18h00, boulevard Voltaire, dans le temple de Delphes, au
pied du Mont-Louis, parlèrent l'oracle et la Pythie, aussi les fils de Gaïa,
les trois muses et quelques barbares :
- En oïda oti ouden oïda...
- Pardon ?
- La p'tite dame
cherche un helléniste, vous causeriez pas le Grec ancien des fois ?
- Ni grec ni
latin, à peine le français, c'est pour dire.
- Ah ! Et pour
dire quoi ?
- Façon de parler
! Par exemple, moi je dis toujours indépassable, mais j'suis pas
sûr que ça soye correct, ni même qu'ça existe.
- Faut voir... c
cédille ?
- Plutôt deux s !
Le doux
bruissement d'un livre qu'on feuillette, et puis :
- Indéniablement...
Indentation... Indépassable : adjectif — 1886 ; de in
et dépasser ♦ Qu'on ne peut dépasser.
- Yé bien fé dé
passer !
- Ha ha ha ! très
drôle, ouais, vraiment très drôle. N'empêche que...
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Librairie Entropie (Photo de Stéphane) |
- N'empêche que
quoi ?
- Ma locution : En
oïda oti ouden oïda ?
- Le seul qui
pourrait vous dépanner c'est Bidulopoulos.
- Il est
polyglotte ?
- Mieux que ça :
une vraie lumière !
- Le phare
d'Alexandrie !
- Un dieu vivant
!
Entre alors un
cinquième personnage, une bouteille pleine dans chaque main, une autre déjà
vide derrière le gosier :
- Un Dieu vivant
? On parle de moi ?
- Hourrah !
Hourrah ! Joie et prosternation ! Y a Madame ici-présente qui cherche un
spécialiste des langues exotiques, un expert ès rastaquouère, on a pensé à toi.
Flexion de genou,
inclinaison du buste et baise-main pour finir, le polyglotte est galant homme :
- Bidulopoulos,
pour vous servir, ma belle ! Kya
haal hey orat ? Comment
allez-vous ? C'est de l'Ourdou, un idiome assez rare, et très difficile, mais
que nous maîtrisons à la perfection. Nous parlons aussi couramment l'Araméen —
le talmudique ou le syro-chaldaïque —, le Sanskrit et le Yiddish, bien
évidemment, ainsi que l'Azéri, le Kazakh, l'Ouzbek, et toutes les variantes de
la famille altaïque, encore le Kalmouk et le Mandchou, l'Occitan et le
Morvandiau, le langage des signes, plus quelques notions d'espéranto et de
javanais, ces dernières fort peu utiles, il faut bien le reconnaître.
- Suis z'épatée !
- Toutefois, si
madame souhaite une traduction dans une langue plus commune, il va sans dire
que nous lisons également dans leur version originale les oeuvres de Goethe,
Shakespeare ou Dante Alighieri : Apri a la verità che viene il petto ; e sappi che, sì
tosto come al feto l'articular del cerebro è perfetto etc etc...
- Ça alors !! Et
le Grec ancien ? Il le parle aussi, j'imagine ?
- Euhhh... Le
Grec ancien, dites-vous ? Eh bien...
- Eh bien quoi ?
- Eh bien... ma
foi... non... pas du tout...
- Ah, décidément
! J'ai vraiment pas de pot !
Consternation
générale :
- Pfff...
- Quelle poisse !
- C’est la guigne,
oui, la pouille, la misère, la débine !
- Abditi in
tabernaculis suum fatum querebantur, ce que disait César dans la Guerre des
Gaules, livre premier, chapitre 39.
- Eh ! Oh ! Dis !
Ça va bien comme ça, hein !
- Un p'tit
remontant, m'dame ?
- C'est pas de
refus, oui !
Le long glouglou
des verres qu'on remplit, puis le drelin-drelin de la porte d'entrée qui
s'ouvre :
- Ben j'arrive à
temps, dites donc ! Vous m'en mettez un, patron ?
- Muscadet ?
Sauvignon ?
- Va pour un
Sauvignon... Z'avez de ces tronches d'enterrement ! Y a quelqu'un qu'est mort ?
- Tout comme ! C'est
la Môme que v'là, un problème de traduc' : En oïda oti...
- En oïda oti
ouden oïda, autrement dit : je ne sais qu'une chose, c'est que je ne
sais rien. Merci qui ?
Acclamations
collectives, vivats, bravos et autres cris d'allégresse entourent l'érudit, qui
enchaîne humblement :
- Réflexion
socratique... base de la philosophie... vague souvenir de lycée... un professeur
barbu... la voix grave... le dos un peu vouté... devant
son tableau noir... Gnôthi seautón : Connais-toi toi-même... l'injonction
de la Pythie, gravée ici aussi, sur le fronton du temple.
Fin de séquence.