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2016/12/29

Paroles de Poilu : Jeannine Marcou (deux ans plus tard)


Après le Noël 1914 et le Noël 1915, voici donc le troisième Noël consécutif qu’une petite fille d'à peine dix ans vient de passer en l'absence de son père. 
Histoire de fêter la nouvelle année en fanfare... tout en pensant à ces milliers d'enfants qui, d’une manière ou d’une autre, subissent aujourd’hui encore la folie des hommes.


(A noter qu'entre les différentes techniques utilisées par nombre de Poilus pour échapper au Front, Georges Marcou a choisi la moins risquée et la plus fréquente d'entre-toutes, c'est-à-dire faire jouer ses relations à fond pour obtenir "la bonne planque", en l’occurrence un poste de mécanicien au sein des Convois Automobiles. D'autres que lui ont choisi la désertion, l'auto-mutilation ou encore la simulation de maladie, mais au risque de se faire prendre et d'être passé par les armes, devant ses camarades, après un simulacre de procès).


2016/07/02

Joe Sacco : la Grande Guerre

« Nous avons perdu la fleur d'une génération... »
( le prince William, duc de Cambridge, le 30 juin 2016 )


Et cependant que la famille royale d'Angleterre versait une larme au pied du mémorial de Thiepval tout en pensant au Brexit, je feuilletais, ou plutôt je dépliais "La Grande Guerre" vue et dessinée par Joe Sacco à la manière des tapisseries d'antan, comme celle de Bayeux, par exemple.
Originale par sa forme plus que par son contenu, la grande fresque de Joe Sacco reconstitue, scène après scène, le premier jour de la plus meutrière d'entre toutes les batailles : celle de la Somme, le 1er juillet 1916, soit les 24 heures d'une journée au cours de laquelle 1 soldat britannique périt toutes les 4 secondes, et ce simplement parce que Leurs Majestés en avaient décidé ainsi.






Publié aux Editions Futuropolis/Arte (2013)

2016/05/21

No pasarán...


Lors de mon séjour à Verdun, j'ai vu un beauf PMU et sa marmaille se faire tirer le portrait devant la porte grande ouverte de l'ossuaire de Douaumont et, pire encore, se bidonner comme un taré de la dernière espèce, à tel point que le gras de son bide tressaillait par-dessus la ceinture de son short. Il était blanc et con.

Un peu plus tard, au milieu d'un bois déserté, j'ai vu trois jeunes rastas jouer du tam-tam en fumant des oinjes à l'entrée de l'abri-caverne du Fort de Souville. Ça n'avait rien d'insultant ni même d'incorrect pour les restes des soldats encore enfouis sous terre à proximité. Au contraire, il se dégageait de cette scène une sorte d'émotion assez difficile à décrire... mais assurément belle.
~~~
Il y a de ça un siècle et des brouettes, l'extrême-droite française incitait à la haine contre les boches, les juifs et les métèques, aussi les francs-maçons et Jean Jaurès, abattu d'une balle en pleine tête par un partisan de la trop étroite idée nationale. Alors je ne sais pas ce qui est le plus indécent, du concert de Black M ou de la réaction du FN, mais puisqu'il est beaucoup question de Mémoire ces derniers temps, eh bien moi je n'oublie pas que les Maurras, Daudet, Pujo et autres leaders de la droite décomplexée, travaillaient les esprits depuis des lustres pour que la France entre en guerre contre ses voisins d'outre-Rhin... puis qu'ils ont fini par l'avoir, leur guerre... et s'en sont même félicité, noir sur blanc en première page de leur torchon... et pis surtout qu'ils n'ont jamais œuvré pour la faire cesser, cette guerre, quand bien même les morts s'empilaient sur les champs de bataille dans des proportions jusqu'alors inconnues. Hé non ! moi je n'oublie pas que sans ces nationalistes enragés, il n'y aurait peut-être pas eu Verdun, ni la Marne, la Somme ou le Chemin des Dames... qu'il n'y aurait peut-être pas eu la guerre et ses dix millions de morts, le seul genre de victoire dont peuvent se targuer ces gens-là :


Et puis cette belle archive audio de 1966 (Maurice Genevoix évoquant les cérémonies du cinquantenaire de la bataille de Verdun) :


2016/02/28

Sur la route de Verdun...

Puisqu'il est question de ruines et de désolation, que nous sommes en février et que j'ai envie d'écrire, je vous propose un petit tour sur la route de Verdun :


Une route vallonnée qui, avant d'arriver en Lorraine, vous fait traverser la Picardie, la Champagne-Ardenne et l'Argonne : des noms qui vous pètent aux oreilles comme des roulements de canons et vous feraient presque sentir l'odeur de la poudre au milieu des foins : 


Verdun, ville de province de moyenne importance, mais que l'Histoire et la folie des hommes ont carrément hissé au rang de mythe national. Pas vraiment le plus folichon des lieux de villégiatures possibles — malgré une agréable jetée piétonnière parsemée de bars et de brasseries — mais plutôt un lieu de Mémoire, voire de pèlerinage. On peut, si on veut, siroter une mousse sur la terrasse du Windsor en parcourant Paroles de Verdun, de Jean-Pierre Guéno : 


Un "Centre mondial de la Paix", établi dans l'ancien palais épiscopal, et jouxtant la Cathédrale Notre-Dame dont les cloches vous surprendront peut-être à sonner le mouvement final de l'Hymne à la Joie :



En périphérie de Verdun et en dehors des grands axes routiers, une dizaine de villages totalement détruits et non-reconstruits. Vous n'y croiserez strictement personne, sans doute parce qu'il n'y a rien à y voir, hormis une chapelle, un monument aux Morts et, parsemant la terre retournée, quelques débris de tuiles, de briques, de moellons... mais surtout du silence et encore du silence :


La butte de Vauquois et ses impressionnants cratères, parfois appelés "entonnoirs", fruits de la guerre des mines à laquelle se livrèrent durant quatre ans les boches et les poilus (cf. Bourru, soldat de Vauquois, de Jean des Vignes Rouges). Aussi quelques restes de tranchées bétonnées dans lesquelles vous croisez aujourd'hui autant de Français que d'Allemands :


Un grand et beau musée, le Mémorial de Verdun, créé sous l’égide de Maurice Genevoix et proposant notamment une reconstitution vraiment saisissante d'un champ de bataille, les cadavres et leur odeur de putréfaction en moins :


L'obligatoire visite à l’ossuaire de Douaumont, un monumental bâtiment chargé d'abriter les restes des 130000 soldats français et allemands non identifiés. Qui n'est pas ému aux larmes à l'intérieur de l'ossuaire, ou qui n'est pas simplement pris de vertige, n'est pas tout à fait humain :


Aussi la citadelle souterraine de Verdun qui se visite en wagonnet façon EuroDisney ; les Forts de Vaux et de Douaumont partiellement visitables ; la "légendaire" tranchée des baïonnettes et d'autres petites choses encore... mais surtout, oui surtout, ce moment qui n'appartient qu'à moi : les deux heures passées à la nuit tombée dans le village détruit de Bezonveaux, au milieu d'une forêt de pins et d'épicéas, seul ou presque seul, car il y avait le hibou quelque part sur sa branche... et puis il y eut aussi cette biche que ma présence effraya et qui, le temps d'une seconde, m'émerveilla comme un enfant. C'est mon meilleur souvenir :


Sur la route du retour, France-Info diffusait en boucle la nouvelle du jour : 10 militaires français venaient de trouver la mort dans une embuscade en Afghanistan. Devant les micros tendus, un homme parlait alors de "sacrifice ultime" et de "combat contre la barbarie". Il se gargarisait à tel point de bravoure, d'honneur et de devoir, que je crus un instant entendre le président Poincaré s'adressant aux Français en août 1914, mais... mais c'était seulement Sarkozy 94 ans plus tard.


2016/01/10

Paroles de Poilu : Carnet de guerre (A. Ménabé)

« Pourquoi  se  faire  autant  souffrir  les  uns  les  autres  ? »


Si pour les nouvelles générations la guerre de 1914 appartient à un lointain passé, pour ceux qui fêteront leur 60ème anniversaire au cours de cette année, les hécatombes de Verdun ou du Chemin des Dames se déroulèrent à peine quarante ans avant leur venue au monde, et c'est dire que, d'une manière ou d'une autre, leurs grands-pères participèrent à cette boucherie dont certains revinrent et d'autres pas. Les miens en sont tous deux revenus... un peu cassés, mais entiers.
Je me souviens par exemple de celui que ma soeur et moi appelions "Pépé", un vieillard édenté et têtu que nous allions voir une fois l'an quelque part en Bretagne, au milieu des champs et des vaches. Je me souviens qu'il nous appris à jouer à la manille et aux palets sur planche, aussi qu'il avait les films de guerre en horreur et qu'il était d'autant plus avare de paroles sur cette période de sa vie que je n'étais pas moi-même curieux d'en savoir davantage, comme tout adolescent boutonneux, arrogant, un peu con ; et je me souviens surtout que lorsque me vint l'envie de lui poser des questions, il était malheureusement décédé depuis déjà longtemps.

André Fortuné Ménabé, soldat de seconde classe au 221e R.I, n'est pas mon grand-père, mais peut en faire office, car ce natif d'Avignon, âgé de 20 ans en 1914, a lui aussi beaucoup souffert à la fois physiquement et moralement. Si sa correspondance de guerre (que nous présenterons plus tard) est riche d'informations, son carnet de route l'est encore davantage, en ceci qu'il y consignait certains faits que ses lettres taisaient, sans doute en raison d'un contrôle postal qu'il savait particulièrement vigilant à l'égard des Régiments mutins tel que le 221ème d'Infanterie.

Voici donc quelques-unes des notes prises par André Fortuné Ménabé entre avril et novembre 1917 :

... En revenant de permission, j'apprends que notre régiment a eu des pertes et on m'annonce la mort de certains camarades... Après avoir visiter un cimetière de poilus qui est à proximité du quartier Valmy, nous ramassons une salade des champs pour le repas du soir... Nous passons la matinée à charger des tombereaux de résidus de cuisine qui sont entassés là depuis un temps infini : ça pue tellement que nous craignons d'attraper le choléra... Des tombes de soldats par-ci par-là, aussi des cimetières saccagés et des maisons démolies ou incendiées par les bombardements, c'est triste à voir... Je n'ai pas grand courage pour travailler, j'ai un cafard terrible... Je vais trouver le médecin-major car j'ai les pieds en sang après la longue marche d'hier... Le sergent me réveille à 2h00 du matin pour aller poser des fils de fer barbelés en 1ère ligne... Il pleut, il neige, il fait noir comme de l'encre, j'ai toujours le cafard... La nuit on prend la garde et le jour on travaille, mais le secteur est calme, comparé à celui de Verdun où j'étais l'an passé... Cette nuit, la section franche a fait un coup-de-main, ce qui nous a valu d'être bombardé et d'avoir à déplorer 1 tué et 8 blessés... En allant à la visite pour mes pieds, je vois des brancardiers qui portent quelque chose dans une toile de tente. Qu'est-ce ? C'est le tué. On le devine au sang qui s'échappe de la tente, car on ne voit qu'un amas informe. Le malheureux a été coupé en deux par une torpille... Nous appelons "cou-cou" l'obus de 88, car le coup de départ et celui de l'éclatement sont aussi rapprochés que le cri de cet oiseau... J'ai tiré mes premiers coups de fusil sur les boches, sans savoir si je les atteignais, mais il est vrai qu'eux non plus ne savent pas si leurs tirs atteignent leur but... J'écope de quatre jours de prison pour avoir manqué l'appel du soir, et Jean Debarnot prend 25 jours pour être rentré de permission avec 24h de retard. C'est cher !... Les rats ont rongé ma musette pour atteindre le pain et les biscuits qui sont à l'intérieur... Au repas du soir, nous avons de la soupe, des haricots, de la viande et un œuf dur chacun. A mon avis, bien des civils n'en ont pas autant... J'ai trouvé une quinzaine de poux dans ma flanelle... Ah ! quelle vie ! j'ai un cafard monstre et je rumine toutes sortes de mauvaises pensées... Dans tout le régiment le moral est mauvais. Ce dimanche 3 juin, vers midi, un rassemblement ayant une tendance à la révolte se produit. A 12h35, ceux qui se sont rassemblés partent à Mourmelon avec le drapeau rouge, mais ce n'est qu'une manifestation pour réclamer de ne pas monter aux tranchées sans obtenir davantage de repos. Les manifestants sont arrêtés avant d'arriver à Mourmelon. Ils sont près de 600 et sont arrêtés par une vingtaine de tirailleurs algériens commandés à cet effet. Quelques coups de feu sont tirés mais l'ordre se rétabli petit à petit et tous rentrent au camp, sauf 6 ou 7 hommes de ma Cie... Vers 3h00 du matin, l'artillerie boche nous tire dessus. Les obus tombent assez près de nous et nous recevons des éclats et de la terre. Ne m'arrivera-t-il donc pas un éclat dans un membre pour m'enlever enfin de là ? Je le souhaite de tout coeur... Les obus ne cessent de siffler dans l'air et de tous côtés... Nous souffrons de la chaleur et surtout de la soif et nous respirons une odeur pestilentielle, car des cadavres qui n'ont pu être enterrés sont à proximité, c'est vraiment horrible. Pourquoi se faire autant souffrir les uns les autres ?... J'apprends aujourd'hui que les copains qui ne sont pas rentrés le 3 juin ont été pris et qu'ils vont être envoyés au Bataillon d'Afrique... Dans l'après-midi le capitaine Hublot me fait appeler à son bureau. Que me veut-il ? J'ai peur et je n'ai pourtant rien à me reprocher, mais il parait que mon copain Khon a été ramené à la Cie par les gendarmes et qu'il est en prévention de conseil de guerre. Le capitaine me dit "Je vous cite comme témoin". Ça ne me plaît qu'à moitié car je ne voudrais pas porter tort à ce malheureux... Après la soupe du soir, nous montons sur un mamelon d'où l'on voit très bien la ville de Reims à la jumelle. Pendant que nous l'admirons, quelques obus tombent à gauche de la cathédrale, poursuivant ainsi la destruction de cette ville martyre... Je passe ma journée à écrire et à jouer aux cartes ou au piquet... C'est ce soir qu'on doit monter en ligne, je passe la matinée à coudre et l'après-midi à écrire... A 100 mètres sur notre droite, il y a la cote 108 qui a été séparée en deux par l'explosion d'une mine... On a souffert de la pluie presque tous les jours et notre abri était infesté de moustiques qui, eux aussi, nous ont bien fait souffrir... Journée pareille à la précédente... On se met à jouer à la manille, puis on s'en va boire une bouteille de champagne achetée 3fr.75 à la coopérative... Un taube survole le village, cherche à descendre une saucisse, mais rate son coup... Pour arriver en 2ème ligne, on fait 10km dont 5km de boyaux : la marche est assez pénible... Notre artillerie ne cesse de tirer sur les 1ère lignes allemandes... Le temps reste pluvieux et nous en souffrons d'autant plus que nous n'avons pour nous abriter que des niches individuelles creusées dans le parapet de la tranchée... Je suis tout mouillé de pluie et de sueur, mais je ne me change pas, tellement je suis fatigué... Quel plaisir que de se reposer autrement que sur de la terre !... Je passe mon après-midi à écrire une lettre de 16 pages à ma marraine... Nous logeons à 30 dans une espèce de sape qui est grande et solide, mais bien humide... Ma permission approche à grands pas. Je partirai dans une huitaine. Oh ! que je suis heureux à la pensée que je vais bientôt revoir ceux que j'aime...






La chanson de Craonne, par Marc Ogeret

2015/12/24

Paroles de Poilu : Mayie Lafitte

Tirées d'une correspondance entre un poilu et sa marraine de guerre, ces quatre lettres aux commentaires à la fois tendres et drôles que mademoiselle Mayie adressa à celui qui deviendra son époux deux années plus tard :


Mon bien-aimé,
Je vous présente votre belle-mère, elle est mignonne, élégante, svelte, c'est le chic même. Enfin, elle a tout pour elle, il n'y a pas une autre qui lui ressemble et vous devez être honoré d'en avoir une pareille ! En êtes-vous satisfait ?




JOYEUX NOËL

2015/12/20

Paroles de Poilu : Jeannine Marcou (un an plus tard)

Jeannine Marcou, quelque part sur la photo (1915-1916)

Entre noël 1914 et noël 1915, douze mois de tranchées ponctués de bombardements parfois intensifs, aussi d'attaques puis de contre-attaques sans le moindre pouce de terrain conquis ni perdu, mais quand même 333 700 français tombés au champ d'honneur, dont quasiment soixante mille durant le seul mois de septembre, bataille de Champagne et délires de généralissimes obligent.


Jeannine Marcou a désormais 9 ans. Au cours de l'année écoulée, elle n'a vu son père que deux semaines en tout et pour tout, mais pas un jour n'a passé sans qu'elle ne pense très fort à lui, à la vie qu'il mène et aux dangers qu'il court, là-haut, sur le front, entouré par les "boches" et baignant dans la boue. Aussi lui écrit-elle souvent de plus ou moins longs courriers dans lesquels elle exprime à la fois les craintes qu'elle éprouve, les progrès qu'elle fait ou encore les joies qui sont siennes, tout ce qu'elle ne peut lui dire de vive voix et Dieu sait s'il y en a. 

Comme l'année précédente à pareille époque, Jeannine Marcou adresse donc à son père plusieurs lettres où il n'est pas seulement question de Noël et de cadeaux déposés au pied du sapin, mais aussi de ce qui lui gâche la fête... parce que pour les petites filles aussi, cette guerre fut bien trop longue : 

Bientôt ça va être Noële. Je suis très contente, je ne demandrai pas de jouets, mais simplement la victoire et la fin de la guerre...

bien trop douloureuse :

Ça sera un beau Noële pour tous [...], exepté cette pauvre Marie-Rose qui n'aura pas l'espoire de revoir son mari.

et beaucoup trop lourde à porter : 

Pour Noële, j'ai reçu des chaussettes pour les soldats et 5fr pour leur acheter des livres. J'ai eu aussi une petite fille en bois qui tient dans ses bras des poupées cassées, alors Yvonne a dit : "C'est des réfugiées qui est malheureux parce que les boches leur a fait des atrocités". Yvonne a eu un polichinelle qui pleure "parce qu'il est réformé à cause de sa bosse". Elle a reçu aussi un boche qui fait : "Camerat ! Pas kapouth !" et René a eu des cigarettes en chocolat, mais il les a déjà toutes mangées et, comme il n'en a plus, maintenant il mange mes sucres d'orge et les bonbons d'Yvonne.
Je t'embrasse bien bien fort. 
A bientôt, j'espère...
Ta petite Jeannine qui t'aime, qui t'aime, qui t'aime !


2015/07/05

Paroles de Poilu : Auguste Joux (1876-1953)

« Il ne fait point chaud, mais je n'ai point froid » (A. Joux, le 26 novembre 1914)

Au centre, en tablier et bonnet de boucher :
Auguste Joux - soldat 1ère classe - 56e R.I.T. - 4e Cie

Né en 1876 à Échallon, petit village de moins d'un millier d'âmes situé au pied du Jura, Pierre Auguste Joux avait 38 ans d'âge au déclenchement des hostilités entre la France et l'Allemagne, sa vie était donc déjà bien avancée, sinon déjà faite. 
Établi depuis longtemps à Saint Germain-de-Joux, localité voisine d'Échallon, Auguste menait une existence paisible et joyeuse au milieu des siens. Il venait d'ailleurs de fêter sa treizième année de mariage avec une certaine Marie Azélie Poncet, qu'il aimait encore tendrement, et avec laquelle il avait eu deux enfants, Aline (5 ans) et Paul (12 ans), lesquels ne manquaient pas non plus d'affection. 
La famille Joux était unie, heureuse et relativement aisée pour l'époque : tourneur sur bois de profession, Auguste co-dirigeait avec son frère aîné une scierie hydraulique implantée sur les rives de la Semine, cependant que sa compagne tenait une épicerie dans la Grand'Rue du village.


Et puis vint la guerre, la terrible guerre !
Sonnèrent les cloches et roulèrent les tambours...

Non encore libéré de ses obligations militaires, Auguste redevint soldat sitôt la mobilisation décrétée et les placards bleu-blanc-rouge affichés sur les murs de toutes les villes et villages de France. Il quitta donc son foyer le 2 août au matin afin de rejoindre au plus vite et par ses propres moyens son affectation : le 56ème R.T.I, caserné à Belley. Il y resta quelques jours, le temps d'être équipé de pied en cap, puis fut dirigé vers l'Alsace, lui qui n'avait jamais franchi les frontières du Rhône-Alpes.

Sonnèrent les clairons, roulèrent les canons...

Vingt-cinq mois plus tard, en septembre 1916, Auguste reviendra sain et sauf d'une campagne militaire qu'il aura traversée sans avoir jamais combattu à proprement parler, ni même tiré le moindre coup de feu : chargé de ravitailler en vivres ses camarades dans les tranchées de 1ère ligne d'un secteur assez calme mais non exempt de danger, il passera à travers les balles, les obus, les coups durs, en mettant son intelligence au service de sa survie :

« Tu me dis dans ta lettre que ma mère aimerait autant être privée de me voir, plutôt que je perde mon emploi à cause de la permission. Il ne faut pas qu'elle s'inquiète de cela : je m'arrangerai toujours de façon à me faire remplacer durant mon absence par un homme de la Compagnie qui ne fera pas l'affaire, de sorte que je retrouverai mon emploi dès mon retour. »

Et puis il s'arrangera surtout, après avoir longtemps tergiversé, pour faire réquisitionner sa scierie par l'armée afin d'être placé à sa tête et fournir le Génie en rondins destinés aux abris, manière de contribuer à l'effort de guerre sans plus risquer sa peau. 
En somme, durant ses deux ans passés sur le Front, le soldat Auguste Joux n'aura pas été le plus malheureux des Poilus, mais il aura cependant beaucoup souffert au moral, notamment de la séparation d'avec sa famille, du manque de considération des gradés à l'égard des sans-grades, aussi de la perte progressive de sa foi en l'homme et en la patrie.
Au fil de sa correspondance (un peu moins de 300 lettres), on découvre un homme affectueux et très attentionné, qui allait régulièrement à la messe sans manifester pour autant une grande ferveur religieuse. C'était un émotif qui ne prenait aucune décision sans l'avoir préalablement longtemps mûrie et réfléchie, puis pesée et contre-pesée, quitte à louper une opportunité. Quant à ses considérations sur la guerre, si elles dénotent un sens critique assez bien développé et peu sensible à la propagande, elles donnent surtout à voir et à entendre (cataclysme, boucherie, massacres d'hommes innocents...) le cri d'une génération d'hommes dont l'écho résonne aujourd'hui encore.

~o~

Précisons enfin que les lettres d'Auguste sont à l'image de ses journées : longues et répétitives, avec de temps à autre une formule vraiment saisissante, et que la syntaxe ou l'orthographe plus qu'approximatives 

« Je profite d'un momment de loisire pour te faire à savoir de mes nouvelles. Je me porte toujours aussi bien, j'ai bonne appéti et nous avons assez à manger, mais il y a le vin qui est assez chère et l'on entrouve dificilement. » 

ont été corrigées pour une meilleure lisibilité.







Le départ :

Ma chère femme, 
Nous sommes arrivés au dépôt de Belley vers 4 heures du soir. 
Tout s'est bien passé en route, mais nous étions si nombreux au départ que les trains étaient bondés.
Je me porte bien pour l'instant et t'en dirai davantage demain. 
Embrasse pour moi ma petite Lilly et mon petit Paul. 
Ton mari qui t'aime et t'embrasse bien fort. 
Auguste, le 3 août 1914.


Le temps qui passe, la guerre qui dure, l'attente, l'attente, l'attente... :

Les nouvelles de la guerre sont bonnes et, si cela continue, je crois qu'elle sera bientôt finie. (09/14)

D'après les journaux que nous lisons, les opérations militaires marchent assez bien. Assurément la guerre se terminera plus tôt que l'on ne croyait et nous ne passerons donc pas tout l'hiver ici. (10/14)

Personne ne croyait quand nous sommes partis que cela durerait si longtemps. (11/14)

Nous ne nous faisons pas trop de mauvais sang, si ce n'est que l'on commence à s'apercevoir que la campagne va être longue. Je crois bien que nous y passerons largement l'hiver. (12/14)

Voici bientôt les fêtes de Noël et du jour de l'An. Je n'avais guère songer à les passer en Alsace. Nous pensions tous être rentrés pour le Nouvel An, mais il n'y a plus beaucoup de raison d'espérer. Si seulement, l'on pouvait rentrer pour Pâques. (12/14)

Les opérations n'ont pas l'air de marcher bien fort. Avec cette guerre de tranchées, ça risque d'être long, très long, mais chacun conserve néanmoins son courage. (12/14)

Je n'ai jamais songé au début de cette guerre que l'on se quittait pour un si long temps. (12/14)

Sept mois de guerre : 200 jours sans avoir pu quitter son pantalon ! (02/15)

Je suis obligé de redonner du courage à certains camarades, car voilà les beaux jours qui arrivent et le père de famille, qui a du souci pour les siens, trouve le temps bien long. Espérons que la fin de cette terrible guerre soit plus proche que l'on ne peut le supposer. (02/15)

Il y en a qui se font davantage de bile que moi, mais cela n'avance à rien. Il nous faut de la patience et c'est précisément ce qui manque aux soldats Français. (02/15)

Au mois d'octobre nous avions deux ennemis à combattre : l'hiver et les boches. L'hiver est battu, mais non pas les boches ! Cela viendra, plus personne n'en doute. (03/15)

Eh bien, ma chère Marie, voici le 10ème mois de guerre d'entamé. Cela devient long et beaucoup d'hommes s'abrutissent de boisson : ils prennent de ces bitures, au point que certains deviennent fous. (05/15)

Je ne pense pas que la guerre puisse se prolonger encore bien longtemps : le rouleau ne doit plus être bien long. (07/15)

C'est aujourd'hui l'anniversaire de la mobilisation. Personne ne se doutait que nous partions pour si longtemps. (08/15)

C'est vraiment trop long ! Tu peux croire que s'il y en avait au début qui étaient patriote, on n'en trouve plus beaucoup. Chacun tient à faire son devoir jusqu'au bout mais, une fois libéré, je crois que le militarisme aura vécu. (01/16)

Mon camarade Bonneville est le plus optimiste de tout le régiment : il a parié des litres et des litres que la guerre sera finie au mois de juillet. Il a une confiance inébranlable dans la victoire finale. (05/16)

Ce n'est pas une guerre, ce sont des massacres inutiles. Il y en a beaucoup qui disent que cela finira bientôt, mais je n'y crois plus. Les peuples sont encore trop acharnés, il faut un vaincu et on ne le connaît pas encore. (06/16)

Le moral a beaucoup baissé dans notre régiment. Rester si longtemps dans les bois, surchargés de service, à vivre dans des souterrains, dans la boue, couchés sur des piquets de bois et toujours au 4 vents. Ceux qui crient "jusqu'au bout" feraient rien mal d'y venir un peu. (08/16)


La séparation :

J'espère que les petits sont toujours bien sages. Quoique je ne soye pas au milieu de vous, je le suis par la pensée : il ne s'écoule pas d'heure dans la journée où je ne pense à vous. (08/14)

En attendant le bonheur et la joie d'aller vous rejoindre, reçois de ton mari des millions de caresses et ses plus sincères amitiés. Celui qui t'aime pour la vie : Auguste. (09/14)

Je pense que ma petite Lilly va commencer l'école aujourd'hui. Comme je serais content si je pouvais la voir partir pour la première fois à l'école. (10/14)

Voici venir la fête de la Toussaint et nous allons la passer loin des nôtres, soit en poste de garde, soit dans les tranchées, avec une pioche et une pelle. (10/14)

Tu me dis que Lilly apprend bien à l'école et j'en suis bien content, mais il ne faut pas trop la pousser, ça lui fatiguerait trop le cerveau... Je vous envoie à tous des milliers de baisers à travers l'espace. (11/14)

Je suis très content, mon petit Paul, de te voir continuer les progrès que tu as déjà fait l'année dernière, mais il ne faut pas faire de l'exagération : il te faut bien travailler à l'école, mais il te faut aussi un peu de distraction. (12/14)

Je viens de recevoir à l'instant la lettre de Lilly et de voir comme elle écrit déjà bien me comble de joie. Je lui répondrai demain pour lui faire les compliments qu'elle mérite. (01/15)

Je t'envoie une photographie de mon escouade et tu me diras si Lilly sait encore reconnaître son papa. (03/15)

Quand nous passions un jour sans nous voir, nous trouvions que la journée avait été longue, mais voilà déjà 300 jours que nous n'avons pas eu le plaisir de parler ensemble... Je te vois bien souvent en rêve, mais à mon réveil tout a disparu. (06/15)

Le cafard commence à passer, mais les premiers jours depuis mon retour de permission m'ont parus bien longs. Sache que je pense sans cesse à toi et aux enfants et que j'avais le cœur tellement serré de vous avoir quitté que j'avais l'air hébété durant toute la journée. (11/15)

Ma pensée est toujours avec toi et avec nos petits, cela est ma seule patrie ! (12/15)


La découverte de l'Alsace :

Nous sommes dans un petit pays où il y a de la bonne culture, mais où les gens sont pauvres : sur 10 enfants que l'on voit, il y en a 9 qui n'ont point de souliers et qui marchent pieds nus. L'armée a presque tout réquisitionné et ne leur a laissé qu'une vache pour donner du lait aux enfants. Aussi, quand nous avons quelque chose de reste, nous le leur donnons et il faut voir comme ils mangent. (08/14)

L'Alsace est un pays de plaine avec quelques montagnes très jolies et très pittoresques. Les maisons n'ont rien d'épatant et ne sont pas tenues bien propres. (10/14)

Les villages sont pleins de boue et le fumier est étendu devant les portes et, parfois, jusque dans la cuisine. Les habitants n'ont point de goût pour la propreté. Les femmes sont sales et pas coquettes du tout. (11/14)

J'aime à contempler la nature de ce beau pays qu'est l'Alsace. A notre gauche, nous voyons les montagnes des Vosges et le ballon d'Alsace ; en face de nous, nous apercevons une partie de Mulhouse ; à notre droite, les montagnes de Suisse... Vraiment, le coup d’œil est assez joli. Les habitants y sont un peu fainéants et malpropres et ils ont le caractère boche, car voilà 44 ans qu'ils sont germanisés. Ceci est mon appréciation et celle de beaucoup de mes camarades. (02/15)

On voit l'herbe qui commence à pousser, les arbres à boutonner et, le matin, nous entendons les chants joyeux des oiseaux dans les plaines et les montagnes d'Alsace. (03/15)


Les communiqués de guerre du soldat Pierre Auguste Joux :

Nous sommes à Vétrigne à quelques km de Belfort, mais en arrière des lignes, donc à l'abri de tout danger, et l'ennemi est loin de nous, puisque les Français ont pris Mulhouse et Colmar. Nous entendons les pièces de canon qui font rage sur les Allemands. D'après les statistiques des soldats qui s'en reviennent du feu, il paraît que l'artillerie française leur fait beaucoup de ravage. En revanche, l'artillerie allemande n'est pas à craindre d'après leurs dires. Enfin, ayons un peu de courage et nous rentrerons dans nos foyers, en oubliant ce temps passé où tant de mères pleurent ceux qui leur sont chers. (08/14)

J'ai reçu des nouvelles du neveu d'Hippolyte, il est dans le Nord et l'a déjà échappé belle : il a eu son cheval tué sous lui. (08/14)

Des rapports, on en entend tous les jours, aussi n'y fait-on plus attention. Nous les appelons entre-nous des "rapports de cuisine". (08/14)

Nous ne sommes point malheureux, si ce n'est que l'on couche à la dure, sur la terre : 50 à 60 hommes serrés les uns sur les autres dans de petites granges. Autrement cela ne va pas mal, la nourriture n'est pas mauvaise. Ne te fais point de mauvais sang, nous sommes en 3ème ligne, à l'abri des mauvais coups. C'est autrement plus dur et plus terrible pour ceux qui sont en 1ère ligne. (08/14)

Louis m'a dit que le Léon de Bajat avait été tué. Son pauvre père, qui n'avait que ce garçon, doit être bien désolé. Sans doute qu'il y en a beaucoup d'autres qui ont perdu leur fils. (09/14)

Ma chère Marie, il ne faut plus m'envoyer de chemise ! Nous en avons touché deux chacun et avec les trois que j'avais déjà, cela en fait cinq. Si nous devions partir d'ici, je ne pourrais pas toutes les emporter, car nous sommes comme des escargots : il faut tout porter sur son dos ! (10/14)

Nous savons parfaitement que nous sommes en guerre et non pas en villégiature, donc que nous ne pouvons avoir toutes nos aises et que nous sommes même privilégiés en comparaison de ceux qui sont sur le Front. (10/14)

Hier, nous avons entendu tonner le canon à une distance d'environ 20km. Nous y sommes tellement habitués que nous ne sortons même plus dehors pour voir de quel côté il tonne. Ne vous faites pas de mauvais sang pour moi, je ne suis nullement malheureux et ne cours aucun danger. Dans notre régiment il y en a bien quelques-uns sur qui les allemands ont tiré, mais ce sont des hommes qui veulent faire les malins et qui s'avancent au plus près des Allemands. Il faut être prudent. (11/14)

Notre commandant a été renvoyé à la caserne de Belley, en punition. C'était un homme bon. S'il avait exécuté tous les ordres que le Général lui donnait, la moitié du bataillon aurait déjà été massacrée. (12/14)

Nous dormons à trois dans une cabane à cochons. (12/14)

Voici quelques jours que nous n'avons pas trop le temps d'écrire. Nous avons pris l'offensive sur tout le front, comme vous avez dû le lire dans les journaux. Hier, notre Cie s'est trouvé bombardée et nous avons eu des blessés, mais pas de blessures graves. Gilbert a été blessé au bras gauche, d'un éclat d'obus, et Bonneville l'a échappé belle : il a eu sa baïonnette toute brisée et toute tordue, sa capote toute déchirée, son talon de soulier arraché... et lui : point de mal. (12/14)

Les vieux Alsaciens qui ont fait la guerre de 1870 nous disent que c'était de la rigolade comparée à celle qui se fait aujourd'hui. (03/15)

Hippolyte va passer une vingtaine de jours à l'hôpital : un obus a éclaté tout près de lui et lui a fait sortir le sang par les oreilles. (03/15)

Ce sont les rats qui nous font le plus de misère. Tu ne peux pas te faire une idée de leur nombre et de leur taille ! Aussi, la nuit nous avons bien soin de nous couvrir la tête avec notre capote, autrement ils nous passent sur la figure. (04/15)

Les boches nous envoient bien de temps en temps des marmites, mais il n'y a que les premières qui nous font peur et nous allons tout de suite aux abris où nous sommes en sûreté. (08/15)

Nous sommes dans un bon secteur, à part les quelques fois où les boches nous envoient leurs marmites (on s'en passerait bien), mais nous leur en envoyons aussi. Pour dix coups que nous tirons, ils répondent par un seul coup, ce qui suffit parfois pour se faire amocher. (09/15)

Tu me dis que les vitres de ta chambre ont gelées, eh bien ce n'est pas le cas de celles de ma chambre à coucher, mais il faut dire que nous sommes une dizaine de poilus, plus 2 chevaux et 6 vaches, alors tu vois d'ici la chaleur concentrée de toute cette bande. (11/15)

Ici, c'est la vraie guerre : les maisons sont presque toutes touchées, démolies ou brûlées. A certains endroits, les boches sont à seulement 8 mètres de nous. Ils ne peuvent pas être plus près. (04/16)

Nous sommes aux avants-postes dans un grand bois où seules les voix du canon et des mitrailleuses se font entendre de temps en temps. Nous sommes si peu nombreux qu'il m'a fallu passer toute la nuit au poste d'écoute. Nous avons brassé 20cm d'eau pour y rentrer. Tu peux juger si l'on y est bien pour passer la nuit. (06/16)

De toutes les places possibles, il n'y en a guère de bonnes. Soit d'un régiment, soit de l'autre, il en tombe de tous les côtés et puis un jour c'est tranquille, un autre c'est mauvais. Notre capitaine a été tué hier soir par un éclat d'obus. Il n'y a eu que lui de touché et il n'a pas dû souffrir. (08/16)


Quelques observations, réflexions et considérations diverses :

Mon cher petit Paul, prions de tout notre cœur pour voir au plus tôt la fin de ce cauchemar où tant de pères de famille se font tuer pour le plaisir d'un Guillaume ou d'un François-Joseph. J'espère qu'ils ne l'emporteront pas au paradis et que bientôt les guerres seront supprimées. (10/14)

Les pauvres soldats qui vont passer l'hiver dans les tranchées ne remporteront pas la santé chez eux. (11/14)

Si tout le monde était comme nous, à la paye de cinq sous par jour, la paix ne tarderait pas. (12/14)

Les gros richards comme les petites gens couchent à même la paille. Il y a ici un notaire d'Oyonnax qui n'apprécie guère sa nouvelle vie. (01/15)

Les hommes sont fatigués et, pour se donner quelques heures de repos, se font porter malade. Les officiers aussi sont fatigués. Il n'y a que le Colon qui nous tient là. C'est un vieil abruti qui, soit-disant, aurait déjà fait massacrer un bataillon du 44ème. Et comme on lui a donné un régiment de territoriaux, c'est nous qui trinquons. Des vieux de 40 ans et plus ! Il nous fait faire du service comme un régiment d'active et voilà trois mois que nous tenons les avant-postes : les hommes se découragent. (01/15)

Faire tenir les avant-postes par des territoriaux durant tout l'hiver, tu peux croire que ceux qui rentreront s'en souviendront. (01/15)

Les hommes ne sont pas de fer et ne peuvent pas être patriote quand ils sont traités de cette façon là. (01/15)

Tu me demandes si l'on a vu le président de la République. Il paraît qu'il est passé dans des villages voisins, mais ce que nous souhaiterions surtout voir arriver, c'est la paix. (02/15)

Pour les quelques années que l'on a à passer sur terre, s'il faut en passer une partie en guerre, ce n'est vraiment pas la peine de venir au monde. (05/15)

Que les enfants profitent du beau temps pour bien s'amuser, car ce n'est pas quand on est grand qu'on est le plus heureux. (05/15)

Tu me dis que Marc a préféré les galons de caporal-fourrier à ceux de sergent, pour cause que les hommes ne veulent plus obéir. Ceci je le crois. Du reste, je crois aussi que si cela continue il en adviendra de même dans notre régiment. La faute ne viendra pas des hommes, car les hommes sont tous bien dévoués, mais des officiers. Figure-toi qu'ils ont fait venir des cuisines roulantes dans lesquelles il n'y a qu'une chaudière avec quoi on ne peut faire que de la soupe et du bouilli. Alors tu vois d'ici le menu : soupe et bouilli le matin; bouilli et soupe le soir. (06/15)

Il faut que les peuples soient bien méchants pour s’entre-tuer ainsi sans savoir seulement pourquoi ni pour qui. Nous jetons la responsabilité de cette guerre sur l'Empereur d'Allemagne, et ceci l'on ne peut pas en douter, mais il y a aussi des responsables dans notre gouvernement qui n'ont rien fait pour nous mettre à l'abri d'une guerre. Enfin, bref là-dessus, on ne peut pas en dire long, il faut se conformer à la discipline et se méfier de la censure. (07/15)

Ce n'est pas que je sois le plus mal loti, mais le son des obus commence à me casser la tête. (08/15)

On retarde nos permissions soit-disant parce qu'il manque des hommes pour assurer les avants-postes, mais ceux qui reviennent de permission disent que les dépôts sont pleins de soldats. On a même formé une musique au 36ème, de sorte qu'il y a des hommes qui jouent tranquillement du piston, pendant que d'autres ne peuvent pas avoir seulement une demi-heure pour se laver. Et puis ceux qui reviennent de permission dans les grandes villes de l'intérieur en racontent bien davantage. Tout marche au poil : théâtre, concert, cinéma... et la débauche bat son plein avec l'argent des allocations. Comment veux-tu que cela finisse dans ces conditions là ? (08/15)

Nous souhaitons tous la fin de ce cauchemar. Une pause, même sans aucun bénéfice, vaudrait mille fois mieux que la continuation de cette guerre qui est la ruine de l'Europe, en argent et en hommes. Nous en avons assez ! Il y a si longtemps que nous sommes parti qu'il me semble que j'ai toujours été soldat et tous les camarades sont comme moi. (09/15)

Si seulement les journaux ne nous bourraient pas tant le crâne, ce serait plus encourageant. Hier, l'Allemagne voulait la paix, aujourd'hui un autre journal le dément et ainsi de suite. C'est vraiment terrible cette guerre. Et il y en a qui ont encore le culot de dire qu'il faut aller jusqu'au bout. (12/15)

Tout le monde ici en a assez. Le patriotisme, il ne faut plus en parler. Il ne reste plus que les embusqués qui sont bien au chaud avec les employés du gouvernement, et qui ne sont donc pas sur le front, qui ont du patriotisme. Enfin, bref là-dessus. Vivement la fin que l'on puisse rejoindre sa femme et ses enfants, il n'y a que ce patriotisme-là qui est vrai, tout le reste c'est du bluff. C'est à celui qui peut s'enrichir le plus... Tu vas dire que j'ai bien changé, mais je crois que mes camarades sont encore pires que moi. (12/15)

On en entend de belles sur la vie qui se mène à Paris par des permissionnaires qui en reviennent : c'est Vive la Joie ! Et pendant ce temps-là, les poilus n'ont que le droit de se terre [sic] et de rester dans des tranchées pleines d'eau. (12/15)

Je crois qu'il n'y aura pas d'enfer assez dur pour les responsables de cette guerre. (12/15)

Alors comme ça, le beau Victor s'est fait débusqué d'avec les autos pour se ré-embusquer aussitôt avec les brancardiers. Espérons au moins qu'il n'a pas le culot de se plaindre. (12/15)

Les journaux disent que les Allemands auraient envie d'une paix. Je crois que l'on ferait mieux de traiter avec eux, plutôt que de continuer cette lutte sauvage et sauver ainsi quelques vies humaines. Continuer la guerre, c'est anéantir les peuples, et l'année prochaine on ne sera pas plus avancé que cette année. (12/15)

Le plus tôt que le pognon sera mangé, le plus tôt que la guerre sera fini ! (01/16)

Il faut espérer que tous les sacrifices et toutes les misères que supportent les peuples serviront de leçon et que, plus tard, ils comprendront que les guerres sont choses inhumaines et que cela ne doit pas exister chez des gens civilisés. (01/16)

Pourquoi un pauvre ouvrier qui a quitté son travail doit manger le peu d'économie qu'il a pu faire, pendant que l'employé du gouvernement touche son traitement et continue à se faire une retraite ? Ne sommes-nous pas là pour la même cause ? Je crois que le Patriotisme c'est le Porte-monnaie ! Et quand on voit ce qu'on voit et qu'on sait ce qu'on sait, alors on se dit qu'on est bien poire ! (01/16)

"Jusqu'au bout", c'est bien beau de le dire, mais s'il ne rentre personne ce sera bien le bout. (01/16)

Ceux qui ont déchaîné cette guerre sont de vrais criminels ! (01/16)

Les braves ce sont les petits soldats, pas ces grands officiers dont les journaux nous montrent les photographies. Nous avons eu le malheur de porter 12 des nôtres dans le cimetière de Dieffmaten. Chacun de nous était bien affligé et avait les larmes aux yeux. Seuls nos généraux avaient un air pas triste et la raie faite aux cheveux. Ils n'ont pas prononcé la moindre parole d'adieu à tous ces braves. C'est vraiment honteux pour notre armée de voir de pareils chefs à sa tête. Leur seul souci consiste à faire paraître des notes et des rapports. Pour peu que l'on ne salue pas assez ces Messieurs, ils pondent une note comme quoi on doit s'agenouiller à leur passage. Et tout cela dégoûte même les plus braves d'entre nous. Je t'écris tout ça parce que je fais passer ma lettre par un permissionnaire. Mais je peux te dire que je suis complètement dégoûté de la franc-maçonnerie et de l'aristocratie qui tiennent les rênes. (01/16)

Je me demande sans cesse si j'aurais le bonheur de rentrer. (05/16)

Tu peux croire que je quitterai le régiment sans regret. Je serais heureux de pouvoir aller jusqu'à la fin, mais j'ai tellement honte de voir l'administration militaire se foutre du petit soldat. Ainsi, on nous a fait passer en réserve pour nous reposer durant 4 jours. Et que trouve-t-on pour couchette ? Des claies en bâton et des branchages croisés, sans paille. Tu penses comme on se repose bien là-dessus. Dans le civil, on ne voudrait même pas y faire coucher des chiens. Nous avons eu aussi la visite d'un général qui se prenait pour un seigneur. Un homme de troupe n'a pas eu la frousse de lui réclamer de la paille. Deux jours plus tard des mulets sont arrivés avec des bottes de paille. Mais ce qu'il y a de malheureux, c'est que celui qui a réclamé est maintenant tenu à l’œil et quand il y aura un mauvais trou, peut-être qu'ils l'y mettront dedans. Jamais les officiers n'auront ma sympathie, ni celle de tous les camarades qui auront fait la campagne. Je t'écris un peu ma façon de penser, puisque je te fais parvenir cette lettre par occasion.

Si nous n'avons plus d'hommes pour faire la cuisine, nous avons toujours une bonne musique qui joue de jolis morceaux pour distraire à l'arrière messieurs les officiers. (06/16)

Les grosses têtes ne viennent que rarement par ici, et lorsqu'elles viennent elles ne font que passer vite fait bien fait. Enfin, bref là-dessus, on s'énerverait et on écrirait des choses qui nous attireraient des ennuis. (07/16)

Nous souhaitons tous, du fond du cœur, voir bientôt finir cette boucherie. (08/16)