, les souvenirs. Quant aux notes non datées, elles traduisent l'expérience acquise au cours des années : les sentiments, les émotions, les conjectures. [...] Je laisse de côté le grandiose, le décisif, l'étonnant, la douleur la plus profonde, la joie infinie, matière dont ferait ses Mémoires un écrivain important, illustre, fat et présomptueux : ça ne vaut pas la peine de les écrire, je ne leur trouve aucun charme.

Je ne suis pas né pour être célèbre ni illustre, je ne me mesure pas à cette aune, je ne me suis jamais senti un écrivain important, un grand homme : juste un écrivain et un homme. Enfant grapiuna - des terres du cacao -, citoyen de la ville pauvre de Bahia, où que je me trouve je ne suis qu'un simple Brésilien marchant dans la rue, vivant. Je suis né coiffé, la vie a été prodigue avec moi, elle m'a donné plus que je n'ai demandé et mérité. Je ne veux pas dresser un monument ni poser pour l'Histoire en chevauchant la gloire. Quelle gloire ? Pff ! Je veux seulement conter quelques histoires, certaines drôles, d'autres mélancoliques, comme la vie. La vie, ah ! cette brève navigation de cabotage !

~oOoOo~

J'ai horreur des hôpitaux, des froids corridors, des salles d'attente, antichambres de la mort, plus encore des cimetières où les fleurs perdent leur éclat, il n'y a pas de belles fleurs dans un camposanto. Je possède cependant un cimetière à moi, personnel, je l'ai bâti et inauguré il y a quelques années, quand la vie eut mûri mon caractère. J'y enterre ceux que j'ai tué, c'est-à-dire ceux qui pour moi ont cessé d'exister, qui sont morts : ceux qui ont eu un jour mon estime et qui l'ont perdue. [...]

~oOoOo~

Milan, 1949 - il piu noto

Devant la vitrine d'une librairie, dans la grande galerie du centre de Milan, Zélia, très excitée, me montre un livre : regarde ! Je vois un exemplaire des Terres du bout du monde, mon premier livre traduit en italien, sur la couverture est reproduite une céramique de Picasso.
  - Tu as vu la pancarte ? Zélia trépigne.
La pancarte n'est pas à proprement parler une pancarte, mais un simple carton rectangulaire posé au pied du volume, renseignant sur l'auteur : Il piú noto scrittore brasiliano. Zélia lit à haute voix, répète : Il piú noto. Nous continuons, ravis.
Un peu plus loin, une autre librairie, nous nous arrêtons devant la vitrine, cherchant Les Terres. Au lieu de quoi nous tombons sur un livre d'Erico Veríssimo, Olhai os Lírios do Campo, si je me souviens bien. Au pied de l'ouvrage une pancarte, c'est-à-dire un rectangle de carton, les informations sur l'auteur : Il piú noto scrittore brasiliano.
Nous rions, Zélia et moi, nous désenflons. Au kiosque du coin j'achète une carte postale et les timbres correspondants et je l'adresse à Erico, à Porto Alegre, je lui raconte l'histoire : «Pendant cinq minutes et vingt mètres j'ai été "il piú noto", je t'ai passé le flambeau. »

~oOoOo~

Du point de vue de l'auteur, les meilleures traductions de ses livres sont celles qu'il ne peut pas lire, dans mon cas l'immense majorité. Nullité que je suis pour les langues à commencer par le portugais - j'écris en bahianais, une langue honnête, afro-latine -, je peux lire seulement le français et en espagnol, en italien avec difficulté, le dictionnaire à la main, et c'en est fini de ce qui est doux.
Lorsqu'on peut lire la traduction, si bon que soit le traducteur - j'en ai eu d'excellents, compétents, dévoués -, il existe toujours un détail, parfois minime, qui choque, agresse, fait mal : où est passé le trait subtil du personnage, l'angle de vision de tel fait, les nuances de l'émotion, le poids exact d'un mot ? Imaginez la douleur qui vous perce le cœur en voyant conin ou pacholette, douces désignations de l'origine du monde, traduits par sexe de femme ou vulve, croupe devenant fesses. Fesses, une croupe de mulâtresse qui se respecte ? Jamais !
[...] J'ai des livres dans des langues étranges, du coréen au turcoman, du thaïlandais au macédonien, de l'albanais au persan et au mongol. L'autre jour j'ai reçu du Paraguay un exemplaire du conte du Chat et de l'Hirondelle, le titre m'enchante : Karai Mbarakaja, ça veut dire quoi ? Je ris tout seul, ravi, mais les plumes de la vanité ne tardent pas à tomber lorsque je me rends compte que, certainement, je suis meilleur écrivain en guarani qu'en portugais.

~oOoOo~

Penser par sa propre tête coûte cher, on doit payer le prix fort. Qui se décide à le faire sera la cible des patrouilles féroces des idéologies, celles de droite et celles de gauche, plus les patrouilles volantes : il y a de tout et toutes sont implacables. Il se verra accusé, insulté, calomnié, honni, mis au pilori, crucifié. Néanmoins ça en vaut la peine, quel que soit le prix à payer, il sera bon marché : la liberté de penser par sa propre tête n'a pas de prix.

~oOoOo~

Bahia, 1982 - les fromages

[...] Ça s'est passé il y a quelques années, quand les éditeurs Jean-Claude Lattès et Jean Rosenthal, ainsi que leurs excellentissimes épouses, débarquèrent à Bahia pour la première fois. [...]
Dans le hall, en tête de la troupe, Jean-Claude brandissait une baguette de pain français et une bouteille de château chalon, vin jaune de ma prédilection, il prononça un bref discours. Lorsque des Français rendent visite à des amis, ils apportent du pain, du vin et du fromage, ainsi faisons-nous, Françoise, Jean, Nicole et moi, en arrivant dans votre demeure à Bahia. Voici le pain -- il remit la baguette à Zélia --, voici le vin -- il me tendit la bouteille --, quant au fromage, le voici, il sortit un reçu de la douane, le camembert, le roquefort, le brie et le chèvre avaient été confisqués -- il est interdit de faire pénétrer des fromages au Brésil.
Jean-Claude avait expliqué en vain que le plateau de fromages m'était destiné. Courtois mais incorruptible, le douanier lui rit au nez : ça, on le sait, tous les fromages que nous saisissons sont destinés à Jorge Amado, tous, sans exception.

~oOoOo~

Rio de Janeiro, 1946 - liberté religieuse

[...] Si je me flatte de quelque chose quand je pense aux deux ans que j'ai perdu au Parlement, c'est de l'amendement que j'ai présenté au Projet de Constitution (...), amendement qui, ayant été adopté, a garanti jusqu'à aujourd'hui la liberté de croyance au Brésil. [...]

~oOoOo~

Rio de Janeiro, 1971 - l'agnostique

[...A propos de sa mère...] Baptisée, sans doute, mais sans guère de religion. Hormis les promesses à Santo Antônio, celui des objets perdus et retrouvés qu'elle appelait familièrement Tonio, elle n'avait pas de croyance à revendre. Sceptique, elle ne croyait pas à la vie éternelle, elle aimait celle que l'on vit sur terre, même limitée et vaine. Je suis bien son fils.

~oOoOo~

Rio, 1947 - ressemblance

[...à propos de son fils...] Maria vient rendre visite à Zélia qui, la veille, avait donné le jour à un enfant, João Jorge.
Les infirmières vont chercher l'infant dans le berceau et l'amènent pour le bain en présence de l'heureuse mère. Elles défont les langes, plongent le petit dans l'eau tiède. L'actrice examine le corps du nouveau-né, elle s'exclame :
  - Regardez sa quiquette... Toute celle de son père.

~oOoOo~

Bahia, 1928 - L'Académie des Rebelles

L'Académie des Rebelles fut fondée à Bahia en 1928 avec, comme objectif, de balayer toute la littérature du passé et d'inaugurer une ère nouvelle.
[...] Nous n'avons pas balayé de la littérature les mouvements du passé, nous n'avons pas enterré dans l'oubli les auteurs qui étaient les cibles privilégiés de notre virulence [...], mais sans doute avons-nous concouru de façon décisive à détourner les lettres bahianaises de la rhétorique, du style oratoire, bouffi de bellétrisme, pour leur donner un contenu national et social dans une réécriture de la langue parlée par les Brésiliens. Nous sommes allés au-delà de l'imprécation et de l'insolence, nous nous sentions brésiliens et bahianais, nous vivions avec le peuple dans une étroite proximité, avec lui nous avons construit, jeunes et libres dans les rues pauvres de Bahia.

~oOoOo~

Paris,1974 - les roses

Pour un peu ma passion du football me faisait perdre l'amitié de Françoise Xenakis, si la romancière n'avait excusé avec bonne humeur mon refus abrupt du rendez-vous qu'elle me proposait pour m'interviewer :
  - A l'heure du match Brésil-Pologne ? C'est de la folie. Impossible.

~oOoOo~

N'étant pas sportif, je n'ai pas de record à exhiber, aucun. Aucun ? Ce n'est pas si vrai, j'en détiens un et il n'est pas à mépriser, je l'exhibe donc : j'ai parcouru le Brésil de bout en bout en situation de prisonnier politique, peut-être ne suis-je pas le seul mais j'ai participé à ce championnat. [...]

~oOoOo~

Moscou,1954 - le crapaud

[Au cours d'un dîner chez l'écrivain Ilya Ehrenbourg, auquel participe le chef de la Pravda...] Les murs du bureau de l'écrivain étaient couverts de dessins et de gravures de maîtres français, une collection splendide. Face à la table de travail une gravure de Picasso, Le Crapaud, une épreuve d'artiste avec une dédicace. En apercevant le tableau, ce crapaud difforme, désintégré, l'homme de la Pravda, théoricien du réalisme socialiste, frémit sur ses bases, il détourne les yeux de l'ignominie : c'est ce que les capitalistes appellent de l'art, s'exclame-t-il au bord de l'apoplexie. Camarade Ehrenbourg, comment pouvez-vous accrocher de telles turpitudes aux murs de votre appartement ? Et ce Picasso se dit communiste, c'est le comble !
Ilya interrompt la diatribe :
- Savez-vous, camarade, le titre de cette gravure, ce qu'elle représente ?
- Non, je ne sais pas... Ce que je sais...
- Elle représente l'impérialisme nord-américain.
L'idéologue s'humanise, considère à nouveau le tableau, hoche la tête, sauvé de l'infarctus, il fait son autocritique :
- L'impérialisme nord-américain? Maintenant je comprends, Picasso est membre du Parti français, n'est-ce pas ? Un vrai camarade, quel talent !

~oOoOo~

Paris,1988 - quai de la Tournelle

Dans la marche dominicale du quai des Célestins jusqu'au petit restaurant chinois, rue du Sommerard, à proximité de la Sorbonne, nous allons lentement, Zélia et moi, savourant la beauté qui nous environne : dans la douce lumière d'automne, nous nous arrêtons devant les bouquinistes le long des quais de la Seine. Sur les ponts, des couples d'amoureux s'attardent pour un baiser, une caresse. Ainsi faisions-nous, Zélia et moi, en ce temps où nous habitions le Paris de la Rive gauche, des étudiants et des exilés [1948/1949]. Pourquoi ne pas le faire à nouveau, quarante après, alors que la Seine est toujours la Seine, que les ponts sont les mêmes et que la lumière d'automne n'a pas changé sur les tours de Notre-Dame, alors que nous sommes toujours amoureux ? Dans cette ville de Paris, les vieux aussi ont droit au baiser. [...]

~oOoOo~

Je suis réellement maladroit, incapable, la liste des choses que tout le monde sait faire et dont je suis incapable est longue. Je ne donne ici que quelques exemples : je ne sais pas danser, chanter, siffler, nager, multiplier et diviser par plus de deux chiffres, employer les verbes, prononcer correctement, conduire une automobile (mais j'ai su aller à bicyclette avec un raisonnable équilibre). Je ne suis pas bon à grand chose.

~oOoOo~

[...] Le livre, à mes yeux a une date -- dans sa conception, son écriture, son contenu, dans la création artistique et humaine --, une date qui correspond à la personnalité de l'auteur lorsqu'il l'a élaboré et écrit. Elle marque l'expérience acquise jusqu'alors, la position devant le monde et la vie, la manière de voir et de penser, les idéaux, l'idéologie, les limitations, les aspirations, elle désigne un homme en un temps et dans des circonstances qui ne se répéteront plus. [...]

~oOoOo~

[...] En Chine, en feuilletant les journaux, j'ai compris ce qu'est la douleur d'être analphabète. [...]

~oOoOo~

La suite ici.