2014/08/23

Henri Guillemin : Nationalistes et Nationaux (1870-1940)

« Nous proposons une droite qui s’assume et qui n’ait pas honte de prôner le patriotisme, le mérite, le travail, l’effort, l’ordre et l’autorité républicaine. » (extrait du projet de La Droite Forte, qui a oublié de mentionner aussi la famille)

Charge de dragons (Dupray)
J'entends souvent dire qu'entre gauche et droite, aujourd'hui c'est kif-kif : canailles & consorts, pareille incompétence et même engeance, un-pour-tous, tous pourris... Moi j'essaie d'expliquer les nuances entre les différents Partis, leurs tendances et leurs représentants, ce qui n'est pas toujours facile, convenons-en. J'évoque alors le passé pour mieux convoquer le présent, compare les politiques sociales des uns et des autres, et, sans jamais convaincre personne, conclus mon laïus en disant que nous avons, ces temps-ci, une gauche un peu moins à gauche et une droite beaucoup plus à droite, avec les deux extrêmes à leur place, à chaque bout de l'échiquier.

Pour convaincre un ouvrier ou un employé de ne pas voter contre ses intérêts, il me faudrait avoir le talent conjugué d'un René Rémond et d'un Henri Guillemin : la science de l'un et l'impertinence de l'autre. On en est loin, très loin. Et c'est bien dommage, parce qu'au rythme où vont les choses, sûr et certain que mes collègues de bureau, de chantier, d'atelier, donneront prochainement l'Elysée à une UMP noyautée par les rejetons bonapartistes, voire maurasso-pétainistes, de la droite française. Quelques-uns voteront même FN et s'en féliciteront, les cons ! La plupart offriront donc leur voix, en conscience et de plein gré, pour des politiques ouvertement xénophobes, aussi pour le contrôle des médias, la justice mise au pas, la baisse des allocations sociales, la hausse des niches fiscales et la retraite à 66 ans, même pour toi qui a commencé à bosser dès 16 ans... Ils voteront pour l'enseignement religieux, la fin des 35 heures, l'asphyxie des syndicats ouvriers, la restriction du droit de grève et même l'allègement du Code du Travail, entendre ici : simplifier la tâche de ton patron lorsqu'il souhaitera te licencier. Te voilà prévenu ! Maintenant, libre à toi de voter pour des Partis qui, depuis qu'ils existent, ont toujours été contre toi et t'ont souvent méprisé, mais... mais lis d'abord cette excellente étude d'Henri Guillemin sur les nationalistes, l'autre nom des capitalistes. En un peu moins de 500 pages, toutes passionnantes, Guillemin retrace l'histoire politico-économique de ton pays, la France, de la Commune de Paris, noyée dans le sang des ouvriers, jusqu'à la débâcle de 1940, en passant par le Front Populaire et la montée des fascismes... Tu y verras la Droite à la manœuvre, sous son véritable jour, ce qu'elle a fait jadis et ce qu'elle fera demain si, par malheur, son idéologie est à nouveau à l'oeuvre : rien pour toi et tout pour eux, les "gens de biens", les "vrais français", dont il faut, coûte que coûte et vaille que vaille, préserver les privilèges.
Et tu refermeras alors ce livre en te disant peut-être qu'il y a, malgré tout, et si infimes qu'elles soient, quelques nuances entre la Gauche et la Droite.
Et puis tu comprendras aussi, de surcroît, pourquoi l'UMP hurle en chœur "Halte à la repentance !" à chaque fois qu'un historien dresse ce genre d'inventaire où sont  nécessairement disséqués les mécanismes, toujours actifs, d'une politique de Droite (des fois que tu piges enfin pour qui tu vas vraiment voter).

Henri Guillemin (1903-1992)
Postface :

Après avoir achevé ce manuscrit, je n'y ai plus songé pendant trois mois, m'attachant à des travaux d'un autre ordre. Je voulais voir l'effet qu'il me ferait en le relisant, ensuite, d'une traite avant de l'envoyer à l'éditeur. Je viens de le relire et je m'attends à des sourires apitoyés; des sourires instruits : un essai simpliste et grossier; pour tout dire, caricatural; et tellement "tendancieux" ! ("tendancieux" est le terme usuel pour désigner la tendance qui n'est pas la bonne); comme d'habitude, avec H. G., le plus sommaire des manichéismes. Viendra, au surplus, la découverte, fatale, d'erreurs de détail que j'aurai commises; on en commet toujours; mais quelle aubaine pour ceux qui sauront en tirer parti, et gloire : jugez du sérieux de cet "historien-là !"
Simplisme ? Oui, en ce sens que j'ai travaillé, volontairement à gros traits pour m'en tenir à l'essentiel : l'importance déterminante, d'abord, de la politique intérieure, et, dans la politique intérieure, de la question d'argent; puis, la boucle bouclée, en France, par les classes dirigeantes, pacifistes à ravir de 1871 à 1888 environ, chauvines, ensuite, pendant quelque cinquante ans et redevenant, à partir de 1936 surtout, férues de paix à outrance; et tout cela dans un constant et unique souci : la sauvegarde de leurs privilèges. A ceux qui, depuis toujours, se sont approprié le bien d'autrui et ont réduit la collectivité à travailler pour eux, il convient de brouiller leurs pistes et de masquer l'évidence; et de même, les manipulateurs de l'opinion souhaitent peu qu'un éclairage trop vif soit porté sur leur étrange politique extérieure.
[...] Quant au "manichéisme", j'en donne assurément l'apparence. Parce que j'étais soucieux, avant tout, de mettre en lumière la vérité capitale — je dis bien : la vérité — objet de ce travail, à savoir le comportement de nos nationalistes mués en "nationaux". Je n'ignore, pour autant, ni ce que fut le combat sacrificiel de "réactionnaires" comme d'Estienne d'Orve et Jacques Renouvin, ni le peu d'empressement manifesté par le prolétariat à travailler davantage pour accroître la puissance défensive de la France (mais c'était au lendemain des déconvenues de 1936-1937, et les ouvriers se savaient, se voyaient les victimes d'un patronat qui n'attendait que ces efforts supplémentaires pour s'enrichir encore davantage); et si courageux qu'aient été, dans la Résistance, tant de militants communistes, je ne saurais oublier les mobiles tactiques où puisait sa raison d'être ce "patriotisme" insolite, effervescent, recommandé par le Parti et réclamé plus tard par lui comme une sorte d'exclusivité. Mais, encore une fois, ces considérations n'étaient pour moi que marginales. Mon propos était ailleurs; il concernait le jeu des "nationaux", et je pense avoir présenté là, tout au moins, comme on dit, une "hypothèse de travail" assez valable.
De même que nous avons été, longtemps, nous Français, dupés sur les origines de la Première Guerre mondiale (...), de même je souhaiterais que l'Histoire, "entrant dans la voie des aveux" (Hugo, 1863), ne laissât pas à nos descendants une image truquée de ce qu'était la France, au seuil de la seconde hécatombe.

Henri Guillemin : Nationalistes et nationaux (1870-1940)
Editions Idées-Gallimard (1974)

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