2013/03/31

29.03.13-18H30:00-48°51'13''N-2°23'11''E


Les dents serrées, les poings fermés, bravant le froid glacial et les dangers de la brousse, quatre hommes aguerris marchaient d'un pas décidé sur le boulevard Voltaire. De toute évidence, ces mercenaires n'avaient  peur de rien ni ne s'effrayaient de personne. Habitués qu'ils étaient à naviguer au milieu d'une faune par nature hostile, et revêtus pour l'occasion de leur tenue de camouflage, ils contournaient les obstacles avec tant de grâce et de félinité qu'à les voir évoluer ainsi nul ne pouvait douter du parfait déroulement de leur mission. L'ANPéRo (nom de code retenu pour cette opération) n'était toutefois pas sans risques ni périls, ce dont les quatre hommes avaient d'ailleurs pleinement conscience. Ils savaient tous à quel point leurs qualités d'endurance allaient être mises à l'épreuve, mais s'y étaient préparés avec application, emplissant notamment leur barda de rations K et de munitions à profusion : grenades Kinder et mines Haribo... on n'en dira pas plus.

Un pas devant les trois autres, les dépassant tous d'une tête, tant par la taille que par l'intelligence, se tenait Le-Chef, un grand gaillard à l'autorité aussi naturelle qu'incontestée, un homme d'ordre et d'organisation, sensible et méticuleux, aimant les coucous suisses, les confitures d'abricots et les poèmes ajustés comme un lit au carré. Bien que son esprit, en charge d'âmes, fut souvent hanté par un obsédant décasyllabe, Alpha-November-Papa-Romeo, Alpha-November-Papa-Romeo... jamais il n'avait failli à sa tâche ni n'avait déçu ses troupes ; c'était un chef et un vrai !
A l'heure H, ce dernier imposa le silence dans les rangs d'un signe impérieux du bras. Aux ordres, le commando se tut et s'arrêta aussi sec. Par simple acquis de conscience, Le-Chef vérifia une dernière fois les coordonnées GPS de l'ANPéRo, puis, désignant l'enseigne d'une auberge déguisée en librairie, il dit :
  - Hardi, les p'tits ! 198 boulevard Voltaire, l'Entropie c'est ici !
Silencieux et apparemment désert, l'endroit n'était pas des plus rassurants, sauf pour ces vieux baroudeurs qui en avaient vu d'autres tout au long de leur carrière déjà bien remplie. Les recoins sombres, les angles morts, les ombres furtives, tout ici leur rappelait les opérations de Kolwezi, Diên Biên Phu, Djibouti... Soudain, un 5ème homme, tapi jusqu'alors derrière une pile de livres d'art, surgit de sa cachette tel un diablotin, avec à la main une BD 24x32 prête à cracher des flammes. Reconnaissant juste à temps ses compagnons d'arme, il abaissa la sienne et leur dit simplement :
  - Entrez, les aminches ! Entrez, chez moi, c'est chez vous !
Puis, après avoir échangé des poignées de main viriles, ils s'assirent tous les cinq autour d'un feu de camp et commencèrent à deviser tranquillement, évoquant tout d'abord la mémoire des absents, puis parlant d'encodage et de science-fiction, aussi des rats de l'INA, de l'infâme Céline, d'actrices de cinéma et enfin du point G, avec pour certains comme un parfum de nostalgie.
  - Tu l'as trouvé, toi, le point G ?
  - Je le cherche encore...
L'heure, déjà bien avancée, était devenue propice aux confidences, prélude aux chants de régiment que le quintette entonna, la main sur le cœur :
  - J'avais un camarade, de meilleur il n'en est pas... 
  - Nous allions comme deux frères, marchant d'un même pas...
Lolo-le-Tatoué et Stéphanogéopolis s'en donnèrent à cœur si joyeux et gorge si bien déployée, que les trois autres compères, émus aux larmes, finirent par se taire pour mieux apprécier ce chant d'amour et de tendresse. Il faut dire ici que le tavernier avait non seulement glissé dans leur verre une substance hautement désinhibante, mais également poussé à la consommation d'apéritifs épicés propres à vous retourner les sangs, et le reste avec, ceci expliquant peut-être cela. Quoi qu'il en soit, les liens étroits et indéfectibles qui unissaient à présent Lolo-le-Tatoué à Stéphanogéopolis, faisaient plaisir à voir. Même Le-Chef en avait le cœur à l'envers, d'un si parfait unisson et d'un si bel orphéon. L'oreille aux aguets, les écoutant converser, il croyait parfois entendre la harpe et le clavecin d'une agréable sonate. Il suffisait en effet que Stéphanogéopolis parle d'esthétique militaire, de cheveux coupés ras ou de mâles gardes-à-vous, pour que Lolo-le-Tatoué réplique aussitôt : harmonie des chambrées, franche camaraderie, utile et nécessaire complicité des troufions. Après quoi, il les observa se faire des politesses autour d'un livre que tous deux souhaitaient s'approprier par affinité de goûts, puis, au comble de l'attendrissement, les surprit encore à se tatouer leur nom sur le front et le poignet, tout comme un couple d'enfants amoureux s'en va graver l'écorce d'un arbre.

A 23h00 et des brouettes, le temps étant venu pour le tavernier de plier boutique, il pria les quatre autres de regagner gentiment leurs pénates.
Le-Chef enquilla le boulevard en direction de Nation et moi de la Bastille.
Quant à Lolo et Stéphano, ils pénétrèrent ensemble dans la bouche du métro Charonne, qui les avala comme un seul homme...

(;-)

3 commentaires:

  1. Stephanesaliege@yahoo.fr2/4/13 16:15

    Je ne sais pas très bien, Vincent, qui est l'écrivain de tes étagères qui a presque mais doublement réussi à infirmer à ce point la belle phrase de Rilke, "au fond, et précisément pour l'essentiel, nous sommes indiciblement seuls", mais tu me mets de côté tous ses livres steplet! Stéphane-René

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  2. Pour conserver le ton martial (c'est, c'est, c'est, c'est l'hymen), nous publions en trois exemplaires ce message du jeune Stéphane S., selon le vieil adage militaire : une fois c'est un hasard, deux fois, une coïncidence, trois fois, un sabotage. Il faut savoir compter au-delà du pas !

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  3. Il ne manque de des photos !
    Merci pour le récit,
    Isabelle (Wanda-Lou Zy)

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