«
Je souhaite que d'anciens combattants, à lire ces pages de souvenirs, y
retrouvent un peu d'eux-mêmes et de ceux qu'ils furent un jour ; et que
d'autres peut-être, ayant achevé de lire, songent, ne serait-ce qu'un instant :
"C'est vrai, pourtant. Cela existait, pourtant." » (Maurice Genevoix, dans sa préface à l'édition
originale des Eparges)
«
Aucun réquisitoire contre la guerre n'atteint la puissance de ce récit, de ce
constat modeste, mesuré, terriblement précis... Sans élever le ton, Genevoix
raconte l'horreur quotidienne »
(Paul Guimard)
Couverture de J.L. Lefort
Front de Somme (1916)
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Allongé sur un lit d'hôpital, le corps meurtri, Maurice
Genevoix commence à relire les notes qu'il a prises sur son petit carnet quadrillé dès les premiers jours du conflit. Pour l'instant il ne sait pas trop
quoi en faire de ces foutues notes. Alors il les relit... encore... encore... et
c'est son ami Paul Dupuy, un vieux professeur d'histoire-géo de l'E.N.S, qui
l'incite à écrire un livre à partir de ses gribouillis. Eh bien, allons-y !
En avant ! lui répond Genevoix. Et il s'atèle si bien à la tâche que, dès
avril 1916, Sous Verdun fleurit déjà dans les bacs des librairies Hachette
et Cie. Un gros succès. Puis viennent ensuite Nuits de Guerre (1917), Au
Seuil des Guitounes (1918), La Boue (1921) et enfin Les Eparges
(1923), cinq récits chronologiques aujourd'hui regroupés en un seul volume : Ceux
de 14. C'est un grand classique de la littérature de guerre, le
mètre-étalon des témoignages auprès duquel tous les autres font plutôt pâle figure, il
faut bien le reconnaître. Sans doute parce que d'entre tous, Genevoix est celui
qui a trouvé le ton le plus juste, qu'il n'en fait ni trop ni trop peu,
retranscrivant la réalité et rien que la réalité, sans effet de style à la façon
de L.-F. Céline, ou de lyrisme anti-militariste à la manière de Barbusse :
« Barque et Biquet sont troués au
ventre, Eudore à la gorge. En les traînant et en les transportant, on les a
encore abîmés. Le gros Lamuse, vide de sang, avait une figure tuméfiée et
plissée dont les yeux s'enfonçaient graduellement dans leurs trous, l'un plus que
l'autre. On l'a entouré d'une toile de tente qui se trempe d'une tache noirâtre
à la place du cou. Il a eu l'épaule droite hachée par plusieurs balles et le
bras ne tient plus que par des lanières d'étoffe de la manche et des ficelles
qu'on y a mises. La première nuit qu'on l'a placé là, ce bras pendait hors du
tas des morts et sa main jaune, recroquevillée sur une poignée de terre,
touchait les figures des passants. On a épinglé le bras à la capote. Un nuage
de pestilence commence à se balancer sur les restes de ces créatures avec
lesquelles on a si étroitement vécu, si longtemps souffert.
Quand nous les voyons, nous
disons : "Ils sont morts tous les quatre." Mais ils sont trop
déformés pour que nous pensions vraiment : "Ce sont eux." Et il faut
se détourner de ces monstres immobiles pour éprouver le vide qu'ils laissent
entre nous et les choses communes qui sont déchirées. » (Henri Barbusse, Le Feu,
journal d'une escouade, 1916)
« Le colonel avait été déporté
sur le talus, allongé sur le flanc par l'explosion et projeté jusque dans les
bras du cavalier à pied, le messager, fini lui aussi. Ils s'embrassaient tous
les deux pour le moment et pour toujours mais le cavalier n'avait plus sa tête,
rien qu'une ouverture au-dessus du cou, avec du sang dedans qui mijotait en
glouglous comme de la confiture dans la marmite. Le colonel avait son ventre
ouvert, il en faisait une sale grimace. Ça avait dû lui faire du mal ce coup-là
au moment où c'était arrivé. Tant pis pour lui ! S'il était parti dès les
premières balles, ça ne lui serait pas arrivé. » (Louis-Ferdinand Céline, Voyage
au bout de la nuit, 1932)
« Il y a des cadavres autour de
nous, partout. Un surtout, épouvantable, duquel j'ai peine à détacher mes yeux
: il est couché près d'un trou d'obus. La tête est décollée du tronc, et par
une plaie énorme qui bée au ventre, les entrailles ont glissé à terre ; elles
sont noires. Près de lui, un sergent serre encore dans sa main la crosse de son
fusil ; le canon, le mécanisme doivent avoir sauté au loin. L'homme a les deux
jambes allongées, et pourtant un de ses pieds dépasse l'autre : la jambe est
broyée. Tant d'autres ! Il faut continuer à les voir, à respirer cet air
fétide, jusqu'à la nuit. » (Maurice Genevoix, Sous Verdun,
1916)
Parti à la guerre en tant qu'étudiant et futur
enseignant, Maurice Genevoix en est revenu huit mois plus tard profondément
blessé, reconnu par l'armée invalide à 70%... et romancier.
En novembre 1968, à l'occasion du cinquantenaire de
l'armistice, l'ORTF diffusait à l'antenne une série de cinq dramatiques
adaptées d'après Ceux de 14.
Aujourd'hui, grâce à l'INA, les cinq épisodes d'une
trentaine de minutes chacun (3h35mn au total) sont audibles ici.
Et pour qui veut en écouter seulement un extrait,
c'est là :
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