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2016/07/02

Joe Sacco : la Grande Guerre

« Nous avons perdu la fleur d'une génération... »
( le prince William, duc de Cambridge, le 30 juin 2016 )


Et cependant que la famille royale d'Angleterre versait une larme au pied du mémorial de Thiepval tout en pensant au Brexit, je feuilletais, ou plutôt je dépliais "La Grande Guerre" vue et dessinée par Joe Sacco à la manière des tapisseries d'antan, comme celle de Bayeux, par exemple.
Originale par sa forme plus que par son contenu, la grande fresque de Joe Sacco reconstitue, scène après scène, le premier jour de la plus meutrière d'entre toutes les batailles : celle de la Somme, le 1er juillet 1916, soit les 24 heures d'une journée au cours de laquelle 1 soldat britannique périt toutes les 4 secondes, et ce simplement parce que Leurs Majestés en avaient décidé ainsi.






Publié aux Editions Futuropolis/Arte (2013)

2015/09/06

ANPéRo : Ouvert la nuit (28/08/2015)


Les Nourritures terrestres

Bloqué sur le boulevard Barbès en me rendant l'autre jour à la librairie, j'aurais pu moi aussi jouer du klaxon, griller des politesses ou même glisser ma Dacia entre un bus et un taxi, au lieu de quoi je regardais tranquillement les passants comme si j'étais assis à la terrasse d'un café.

Fasciné par le spectacle de cette foule en mouvement — dont l’œil ne peut jamais saisir qu'une infime partie — j'attrapais à la volée des bribes de vie quotidienne : ici un chahut d'enfants, là une vieille femme en pleurs, un baiser d'amoureux, un gars plié en deux par son lumbago... rien que de très banal et de très ordinaire, soit précisément ce qui me touche. 

Sur le visage de ces dizaines d'inconnus à peau sombre ou dorée, se décelait tantôt de la joie, de l'espoir, du désir, tantôt de la peine, de la souffrance, des soucis, tout ce dont sont pétris les hommes d'où qu'ils viennent où qu'ils soient, avec leur cœur qui bat et l'histoire qu'ils trimballent... 

En arrivant enfin à destination, boulevard Voltaire, j'étais littéralement hanté par une phrase entendue peu avant à la radio et qui disait à peu près ceci :

"Combien faudrait-il de pages si on voulait essayer de noter ce qu'on pense, c'est-à-dire aussi ce qu'on voit et ce qu'on sent, pendant seulement trois minutes ? (*) 

Et combien faudrait-il de pages pour noter ce à côté de quoi on passe, non pas durant trois minutes mais durant toute sa vie ? D'imaginer tout ce que je n'aurai pas vu, pas senti, pas pensé au terme de la mienne, j'en avais des frissons et comme une boule d'angoisse, un sentiment de grand vide... alors j'ai serré des mains, celles de Vincent, Jacques, Laurent, Stéphane, etc — des mains habituées à feuilleter des bouquins — et la soirée démarra gentiment. 

Au menu du jour : pâté de campagne, houmos et sauciflard, puis fromage alpestre et tarte-maison, avec des vins du pays d'Oc et des Bordeaux à volonté. En somme, une table plutôt bien garnie, chacun d'entre nous ayant versé sa quote-part, hormis le pique-assiette qui s'en vint les mains dans les poches et fila s'empiffrer au buffet. 

Au programme : des sujets hautement sensibles, tels le cas Céline ou les conférences d'Onfray. Terrains minés ! Surtout Onfray. Là, tu sais qu'au moindre faux pas, ou au plus petit écart, boum ! ça va te péter à la gueule comme un retour de flamme. Alors tu n'avances tes pions qu'à coup sûr et en veillant à ne rien froisser ni personne, ménageant la chèvre et le chou à la manière d'un politicien en campagne et t'en trouvant d'autant plus con. 

What else ? Eh bien, les frères Bogdanov, Stephen Hawking et Didier Daeninckx, aussi la grille de rentrée de France Culture et l'encéphalopathie spongiforme... la levure de bière, le minerai de viande et les bouillons KUB... l'empereur Maurice, Ron Hubbard, le Javascript... et mille autres sujets, y compris l'avenir de la librairie dont le sort demeure encore incertain... 
Et pis un nespresso pour finir. 

  
(*) Grands écrivains, grandes conférences : très belle lecture d'un passage de Une main, de C.F. Ramuz, par le comédien Roger Rudel en 1958 (de 12'30 à 28'30). 

2015/07/19

ANPéRo : Le Temps des libraires (17/07/2015)

Par un usage établi depuis bientôt trois ans, les ANPéRos de la librairie l'Entropie débouchaient jusqu'alors sur deux choses : une gueule de bois plutôt carabinée et un compte-rendu plus ou moins fidèle, mais toujours enthousiaste et joyeux. Nous avons ainsi dressé, au fil des ans, quelques portraits de convives, ou de clients de passage, et même (traîtreusement) rapporté quelques-unes de leurs paroles, enregistrements sonores à l'appui, sans doute histoire de mieux rendre l'ambiance, le climat, l'atmosphère, toutes choses autrement plus conformes à la réalité qu'un récit détaillé. On retrouvera donc cette fois-ci encore la bande-son de la soirée d'avant-hier, mais pour le compte-rendu... eh bien, le cœur n'y est plus vraiment.



Certes, comme d'habitude, les rires ont fusé et les saillies aussi, mais... mais un petit rien dans l'air, comme une pression d'atmosphère, a pesé lourdement sur chacun d'entre nous : ça sentait l'éclair et la foudre comme quand l'orage approche à grands pas. Ou la faillite. Car, sauf retournement de situation improbable, la librairie fermera définitivement ses portes d'ici tout au plus quelques semaines, la faute aux factures et aux loyers impayés, donc à l'implacable logique des chiffres et des bilans financiers, des choses qui comptent mais qui font chier, sûrement parce que nous aimerions que tout dure éternellement : le temps de l'amour, le temps des copains et de l'aventure... aussi le temps qui va et celui qui sommeille... sans oublier l'essentiel : le temps des libraires.



2014/03/15

Spacca : Santos-Dumont et les pères de l'aviation (BD)

Sous-titrée Histoire de Santos-Dumont et des hommes qui désiraient voler, cette BD de 164 pages en noir et blanc retrace les principaux épisodes d'une aventure humaine qui demeura longtemps un rêve avant de devenir réalité : se faire plus léger que l'air, volare nel blu dipinto di blu. Et donc, d'Icare à Louis Blériot en passant par Lilienthal, Farman et Curtiss, ce sont toutes les figures de l'aviation, des plus illustres au moins connues, qui sont ici croquées à bord de leurs fragiles coucous, mais la part du lion revient tout naturellement à Santos-Dumont, un compatriote de l'auteur, lequel mûrissait ce projet depuis bientôt quinze ans, le temps sans doute de maîtriser son sujet.

A la question « Qui a inventé l'avion ? », un américain vous répondra sûrement : « It's the Wright brothers ! », cependant qu'un français vous dira sans doute : « C'est Clément Ader », et qu'un brésilien vous affirmera, la main sur le cœur : « Este é o señor Santos-Dumont ». João Spacca de Oliveira, lui, s'attache à montrer dans cette bande dessinée à quel point les grandes inventions sont presque toujours le fruit d'une aventure collective, chacun n'apportant finalement que sa pierre à l'édifice commun. Non seulement il n'élève pas Santos-Dumont au rang d'héros national, mais il reconnaît volontiers que celui que les français surnommèrent "le petit Santos", en raison de sa taille, est probablement le moins héroïque des pionniers de l'aviation, au vu du temps libre et de l'argent dont il disposait. Le plus riche d'entre-tous, certes, mais pas le moins passionné ni le moins inventif ou le moins glorieux. Ainsi, outre ses nombreux titres et records aéronautiques — en ballon, mono ou biplan —, l'histoire retient également qu'il lança à Paris la mode du Panama mou et qu'il suggéra même au joaillier Louis Cartier de créer la montre-bracelet, autrement plus pratique en vol que la montre-gousset.

Et puisque Santos-Dumont a longtemps séjourné en France, cette BD est aussi l'occasion de survoler le Paris de la Belle Epoque, de naviguer peinard à travers ses rues, ses salons, et d'y croiser certaines des personnalités les plus en vogue de l'époque : Jean Lorain, Sem, le président Loubet, le préfet Lépine, Albert de Dion, etc.





Spacca : Santô e os pais da aviação ©
Editions : Quadrinhos Na Cia © (2005)

Et puis ces quelques photos sportives pour finir en beauté. Elles sont toutes extraites des archives de la BNF, laquelle propose les 36 tomes de la "Collection Jules Beau", consultables en ligne et gratuitement ici :


2014/02/09

Hugo Pratt : Corto Maltese au Brésil (BD)




Là j'ai vraiment regretté ma thune et mon temps ! Déjà que les histoires de ces trois BD ne sont pas des plus passionnantes, mais au format 21x14 (A5) c'est carrément l'horreur : dessins flous, presque approximatifs, textes compressés, couleurs ternes et sans relief... Une grosse déception ! D'autant que le personnage de Corto Maltese, aventurier cynique et désinvolte, ne m'est pas, lui non plus, franchement sympathique... Bref, voili-voilou trois bandes dessinées qu'on ne vous conseille pas. Du tout, du tout.

2014/01/12

Spacca : Jean-Baptiste Debret (BD historique)

En 2006, soit presque deux siècles après que Jean-Baptiste Debret ait foulé pour la première fois le sol brésilien, João SPACCA de Oliveira retraçait les aventures de l'artiste dans une bande dessinée d'environ quarante pages où se combinent à la fois l'histoire et l'humour. Une histoire peut-être insuffisamment détaillée, mais à laquelle ne manquent aucun des faits les plus marquants d'une époque croquées à grands coups de crayon incisif. Sont particulièrement bien restitués l'esprit de cour, la morgue des élites, les rivalités d'artistes et l'atmosphère ouvrieuse des rues de Rio, autrefois parcourues par l'un de nos compatriotes, entre deux cours donnés à la toute neuve Académie des Beaux-Arts. Et c'est d'ailleurs sur une évocation d'un élève de J.-B. Debret promis à un brillant avenir, Manuel de Araújo Porto-Alegre, que s'achève ce Voyage en terre-dessinée.

Avec aussi une préface de l'historienne Elaine Dias, des repères chronologiques, une petite galerie d’œuvres d'art, une bibliographie et, pour finir, une richissime idée : le making-of de la BD.

Un montage :



Une pleine planche :
 A 6h1/2 de l'après-midi du 26 mars 1816, les voyageurs foulent les quais de la Place du Palais.
Peu après, le canon annonce la fermeture du port et, ding-dong ! les cloches sonnent l'heure de l'Ave-Maria.
Jusqu'à 10h00 du soir, on entend les appels des vendeurs de boissons et de sucreries :
" Brioche ! Eau fraîche ! Maïs frit, monsieur ? " 


Et un extrait du making-of :



Debret em Viagem Histórica e Quadrinhesca ao Brasil, by Spacca ©

2013/12/25

Parce que c'est aujourd'hui Noël : Le Verbe qui se Voit (Spacca)

Parce que c'est aujourd'hui Noël, la librairie l'Entropie vous offre, avec l'aimable autorisation de João SPACCA de Oliveira ©, ces quatre planches de BD librement adaptées du "Sermon de la Naissance de l'Enfant-Dieu", par le Padre Antônio Vieira (1608-1697).
On trouvera sur le blog de l'auteur la BD dans sa version originale, ainsi que d'éclairants commentaires, mais on ne trouvera qu'ici la traduction française effectuée par bibi, qui en a d'ailleurs bavé des ronds de flan tellement sont impénétrables et alambiquées les paroles du Seigneur... Joyeux Noël à tous ! Feliz Natal a todos !!





2013/11/23

Les Carnets de Voyage de Jano : Rio de Janeiro (BD)



Voilà un excellent guide touristique à glisser dans les sacs Adi-Nike des 24 joueurs de football en partance pour le Brésil et son ancienne capitale : Rio de Janeiro. Ils y découvriront sans prise de tête inutile la baie de Guanabara, la plage d'Ipanema et l'estádio do Maracanã, où se déroulera la finale du Mondial d'ici quelques mois. Ils y découvriront aussi le Christ Rédempteur du pic de Corcovado, les favelas du Bento Ribeiro, de Dona Marta, Rocinha, Mangueira, etc., sans oublier le vieux quartier historique de Santa-Teresa et son Bonde Elétrico, un petit tramway jaune qu'empruntent les cariocas pour rejoindre le centre-ville de Rio, en passant par l'ancien aqueduc colonial de Lapa... Nous leur souhaitons bonne lecture.

Si certains de ma génération ont grandi avec les Marvel-Comics piqués à leurs grands frères, moi  je m'éclatais plutôt avec les aventures de Lucien, le rocker à banane de Margerin, ou avec celles de Kebra, le petit loubard de banlieue inventé par Tamber et Jano... Nostalgie :



2013/10/13

oRéPNA (3102 erbotco 11)

L'ANP[é]Ro on en est revenu les mains pleines, les oreilles farcies et la tête à l'envers, à ne plus savoir sa gauche de sa droite. Y avait Tom à la guitare, Phil à la kéna et Guillaume au crachoir, un sacré bavard ! Y avait les habitués et les intermittents, des tronches connues et d'autres qu'on découvre, ceux qui disent qui viennent et qui le font, et ceux qui vous posent un lapin ! Y avait de quoi boire et de quoi manger, du salé, du sucré, du blanc et du rosé, au moins cinq ou six litres, de quoi nous réchauffer, parce qu'il faisait bigrement froid, j'en grelotte encore. Et puis y avait aussi Jacouille-la-Fripouille, un bonhomme attachant avec lequel j'ai fouillé les rayons de l'Entropie à la recherche de bandes-dessinées (Warnauts & Raives, Sylvain Vallée, Gibrat, etc), quatre BD que nous avons déniché ensemble, là, au 198 du boulevard Voltaire, et qui s'apprêtent à présent à prendre l'avion à destination de São-Paulo... Nous leur souhaitons un bon voyage et nous remercions ici Vincent avec lequel je me suis fini aux Bounty... sur un p'tit goût de Paradis.

2013/09/28

Spacca : Jubiabá (BD)

Arrivée en banlieue parisienne trois semaines jour pour jour après avoir été glissée dans une boîte postale de la banlieue de São-Paulo, cette BD a parcouru 9500km, franchi deux océans et traversé sept méridiens à la vitesse éclair de 19 kilomètres à l'heure, sans doute un record dans le genre, mais ce n'est pas la raison pour laquelle on en va parler.
Introuvable en France, et pas même disponible sur le Web, Jubiabá m'a donc été envoyée par l'auteur, João Spacca de Oliveira, lequel a répondu à ma demande à la façon des brésiliens : avec amabilité, obligeance et simplicité. Merci à lui, ou muito obrigado, comme on dit là-bas.
Ceci étant, il ne faudrait pas croire qu'un excès de complaisance pour l'auteur, voire même de sympathie pour l'homme, m'incite à louer ici son adaptation du livre éponyme de Jorge Amado. Chacun pourra en effet juger un peu plus bas de la qualité graphique de ses dessins ou de l'harmonie de ses couleurs : un régal pour les yeux. Concernant le scénario, nécessairement condensé, il est aussi fidèle que possible à l'original : on y retrouve non seulement chaque épisode de la vie mouvementée d'Antonio Balduino, mais aussi la plupart des personnages du roman et les multiples endroits qu'ils fréquentent. Enfin, et c'est peut-être là le plus important : la sensibilité avec laquelle Spacca a su retranscrire l'univers d'Amado, ce mélange de violence et d'amour dans le Brésil des années vingt et trente, aussi ce constant souci du bien et du mal, et cet espoir de voir poindre un jour des lendemains qui chantent. Au fond, tout bien pesé et tout bien réfléchi, peu importe le talent des uns ou le génie des autres... mais que l'humanité d'un homme fasse écho à celle d'un autre homme à travers le temps et l'espace, voilà, oui voilà ce qui est vraiment beau.

Précisons encore que João Spacca de Oliveira a consacré à cet ouvrage un an et  demi de sa vie, dont six mois de recherches et de préparation, plus douze autres mois pour dessiner et colorier chacune des 81 planches ; qu'il s'est inspiré, entre autres choses, des magnifiques photos du français Pierre Verger et des chansons de Dorival Caymmi, célèbre auteur-compositeur de saudades, l'équivalent des fados portugais ; aussi que nous espérons vivre assez vieux pour voir fleurir un jour Jubiabá dans les bacs des librairies françaises ; et enfin qu'il a été extrêmement difficile de choisir quelles planches ou vignettes offrir en partage, tant elles sont presque toutes réussies, hormis quelques-unes peut-être un peu bâclées... Um abraço.
~o~O~o~O~o~

Le petit Antonio Balduino, ici avec Zé-la-Crevette, son professeur de guitare et de capoeira : 

© Spacca - 2009

Celui qu'on appelle Jubiabá, guérisseur et maître de cérémonies Candomblé :

"Son oeil de piété est parti. Seul est resté celui de la méchanceté."
      
Après l'internement de sa tante, Baldo est conduit par mame Augusta dans la maison du conseiller Pereira :

© Spacca

Il y rencontre Lindinalva, la fille du conseiller, l'amour de sa vie, la fièvre de ses nuits... un rêve inaccessible : 

"Après avoir reçu une terrible raclée, ce n'était pas le corps d'Antonio Balduino
qui souffrait. C'était surtout le cœur qui lui faisait mal, parce qu'ils n'avaient
pas confiance en lui. Et il engloba ces Blancs, qu'il appréciait jusqu'alors, dans
la haine qu'il portait à tous les autres."









Mal-aimé dans son nouveau foyer, Baldo fugue avant qu'on ne le chasse. Il découvre alors la liberté de la rue et les moyens d'y survivre avec la fine fleur des pavés : Zé-la-Cosse, Le-Gros, Viriato-le-Nain, Philippe-le-Beau et Rozendo :
© Spacca


Un peu plus tard, la vie du champion connaît des hauts et des bas :

© Spacca


Avec de la violence policière en veux-tu en voilà :

© Spacca


Aussi des rires et des larmes :

© Spacca


Une fuite éperdue à travers la forêt :

© Spacca

Et finalement la prise de conscience, juste avant l'engagement politique :

Traduction :

-Les ouvriers sont une immense majorité dans le monde et les riches une petite minorité. Alors pourquoi les riches sucent la sueur des pauvres? Pourquoi cette majorité travaille stupidement pour le confort d'une minorité? Tous les ouvriers, les intellectuels pauvres, les paysans et les soldats doivent s'unir contre le Capital...
-Que signifie être contre le Capital ?
-"Capital" et "Riches" ça veut dire la même chose...
-Ah, alors je suis contre aussi...

Jubiabá (Bahia de tous les saints), 96 pages parues aux Ed. Quadrinhos na Cia, en 2009. 
Illustrations et adaptation de Spacca ©, d'après l'oeuvre de Jorge Amado.

Les maisons Casterman, Dargaud, Dupuis, Delcourt ou Glénat sont priées de contacter urgemment les Editions Schwarcz LTDA, à São Paulo, afin de récupérer les droits de cette bande dessinée pour la mettre à disposition du public français, lequel leur vouera alors une reconnaissance éternelle : 

© Spacca

2013/08/31

Jorge Amado : L'Enfant du Cacao


... : la jument tombant morte, mon père, baigné de sang, me soulevant du sol. 
J'avais alors dix mois. Je me traînais à quatre pattes dans la véranda de la maison à la fin du crépuscule, quand les premières ombres de la nuit descendaient sur les cacaoyères fraîchement plantées, sur la forêt vierge, antique et farouche. Défricheur de terres, mon père avait bâti sa maison au-delà de Ferradas, bourgade du jeune municipe d'Itabuna, avait planté du cacao, la richesse du monde. A l'époque des grandes luttes.

Il faut s'imaginer assis sur l'un des bancs du jardin municipal de Bahia, à l'ombre d'un manguier en fleurs, en compagnie d'un vieil homme encore vert, alerte et volubile comme un perroquet gris d'Afrique.
Dans les allées du parc passent des jeunes gens branchés, des bandes d'adolescents bruyants, tous l'iPod à la main, l'iPhone à l'oreille et l'avenir devant eux, grand ouvert.
Le vieil homme les regarde passer en souriant, sans amertume, les yeux mi-clos, sans doute un peu perdu dans ses souvenirs d'enfance. Lui aussi a eu 12 ans, il y a déjà longtemps, même si ça lui semble hier.
— De tanto ouvir minha mãe contar, a cena se tornou viva e real...
Il se met à vous parler de ses premières années comme s'il vous connaissait depuis toujours.
— En ce temps-là...
Le souffle de son haleine sur votre visage et le bercement de sa voix : une chaleur d'âme.
Dans l'air flottent un vieux parfum, une musique d'un autre âge, des images de Far-West : creuset dans lequel l'enfant grapiùna a forgé son identité, et où l'écrivain viendra plus tard puiser l'essentiel de son inspiration. D'abord les luttes pour le cacao, féroces batailles auxquelles participèrent activement ses parents, ensuite les tripots et les maisons de passe (où il fit ses universités), aussi la variole noire, la misère et la mort (compagnes de toute son enfance), et puis la mer d'Ilhéus (le chemin sans fin), autant de thèmes récurrents dont Jorge Amado a nourri tous ses livres, y compris celui-ci bien évidemment.

Dans cette courte autobiographie, qui ne va pas au-delà de sa quatorzième année, c'est finalement toute la généalogie de son oeuvre qu'Amado esquisse peu à peu. Il le fait sur le ton de la conversation, en évitant l'écueil narcissique et en nous révélant au passage le secret de sa vitalité : garder présente en soi la source vive de l'enfance, mélange d'émerveillement et d'insoumission, de malice et d'innocence, de rêves et de réalité.
C'est donc tout un monde qui nous est ici raconté par un vieil homme aux yeux de presque-nouveau-né... et sans doute faut-il l'être un peu soi-même, vieillard et nouveau-né, pour être aussi touché, ému ou amusé, par ce recueil de souvenirs confiés à l'ombre des manguiers en fleurs.

Qu'ai-je été d'autre qu'un romancier de putes et de vagabonds ? Si quelque beauté existe dans ce que j'ai écrit, elle vient de ces dépossédés, de ces femmes marquées au fer rouge, de ceux qui sont aux franges de la mort, au dernier degré de l'abandon. Dans la littérature et dans la vie, je me sens chaque jour plus loin des leaders et des héros, plus près de ceux que tous les régimes et toutes les sociétés méprisent, rejettent et condamnent.

Que outra coisa tento sido senão um romancista de putas e vagabumdos ?

2013/08/25

ANPéRo : Les Vivants et les Dieux (23/08/2013)

18h00, boulevard Voltaire, dans le temple de Delphes, au pied du Mont-Louis, parlèrent l'oracle et la Pythie, aussi les fils de Gaïa, les trois muses et quelques barbares :
   - En oïda oti ouden oïda...
   - Pardon ?
  - La p'tite dame cherche un helléniste, vous causeriez pas le Grec ancien des fois ?
  - Ni grec ni latin, à peine le français, c'est pour dire.
  - Ah ! Et pour dire quoi ?
  - Façon de parler ! Par exemple, moi je dis toujours indépassable, mais j'suis pas sûr que ça soye correct, ni même qu'ça existe.
  - Faut voir... c cédille ?
  - Plutôt deux s !
  Le doux bruissement d'un livre qu'on feuillette, et puis :
  - Indéniablement... Indentation... Indépassable : adjectif — 1886 ; de in et dépasser ♦ Qu'on ne peut dépasser.
  - Yé bien fé dé passer !
  - Ha ha ha ! très drôle, ouais, vraiment très drôle. N'empêche que...
Librairie Entropie
(Photo de Stéphane)
  - N'empêche que quoi ?
  - Ma locution : En oïda oti ouden oïda ?
  - 'ffectivement...
 - Le seul qui pourrait vous dépanner c'est Bidulopoulos.
  - Il est polyglotte ?
  - Mieux que ça : une vraie lumière !
  - Le phare d'Alexandrie ! 
  - Un dieu vivant !
Entre alors un cinquième personnage, une bouteille pleine dans chaque main, une autre déjà vide derrière le gosier :
  - Un Dieu vivant ? On parle de moi ?
 - Hourrah ! Hourrah ! Joie et prosternation ! Y a Madame ici-présente qui cherche un spécialiste des langues exotiques, un expert ès rastaquouère, on a pensé à toi.
  Flexion de genou, inclinaison du buste et baise-main pour finir, le polyglotte est galant homme :
  - Bidulopoulos, pour vous servir, ma belle ! Kya haal hey orat ? Comment allez-vous ? C'est de l'Ourdou, un idiome assez rare, et très difficile, mais que nous maîtrisons à la perfection. Nous parlons aussi couramment l'Araméen — le talmudique ou le syro-chaldaïque —, le Sanskrit et le Yiddish, bien évidemment, ainsi que l'Azéri, le Kazakh, l'Ouzbek, et toutes les variantes de la famille altaïque, encore le Kalmouk et le Mandchou, l'Occitan et le Morvandiau, le langage des signes, plus quelques notions d'espéranto et de javanais, ces dernières fort peu utiles, il faut bien le reconnaître.
  - Suis z'épatée !
  - Toutefois, si madame souhaite une traduction dans une langue plus commune, il va sans dire que nous lisons également dans leur version originale les oeuvres de Goethe, Shakespeare ou Dante Alighieri : Apri a la verità che viene il petto ; e sappi che, sì tosto come al feto l'articular del cerebro è perfetto etc etc...
  - Ça alors !! Et le Grec ancien ? Il le parle aussi, j'imagine ?
  - Euhhh... Le Grec ancien, dites-vous ? Eh bien...
  - Eh bien quoi ?
  - Eh bien... ma foi... non... pas du tout...
  - Ah, décidément ! J'ai vraiment pas de pot !
  Consternation générale :
  - Pfff...
  - Quelle poisse !
  - C’est la guigne, oui, la pouille, la misère, la débine !
  - Abditi in tabernaculis suum fatum querebantur, ce que disait César dans la Guerre des Gaules, livre premier, chapitre 39.
  - Eh ! Oh ! Dis ! Ça va bien comme ça, hein !
  - Un p'tit remontant, m'dame ?
  - C'est pas de refus, oui !
  Le long glouglou des verres qu'on remplit, puis le drelin-drelin de la porte d'entrée qui s'ouvre :
  - Ben j'arrive à temps, dites donc ! Vous m'en mettez un, patron ?
  - Muscadet ? Sauvignon ?
  - Va pour un Sauvignon... Z'avez de ces tronches d'enterrement ! Y a quelqu'un qu'est mort ?
  - Tout comme ! C'est la Môme que v'là, un problème de traduc' : En oïda oti...
  - En oïda oti ouden oïda, autrement dit : je ne sais qu'une chose, c'est que je ne sais rien. Merci qui ?
  Acclamations collectives, vivats, bravos et autres cris d'allégresse entourent l'érudit, qui enchaîne humblement :
  - Réflexion socratique... base de la philosophie... vague souvenir de lycée... un professeur barbu... la voix grave... le dos un peu vouté... devant son tableau noir... Gnôthi seautón : Connais-toi toi-même... l'injonction de la Pythie, gravée ici aussi, sur le fronton du temple.

Fin de séquence.

2013/08/22

Revue Europe n°724/725 (août/sept 1989 - Amado)

« Qui en veut... de mes crêpes aux oeufs ? »

Exu
(dessin de Carybe)
Au numéro 33 de la rue Alagoinhas — quartier Rio Vermelho, Salvador da Bahia —, deux hommes sont assis face à face : Jorge Amado, qu'il n'est pas utile de présenter, et l'un de ses plus vieux camarades : le brillant académicien Eduardo Portella, également professeur émérite, avocat à la cour, critique littéraire et ministre de l'Education nationale à ses moments perdus : une sommité, du genre de celles à qui l'on ne dit pas bonjour en leur tapotant le dos, Salut mon pote, mais plutôt en inclinant la tête avec tout le respect dû à leur rang, si l'on est bien éduqué.
Figure majeure de l'intelligentsia brésilienne, le senhor Eduardo Portella a, de surcroît, la soixantaine élégante, le physique encore jeune et séduisant, une forme de sex-appeal propre à charmer des étudiantes en mal d'image paternelle, d'où, peut-être, cette expression d'intense félicité gravée sur son visage d'homme comblé. Ajoutons qu'il est aujourd'hui vêtu d'un costume Cerruti 100% cachemire, de couleur sombre et sur mesure, lequel sied on ne peut mieux à son attitude d'intello compassé, cependant qu'Amado, comme à son habitude, est en tenue légère, bariolée, presque négligée, nus pieds dans ses savates usées. Sur la table de salon trônent deux grands verres de tafia — celui d'Amado, presque vide, et celui d'Eduardo, presque plein —, ainsi qu'un assortiment de salgadinhos amoureusement préparés par Zélia, mais auxquels Eduardo ne fait pas même honneur, laissant à son hôte le soin de vider l'assiettée.
Comment deux hommes aussi dissemblables de caractère et d'allure ont-ils réussi à tisser entre eux des liens d'amitié si solides ? voilà précisément la question qu'ici on ne se pose plus, et donc qu'on ne se posera pas non plus. De quoi parlent-ils ? De littérature. Et quoi qu'y disent ? Amado pas grand chose, quasi-rien, c'est surtout le p'tit père Eduardo qu'on entend causer, sans pause ni répit, égrenant son rosaire de sa voix douce et condescendante, qui n'est pas sans rappeler celle d'un prélat en chaire. Ainsi, après avoir longuement expliqué à son vieil ami en quoi le parcours intellectuel et la création littéraire de celui-ci étaient intimement et réciproquement liés à l'évolution politique du Brésil — le discours littéraire est le parti sans péché ni commandement. Les infiltrations affectives, la sexualité, élargissent l'horizon de la représentation ; elles compensent ou bouleversent le ritualisme du marxisme mécanique... —, le professeur enchaîne, le dos calé bien droit dans son fauteuil, les jambes croisées :
- Il est curieux de constater combien les propositions esthétiques à base technocratique ou autoritaire restent inflexiblement fixées sur une position dans la meilleure des hypothèses néo-inquisitoriale. Elles canonisent ou anathémisent au nom de la vérité stable et incontournable, née de la source inépuisable de leurs éternelles propositions philosophiques. Tout ce qui ressemble à des intervalles, des pauses, des arrêts dans la journée de travail du système métaphysique, est destiné à être incompris ou nié. On argumente au nom d'une connaissance, d'une autorité autodésignée... Tu m'écoutes ?
- Oui, oui, j'écoute.. Tu disais : d'une autorité autodésignée, marmonne Amado, la bouche encore pleine des petits gâteaux salés de Zézinha, excellentissimes, l'épouse et les amuse-bouches.
- Et donc, l'effort de nationalisation des modèles narratifs alors en vigueur cherche à s'accompagner du travail simultané de réduction critique, à l'intérieur de laquelle on peut aussi lire la volonté modernisatrice...
Sur un regard interrogateur du professeur Portella, Amado lui montre qu'il est toujours aussi attentif, malgré les apparences :
- La volonté modernisatrice !
- Je n'ai nullement la prétention de simplifier...
- Humpf ! Que Dieu t'en garde ! glisse Amado, l'œil pétillant, le sourire en coin.  
- ... de simplifier la modernité, mais plutôt d'étudier son paradoxe. L'une des positions les plus nettes du modernisme consiste à refuser la modernisation, en frôlant le conservatisme. Il y a des résistances au projet modernisateur dans ce qu'il garde seulement de compétent ou de purement bureaucratique, qui se trouvent chargées d'esprit critique. Par-là transite une modernité en conflit qui, au nom de la sécularisation a perdu son esprit chrétien et, incroyante et sans protection, cherche en vain à récupérer son Dieu perdu...
Venant de la mer : un petit vent frais, une odeur d'iode, des rires d'enfants.
- ... avant-gardes plus ou moins idéologiques qui ne font pas autre chose qu'émettre des opinions basées sur la législation aristocratique du code hégémonique...
Un... deux... trois : les cloches de l'église Sant'Ana viennent de sonner 15h00. Dans moins de vingt minutes la Seleção affrontera l'Argentine en match amical au stade de Maracanã. Sur quelle chaîne déjà ?
- ... ce sont des réfutations productivistes qui produisent laborieusement, inflexiblement, les intérêts superlatifs de la raison instrumentale...
Pff... Où est passée Zélia ? Cheveux baignés de lune, laurier et récompense, gorgée d'eau-de-vie, porte d'Orient, champ de coquelicot... ZEZINHA !
- Et s'il est vrai qu'il n'y a pas de raison sans espoir, il est vrai aussi que l'espoir échappe au contrôle de la raison. N'est-ce pas là ton avis, Jorge ?
- Certamente !
La réponse fuse, lapidaire et presque brutale. Loin de s'en formaliser, Eduardo sourit, se lève tranquillement de son fauteuil, puis se dirige vers la télé qu'il allume — Et le soleil de la liberté, en rayons fulgurants, brilla dans le ciel de la patrie en cet instant —, de la télé qu'il allume au moment même où retentit l'hymne national.
- Tu crois qu'on va gagner, Jorge ?

(Toutes mes excuses aux personnes qui se reconnaîtront dans cette divagation écrite à partir d'un article qu'il m'a fallu relire plusieurs fois avant de le comprendre et de m'apercevoir qu'Eduardo Portella utilisait des phrases compliquées pour dire des choses plutôt simples, cependant qu'Amado écrivait simplement pour exprimer des sentiments complexes, soit tout le contraire l'un de l'autre — on vous l'avait bien dit —, mais bons amis quand même.)