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2014/04/25

Paroles de Poilu : carnet de guerre d'un soldat inconnu

« Un incendie à notre droite éclaire l'horizon : c'est Hurlu qui est en flamme » (le 06/10/1914)

Originaire du Dauphiné (natif de Seyssins, dans le département de l'Isère) et âgé d'environ quarante ans, l'auteur des notes qui vont suivre appartenait à l'armée territoriale (105ème R.I.T., 3ème Bat., 10ème Cie), où il officiait en tant que sergent-fourrier, c'est-à-dire chargé de l'intendance et de menus travaux logistiques, tels que la réfection des routes, l'entretien des cantonnements, l'enterrement des cadavres... et parfois aussi préposé à des tâches beaucoup plus périlleuses, telle que l'aménagement des tranchées de 1ère ligne.

Si le nom et le numéro matricule de cet officier nous sont restés inconnus, on sait toutefois qu'il était marié, qu'il avait un enfant et exerçait, dans le civil, le métier d'instituteur au sein d'une petite école de province. Et c'est donc à la veille de la rentrée scolaire, le 16 septembre 1914, par une matinée pluvieuse, qu'il embarqua en gare de Seyssins dans "un wagon de 50 hommes", dont un avait la colique, nous apprend son carnet.
Les premières notes qu'il consigne au crayon ressemblent davantage à celles d'un géographe en goguette plutôt qu'à celles d'un soldat en route pour la guerre. De son écriture fine et appliquée, il décrit en effet les cultures et l'architecture des villes ou des villages traversés tout au long de son voyage de 500 kilomètres en chemin de fer : Villefranche, Mâcon, Chalons, Dijon, Troyes...
Mais à son arrivée à Vitry-le-François apparaissent déjà les premières traces laissées par la bataille de la Marne : "maisons dévastées, terres saccagées, chevaux crevés..." Et à partir de là, les visions de guerre se succèdent jour après jour jusqu'au 4 novembre 1914, date à laquelle s'achève brutalement le carnet, sans que l'on sache si le sergent-fourrier est mort ou s'il a seulement changé de support...

Voici donc les extraits de ce carnet vieux d'un siècle, sur lequel, par une cruelle ironie de l'histoire, les notes du soldat côtoient les slogans publicitaires d'une Cie d'assurances garantissant notamment contre les accidents de chasse, de tir ou de sports divers. Il a été tenu durant deux mois par un instituteur de 40 ans qui me semble assez bien représentatif du corps enseignant de la IIIème République : patriote sans être fanatique, ayant tout à la fois le sens du devoir et l'esprit critique.

~ Septembre 1914 ~

Retour au cantonnement : patates au singe, soupe et coucher au foin. Jouchard tousse. La pluie me tombe sur le nez. Le canon tonne.

J'ai allumé un fourneau pour me laver un peu proprement. Je n'ai pu le faire depuis Seyssins. Quand pourrais-je enfin laver ma chemise et ma flanelle ?

Patrouille : s'enfoncer par la nuit noire dans un pays inconnu, c'est impressionnant.

Le pain manque, la viande et le tabac aussi. Il faut entamer les biscuits en attendant le ravitaillement qui est annoncé pour l'après-midi.

On a arrêté un habitant dénoncé pour avoir renseigné les Allemands sur les ressources particulières de chaque personne du village. On parle de le fusiller.

Visite à l’instituteur Boissol qui nous a parlé des habitants de son village : esprits arriérés qui aimeraient autant être allemands si on ne détruit pas leurs maisons. Ils sont égoïstes.

Altercation avec Jules Billon qui va trop au-devant du désir des habitants. " Soyons amis ! , me dit-il, et il me donne la moitié de son tabac.

Réveil frais et dispos. La canonnade est furieuse. Elle paraît proche.

C'est dimanche. Ici les gens bien-pensants s'en vont en chœur à la messe. Des jeunes dames et des jeunes filles montrent leurs cheveux sans chapeau. Et c'est pourquoi le samedi on voyait beaucoup de bigoudis.

Passage de 250 chevaux éclopés : blessures purulentes, maigreur extrême... quel déchet en quelques jours ! Abattage d'une centaine, puis enfouissement. D'autres sont offerts à des paysans. Le reste est évacué sur Chalons, et de là je ne sais où.

Ici, à Louvois, fourmilière de soldats. Nous sommes dans la 2ème ligne. Les gros canons de 120 sont à 400m et ébranlent l'atmosphère. Dans les granges, les soldats grouillent comme des lapins.


~ Octobre 1914 ~

L'après-midi : reconnaissance du côté de Wargemoulin. Les obus allemands tombent à 1km de nos pièces d'artillerie. On s'habitue à ce bruit énorme. Dans les champs beaucoup de croix et de charognes de chevaux... Il y a du travail.

Les deux villages de Saint-Jean et Sainte-Tourbe sont complètements détruits. C'est la désolation. L'église de Saint-Jean est pleine de cadavres allemands et les champs pleins de petites croix...  Pauvres morts ! Où sont les mères ? Les femmes ? Les enfants ? Quelles douleurs !

Carrière de charognes purulentes. On la comble. Les chevaux grouillent de vers. Il faut les brûler. Je demande du cognac pour ce travail. Le lieutenant approuve.

Le nombre de cartouches et de fusils abandonnés dénote un esprit fâcheux pour une armée.

Ce matin on vient d'arrêter un déserteur muni d'une bicyclette, qui faisait semblant d'être cycliste. Il n'a pas l'air mauvais mais il ne paraît pas comprendre la gravité de sa faute. Je l'ai enfermé dans l'église.

Enfin les premières lettres depuis le départ de Seyssins. Je dévore la mienne. A côté de moi, l'ami Blanchet découvre la photographie de ses trois gros garçons. Il pleure de joie et de tristesse, car il n'avait pas encore eu le bonheur d'apprendre l'heureux accouchement de sa femme.

Le baptême du feu : je suis avec 30 hommes à la gauche d'une Cie du Génie (incident de l'adjudant souffletant un soldat qui ne pouvait plus marcher). Il pleut. La nuit est d'une clarté obscure. On traverse des bois avec des feux de bivouac. C'est plein de soldats. Les uns portent des paquets de fil de fer et les autres des piquets. En avant. On traverse ouvrage de défense sur ouvrage de défense : véritables villages d'Indiens sous-terre, où l'on n'entre qu'en rampant [...] Un coup de feu éclate à 200m de nous, une fusée lumineuse s'élève, la fusillade éclate, les outils s'arrêtent. " C'est un combat de patrouille, on ne craint rien " dit un sapeur. Le canon tonne bientôt de tous les côtés. Le lieutenant du Génie arrive : " Equipez-vous, nous allons nous retirer ! ". Mais déjà quelques-uns qui travaillaient avec leur fourbi s'enfuyaient sans attendre le commandement. C'est la panique. L'instinct de conservation laisse croire que le danger n'existe plus quand on lui tourne le dos. On descend un vallon, on gravit un découvert. La mitraille fait rage. On baisse la tête au passage d'un obus. Chaque sifflement fait courber les hommes vers la terre. Enfin, derrière un nouveau repli de terrain, on s'abrite dans une tranchée. Il manque un homme. La violence se déchaîne avec une violence inouïe.
Tapi dans le fossé protecteur, tout le monde attend avec angoisse l'issue de la bataille. Allons-nous entrer dans la danse ? Chacun revoit son foyer en image. La pluie tombe. Un incendie à notre droite éclaire l'horizon : c'est Hurlu qui est en flamme.

Construction de tranchées au-dessus de Wargemoulin. Le lieutenant du Génie paraît indécis et peu compétent : il sort sa théorie pour connaître les dimensions des tranchées. Pauvre commandement. Incapacité, ignorance, et personne pour prendre ses responsabilités.

Départ pour Neuville-au-Pont. On nous fait passer par Somme-Tourbe complètement brûlée. Pourquoi allonger le chemin ?  Doit-on fatiguer inutilement les hommes ? Nos chefs sacrifient souvent au décorum d'une entrée sensationnelle : le commandant veut entrer à la tête de son bataillon avec l'arme sur l'épaule droite. Le bataillon n'en peut plus, mais le Commandant n'en a cure.

Le Colonel du 105ème a demandé que son régiment aille au feu. Pourquoi ? Dans l'active, son insuffisance n'a pas pu lui faire décrocher les étoiles de Général. Veut-il les conquérir sur le dos des territoriaux ? [...] C'est un incapable. Il a toujours les moustaches retroussées pour se donner un air terrible, mais il ne fait peur qu'à ses inférieurs les plus lâches, qui ne gagnent leur tranquillité que par la platitude. Détruire les énergies droites et les initiatives intelligentes, voilà son but. En arrivant au cantonnement, il s'inquiète d'abord de son lait, de son lit, de sa popote... et il oublie les soldats. Puis il accapare Mr Satre, docteur du bataillon, et ne fait mentionner sur le cahier qu'un nombre restreint de malades : il n'en veut pas plus de 2 ou 3 par Cie. Alors le docteur en soigne une quinzaine en cachette.

Les territoriaux sont inutiles ! Sous prétexte de les employer, on les transforme en balayeurs de rues. Mon ami Bouchet demande au Capitaine de gendarmerie s'il y a des outils pour cet usage.
   " Je vous ai dit de balayer les rues. Balayez ! " lui répond le pandore galonné.
   " Mais je vous demande... " réplique poliment Bouchet.
   " Il n'y a pas de mais ! Je n'entre pas dans ces détails ! "
Quelle mentalité ! C'est la morgue des officiers, abrutis par le métier et ayant toujours exécuté la consigne sans réfléchir. La raison a complètement disparue chez ces gens-là. Il n'y a plus que des machines capables d’interpréter de travers une consigne, simplement parce qu'il manque un point, une virgule ou un accent grave sur un ordre écrit.

Ces deux inscriptions sur un très vieux lit :
   " Que le Seigneur pénètre en toi chaque jour " (Panneau de devant)
   " Que sa main fasse bien tout ce qu'elle fait " (Panneau de derrière)
Qu'en penses-tu Mamiche ?

Notre ignorance nous empêche de voir que notre intérêt supérieur, c'est l'intérêt général ; l'intérêt immédiat n'est qu'éphémère, il est condamné par la justice immanente qui prend sa revanche tôt ou tard.

~ Novembre 1914 ~

En France nous sommes trop portés à croire que le bel habit noir et les uniformes galonnés ne peuvent être portés que par des gens honnêtes et loyaux. Cela provient que durant longtemps on nous a nourri de ce préjugé et qu'ensuite on nous a appris que ces gens-là pouvaient nous être utiles. La première raison est destinée aux simples d'esprit, et la seconde aux malins.

Lettre de la femme d'un mobilisé du 105ème : " Aurevoir mont petit chéri. Tache de te soignier pour ne pas venir malade, par ce que tu sait il faudra bien ratraper notre temp perdu et tu va avoir beaucou afaire pour enlevé les araigniers, tache donc de te préparé. "

L'affaire d'un bataillon du 138ème : trompés par l'obscurité, des chefs incapables, croyant l'ennemi à seulement 50m alors qu'il était à 200m, ont lancé le bataillon baïonnette au canon. Résultat : les hommes n'ont pas pu arriver jusqu'aux tranchées allemandes et ont été décimés par la mitraille (600 morts). Le capitaine est resté sur le champ de bataille. On raconte que c'est une balle française qui l'aurait tué. Le reste du bataillon est revenu dans les tranchées, démoralisés, anéantis. Ils sentent qu'ils sont destinés à une boucherie sans profit.

Suivent une douzaine de pages vierges...

2013/12/15

Confessionor, le retour

Le tome 2 du Confessionor, perles d'auditeurs et de producteurs pour les 50 ans de France Culture, est en ligne et en écoute ici même. Le Confessionor 1 est là. Sur les musiques familières de la Rue des cascades (Tiersen), de Dot (Gonzalez), de Campanitas de Cristal (Noro Morales), de Stem Long Stem (DJ Shadow), on déguste les paroles et les souvenirs. Une auditrice le dit : "Pour moi, France Culture, c'est quasiment un aliment". C'est un mélange de plusieurs personnes : "un mélange de ma maman, de Robin des bois et de Victor Hugo". Alexandre Héraut y raconte des heures de sommeil glanées dans les cellules de montage. Le tabac de la pipe de Jean Lebrun, aux questions plus longues que les réponses attendues. Ce tabac qui incommode un auditeur : la radio, c'est bien comme le cinéma, mais avec un écran bien plus large. France Culture est cause de divorce, d'allergie ; bizarre pour ce qui peut être un plaisir solitaire. Un point de fraternité, le bonheur de l'autostoppeur. 

Quelques autres paroles en vrac :
Guy Gilbert, le prêtre en perfecto : "là Marie-Hélène, tu pisses un peu loin pour moi" (rapporté par Marie-Hélène Frayssé)
Hubert Huertas : "Le droit de dire va avec le devoir d'entendre.

Voila, allez tatouez vos tympas !
 « Le Confessionor : France Culture a 50 ans ! Épisode 2 ». Confidences dans le Confessionor © Pauline Maucort
Le Confessionor, machine à remonter dans les  souvenirs,  a été créé par Pauline Maucort et Julie Beressi dans le cadre des Chantiers du Festival « Détours de Babel » en mars 2012 à Grenoble. En septembre 2013, elles l’ont transporté au Palais de Tokyo pour fêter l’anniversaire de  France Culture et inciter les visiteurs à témoigner sur le lien singulier qui les unit à cette radio.

Le Confessionor restitue aujourd'hui l'épisode 2 de l’histoire d'amour de ses auditeurs et producteurs avec  France Culture: relation forte, fidélité, coups de gueule, regrets et rêves d'avenir.

2013/12/03

Le Confessionor

Si vous lisez ce texte, et tous les autres de ce blog. Si les assemblages de lettres "regardfc", "anpr", "kultur pop" ont aujourd'hui un sens, si même, allez j'ose, si l'Entropie est dans le Monde. C'est grâce à cela. Cet objet ondin. France Culture, qui à 50 ans. Comme France Culture, ses auditeurs ont un côté "vieux".  Alors ça grogne, ça regrette le bon vieux temps, ça rouscaille quand un producteur historique rentre dans l'histoire. Quand un chroniqueur intempestif (sens inopportun) et temporaire dure. Mais on se lève un matin, qui rediffuse le Sur les docks de la veille. Et l'on écoute 30 minutes d'intelligence radiophonique, l'auditeur séduit, par une émission du lundi après-midi à laquelle il ne comprend rien, mais qu'il écoute quand même, à cause des mots, de la chronique animalière, en épluchant ses patates, l'auditrice conquise, en découvrant la profondeur d'analyse qu'on peut accorder au Comte de Monte Cristo, la stagiaire qui a vécu 10 jours durs avec un des ouvriers exigeant de la Maison ronde. De l'intelligence, ça s'écoute ici. 30 minutes à suivre.


Pour une écoute plus ludique :

2013/06/09

Paroles de Poilu : Henri Raguet

« Ça va bien pour la patrie ! Six de mes fils ont été tués. Le septième est aveugle et fou. » 
(une mère de Clermont-Ferrand, en 1917)

En 1914, Hortense avait deux fils, l'un prénommé Charles, l'autre Henri, l'un sergent, l'autre simple soldat. La guerre lui prit le premier — le plus jeune et le meilleur des deux — et lui laissa le second. Oh, non, ce n'est certes pas Hortense qui différenciait ainsi ses deux gosses — elle les aimait autant l'un que l'autre, cela va sans dire —, mais Charles avait cependant le cœur plus grand et plus solide que ne l'avait son frère, était presque plus soucieux des autres qu'il ne l'était de lui-même et, de nature plus curieuse, se montrait attentif à des choses qu'Henri ne remarquait seulement pas. D'autres détails encore, telles que la syntaxe ou l'orthographe, auraient eux aussi pu distinguer les deux frères, mais ce n'étaient là qu'insignifiantes différences pour Hortense Raguet, une mère affligée par le deuil. Et ce n'est certes pas non plus la lettre d'un lieutenant-colonel, reçue peu après la mort de Charles, qui put jamais l'en consoler : "Dans votre grande peine, madame, vous aurez cette fierté patriotique de savoir votre fils tombé bravement au champ d'honneur pour la grandeur de notre pays."

Voici quelques extraits des lettres d'Henri, le survivant :




Et puis, on ne saurait que trop conseiller la lecture de "Si je reviens comme je l'espère", à savoir l'intégralité de la correspondance de la famille Papillon : plusieurs centaines de lettres échangées, de 1914 à 1918, entre quatre frères, leur sœur et leurs parents, donc à la fois entre le front et l'arrière, et de front à front. Avec aussi une belle préface du couple Bosshard, les découvreurs de cette archive, et une postface des historiens Rémy Cazals et Nicolas Offenstadt, lesquels résument on ne peut mieux l'intérêt de l'ouvrage : "Ces échanges entre les membres d'une même famille offrent un ensemble tout à fait original. Ils livrent une multiplicité de points de vue sur le conflit, en même temps qu'une lecture croisée des expériences de chacun."